Chapitre CIX (2/2)

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Je demeurai coite et moite, immobile dans les lueurs rayonnantes de l’aube. J’avais oublié l’heure et le temps, j’avais oublié mes envies de baignade et, Aquahé me pardonne, j’avais même oublié l’heure du biberon... Plus tard, après une heure ou une minute, Milos me trouva ainsi, tendue comme une statue, muette comme une morte, les yeux rivés sur ce bateau qui surgissait du néant alors que je ne l’espérais plus. Il posa sa main sur mon bras, très doucement, comme pour ne pas effrayer une demoiselle endormie, et il me parla comme dans un songe.

« - Lumi ? Lumi, est-ce que tu m’entends ?

- …

- Lumi ! Que se passe-t-il ? Pourquoi tu restes plantée là ? Les petits ont mangé ?

- Comment ? Euh, non, ils n’ont pas mangé… Ils dormaient, j’allais descendre me baigner comme tous les jours en les laissant à la garde de la servante de Sanaâ…

- Et ?

- Eh bien, regarde… Là, dans le port. Tu le reconnais ?

- Reconnaître qui ?

- Le bateau ! Juste là… C’est celui des pirates qui ont enlevé Orcinus.

- Oh…

- …

- Tu crois qu’il est à bord ?

- Je ne sais pas.

- Tu es là depuis longtemps, à l’observer ?

- Je ne sais pas, Milos.

- Tu as vu du mouvement à bord ?

- Non, rien. Ni mouvement, ni lumière.

- Et tu comptes rester là, qui plus est en affamant tes enfants, ou tu vas te décider à descendre pour voir qui précisément est arrivé avec ce bateau ?

- …

- …

- Lumi, je t’en prie, vas-y. Tu me fais peur, avoir cet air figé. Je m’occupe des petits. Et toi, tu files, s’il te plaît.

- S’il est là…

- Eh bien ?

- Je devrais peut-être emmener les enfants.

- Je ne pense pas, non.

- Pourquoi ? Tu te méfies de lui ?

- Pas une seconde, non… Mais il y a sûrement quelques loyalistes sur ce bateau, qui n’ont pas besoin de savoir qu’il existe non pas un, mais trois héritiers ! Quant à Orcinus, si par chance il est enfin là, vraiment là…

- Quoi donc ?

- A mon avis, s’il te voit arriver avec deux bébés sur les bras, il va faire une crise cardiaque ! Va voir, Lumi, mais vas-y toute seule. Et reviens vite ! Pour me rassurer, d’abord, et ensuite pour me dire si Orcinus est juste là, à quelques mètres de son vieux médecin préféré… »

Milos passa une immense cape d’un vert flamboyant, intense, autour de mes épaules et il me poussa, doucement mais fermement, vers la porte de l’appartement. Mon sang battait à tout rompre, mes oreilles bourdonnaient sourdement et j’avais l’impression de défaillir à chacun de mes pas. Petit à petit, je quittai le silence de l’aile reculée du palais dans laquelle j’avais élu domicile pour rejoindre les salles communes.

Il y régnait une sorte d’agitation fébrile, impatiente, festive, qui me mit un espoir au cœur. Espoir que la princesse Sanaâ confirma presque brutalement lorsque je la croisai dans une antichambre surpeuplée dans laquelle toute une armée de servantes installaient tentures rutilantes et pavoisements élégants : « Ah, Lumi ! Tu tombes bien. A ton avis, vaut-il mieux installer la fanfare ici, sur la droite, ou plutôt dans l’alcôve qui est sur ta gauche ? Mon neveu arrive, Héliopolis doit recevoir le fils de sa plus illustre reine avec tous les honneurs possibles ! Tu te rends compte ? Depuis le temps que je rêve de lui parler, enfin ! »

Je n’eus pas le temps de lui répondre. Une sonnerie retentit derrière les murs du palais, du côté de la rue, et la grande porte, celle qui ne servait que pour les réceptions officielles ou l’accueil des ambassadeurs, s’ouvrit toute grande.

Orcinus entra. Il était venu à pied depuis le port, déclenchant parmi les habitants une curiosité prononcée, mais amicale. Un brouhaha presque cotonneux montait donc de la foule tandis qu’il s’avança, droit comme une affirmation, beau comme un soleil levant. Il était vêtu d’un pourpoint bleu roi surbrodé d’argent qui mettait en valeur sa silhouette élancée, presque aérienne. Ses yeux de lave étaient vifs, animés. Fatigués, aussi… Occupés à chercher son illustre tante, la princesse Sanaâ. Et à ce titre, concentrés sur la partie la plus éclairée de l’antichambre et non pas sur le recoin dans lequel je m’étais réfugiée, à l’abri de son regard, adossée à la muraille comme si tout mon être allait s’effondrer.

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