Chapitre CXVI (2/2)

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Je me rendormis avec cette question dans la tête et sa moiteur sur le corps. Et à mon second réveil, alors que le soleil était plus haut dans le ciel et que la chaleur du désert commençait à monter, la réponse me sauta aux yeux ! Car Orcinus n’était plus là… Il était parti, certainement, retrouver sa charmante fiancée qui, avec ses yeux de tourmaline et son sourire innocent, allait l’éloigner de moi pour toujours.

Je ne pris pourtant pas le temps de m’apitoyer sur mon sort : mon devoir me rappelait auprès de mes enfants que j’avais laissés aux bons soins de la servante de Sanaâ, pour quelques minutes qui étaient devenues des heures. Je me hâtai donc de rentrer, gardant mon désespoir bien au chaud pour plus tard.

Arrivée dans mon appartement, je trouvai mes rejetons en plein fou rire avec Milos, assis par terre entre les deux, avec une marionnette dans une main et un biberon dans l’autre. Heureusement que je pouvais compter sur lui ! Je me confondis en excuses d’avoir ainsi déserté et j’entrepris d’embrasser mes enfants comme s’ils étaient tout ce qu’il me restait de leur père. Milos, avec sa clairvoyance habituelle, lut en moi comme dans un grimoire de médecine.

« - Laisse-moi deviner… Tu as parlé avec Orcinus. Tu l’aimes toujours. Il t’aime toujours. Mais il ne veut pas revenir sur la parole qu’il a donnée à cette petite jeune fille… Qui est ravissante, d’ailleurs ! Même s'il en faudrait bien plus pour qu’il t’oublie…

- C’est à peu près ça, en effet. Tu es devin ?

- Non… Mais je connais mon Orcinus sur le bout des doigts ! Ce n’est pas pour rien qu’il écrit des histoires de chevaliers sans tache et d’amours impossibles.

- …

- Je ne vois qu’une seule solution.

- Ah ? Ça fait toujours une de plus que moi !

- Puisque c’est la parole qu’il a donnée qui le retient…

- Eh bien ?

- Il ne la reprendra jamais. Mais la jeune fille, elle, peut la lui rendre.

- Mais comment ?

- Là, ma belle, tu m’en demandes un peu trop. Mais elle semble bienveillante et sensée… Parle-lui. Et sans perdre de temps.

- Mais, Milos… Que veux-tu que je lui dise ?

- La vérité, j’imagine…

- Et les enfants ?

- Je suis là. Je m’en occupe. Va donc, Lumi. C’est un cas de force majeure. Si tu n'arrives pas à retenir Orcinus maintenant, tu ne le reverras jamais. Alors arrête de réfléchir. Parle à sa fiancée. Et va le rejoindre, où qu’il soit ! »

Si j’avais vécu dans un livre, j’aurais pu écrire, à ce moment-là de l’histoire, une scène tout à fait magnifique dans laquelle l’héroïne, cheveux libres, foulées folles, joues en feu, aurait arpenté les contreforts des dunes dans les lumières éclatantes du soleil du désert, entre silhouettes à contrejour, parfums musqués et sable d’or. Mais en réalité, j’étais oppressée, échevelée, pour ne pas dire déchaînée alors que je parcourais les dizaines de salles, de boudoirs, d’antichambres et de couloirs interminables qui composaient ce palais troglodyte. L’architecte n’avait-il imaginé des plans aussi biscornus rien que pour le plaisir de perdre les demoiselles en détresse ?

Toutes les splendeurs qui m’entouraient me semblaient soudainement oppressantes et hostiles. Les murs taillés directement dans la roche m’écrasaient de leur dureté minérale. L’eau qui serpentait d’une pièce à l’autre, par un miracle d’ingéniosité, dans un pays où la moindre goutte d’humidité était précieusement collectée et consommée, résonnait dans mes oreilles comme le glas ou le clairon. Quant aux plantes extraordinaires qui habillaient de vert murailles, dalles et plafonds, j’avais presque l’impression qu’elles me poursuivaient, qu’elles allaient m’attraper le bras ou la cheville comme des pièges pour que jamais, ô grand jamais, je ne puisse retrouver mon amour.

Et je courais partout, sans logique ni conscience, à la recherche de cette jeune fille qui, de l’aveu même d’Orcinus, éveillait dans sa mémoire, et peut-être dans son cœur, les échos d’une autre Lumi. Elle était jeune, innocente, décidée. Tandis que j’avais les bras chargés de rancœur, de non-dits et d’enfants cachés. Le choix risquait d’être rapide !

Mais la voix de Milos résonnait encore en moi, et même sans cap ni boussole, j’étais résolue à tenter ma chance, ne serait-ce que pour ne pas passer les dix années qui suivraient à me reprocher de ne pas l’avoir fait.

Et je finis par tomber sur Lumi, dans un boudoir joliment ombragé, grand ouvert sur le port et la splendeur de la mer. Elle était assise avec une élégance de lys, vêtue d’une robe verte qui brillait de mille feux et qui donnait à ses yeux de Champarfaitoise l’éclat insolent de deux émeraudes. A mon approche, elle se tourna vers moi et me regarda presque fixement, comme un chevalier jaugeant son adversaire à l’aube de la bataille.

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