(Orcinus) - J’ai besoin d’un peu de temps pour réfléchir, là. Je n’avais pas prévu d’avoir deux enfants juste avant de partir au bout du monde.

(Lumi) - Veux-tu les voir ?

- Je ne crois pas… Pourquoi leur présenter un père qu’ils ne connaîtront jamais ? Je vais partir, Lumi. Je dois partir.

- Et tes enfants ?

- Tu es là, toi. Je te fais confiance. Et tu es forte. Si forte !

- Je n’en peux plus d’être forte… J’ai envie de me coller à toi, de me cacher entre tes bras et de ne plus bouger avant trois semaines.

(Il sourit dans le noir.)

- …

- Je t’aime, Orcinus. Est-ce que cela ne change rien ?

(Il prit une inspiration longue, profonde, puissante, puis il me regarda droit dans les yeux.)

- Moi aussi, je t’aime, Lumi. Il serait ridicule de le nier ! Mais je suis engagé auprès de quelqu’un d’autre, maintenant. Et je dois m'éloigner. Tant que je resterai quelque part dans le monde connu, les loyalistes me poursuivront de leurs espoirs et de leurs attentes. Et ils seront une menace. Pour toi. Et pour tes enfants.

- Ce sont nos enfants.

- Nos enfants. Mes enfants… C’est si étrange de dire cela ! Quoi qu'il en soit, je ne veux pas les mettre en danger.

- …

- …

- Rotu est mort… Tu ne crois pas que nous pourrions être heureux, maintenant ?

- Je ne peux pas. Je dois tenir parole. Et partir avant que l’on apprenne qu’il y a d’autres héritiers. »

Il me prit la main dans un geste sec, furtif, silencieux. Il la conserva un moment dans la chaleur de ses doigts, perdu dans ses pensées. Le ciel était noir et muet au-dessus de nous, tout était sombre et figé, à part cette chandelle qui lui éclaboussait les yeux. Le bleu de son regard reprenait des reflets d’or et d’acier, et nous étions comme étouffés, engoncés devant cette situation si parfaitement inextricable.

Après quelques instants, il releva la tête et changea de sujet, tout en gardant ma main bien au chaud dans la sienne.

« - Au fait, à propos de Rotu… Pourquoi ta sœur l’a-t-elle tué ?

- Je te l’ai dit. Pour nous venger.

- Ça s’est passé quand ?

- Dans la nuit qui a suivi les pourparlers.

- Mais… Chacun est remonté à son bord et les bateaux se sont séparés, ce soir-là. Comment Suni est-elle tombée sur lui ?

- Euh… C’est lui qui est venu jusqu’à nous.

- Lui qui… Oh ! Lumi, est-ce qu’il s'en est encore pris à toi ?

(Je n’eus la force ni de répondre, ni de mentir.)

- …

- S’il te plaît… Dis-moi ce qui s’est passé.

- Il… Il est venu dans ma cabine.

(Il resserra son étreinte autour de ma main.)

- Et ?

- Il avait un couteau.

- …

- Il voulait récupérer sa femme. Alors il l’a prise.

- Suni n’est pas arrivée avant que… Avant qu’il…

- Non. Mais au moins, il n’a pas pu aller au bout ! Ni prendre son plaisir. Ma sœur lui a bien réglé son compte !

- …

- Je te demande pardon, Lumi. J’aurais dû être là.

- Tu n’aurais rien fait de plus que Suni.

- Non… Mais j’aurais aimé le faire à sa place.

- En fait, c’est après que tu m’as manqué le plus. Pendant les jours qui ont suivi. J’avais envie de hurler ton absence. J’avais envie de me rouler en boule, de me blottir contre toi et de dormir pendant un mois.

- Et je n’étais pas là…

- Et tu n’étais pas là.

- …

- Est-ce qu’aujourd’hui, ça te ferait du bien ?

- De me coller à toi comme un bébé ?

- Oui.

- Orci… C’est une vraie question ?

- Oui. Je ne veux pas être maladroit. Intrusif. Ou blessant, même sans le vouloir. »

Je sentis les larmes me monter aux yeux comme une vague incrédule. Soit Orcinus était d’une délicatesse presque inhumaine, soit il n’avait vraiment rien compris !