Chapitre CXVII (1/2)
Malgré l’intensité poétique de cette salle creusée dans les falaises, ouverte sur les flots et parée de fleurs multicolores, je me sentais plus étreinte par l’angoisse que par la féérie. Je tentai d’abord de reprendre mon souffle, consciente que Lumi attendait patiemment que je lui explique les raisons de mon incursion dans son tête-à-tête avec elle-même. Je respirai donc un grand coup, et demeurant debout, seule, droite, je lui énonçai à voix basse toutes mes vérités.
« - Pardonnez-moi, Lumi, d’interrompre votre rêverie solitaire… Mais il faut absolument que je vous parle.
- Eh bien, je vous écoute… Lumi.
- …
- Décidez-vous !
- Oui. Voilà. Je m’appelle Lumi.
- Je le sais. Comme bon nombre de Champarfaitoises.
- En effet. Mais contrairement aux autres Champarfaitoises, j’ai grandi en plein cœur du palais royal, au carrefour de nos rivières sacrées, entre le bleu du ciel et l’infini des champs.
- …
(Lumi semblait prête à défaillir d’ennui et d’incompréhension devant mon récit décousu.)
- Et puis un jour, on m’a mariée à Rotu. Le prince, ou plutôt le roi ! J’étais ravie, malgré les mises en garde de mon père ! Et j’avais tort… Il s’est montré brutal et impitoyable. Alors je me suis enfuie. Et par hasard, j’ai été embarquée sur un bateau Lointain.
(L’intérêt sembla se réveiller dans le regard de mon interlocutrice.)
- Par hasard ?
- Oui. J’ai entendu les pas d’une patrouille, je me suis cachée dans une caisse… Cette caisse a été chargée à bord. Et voilà.
- Voilà.
- C’est ainsi que j’ai rencontré Orcinus. Enfin, Lomu, puisque c’est ainsi que vous l’appelez.
- C’est ainsi que ses parents l’ont appelé.
- Oui, je sais. Mais à l’époque, je l’ignorais. Lui aussi. Et nous étions si heureux ! Nous avons vécu ensemble pendant des mois… Jusqu’à ce que vos compatriotes ne mettent la main sur lui et ne l’emmènent loin de moi.
- Oh…
- …
- Puisque Lomu vous aimait, et si vraiment vous l’aimiez aussi, pourquoi l’avoir quitté sans un mot ?
- Non ! Ce n’est pas vrai.
- C’est pourtant ce qu’il m’a dit. Et il ne ment jamais.
- Il ne ment pas. Mais il s’est trompé ! Je ne pouvais pas partir. Parce qu’entre-temps, j’avais mis au monde deux enfants. Deux enfants qui sont les siens… Deux enfants que je ne pouvais pas abandonner, malgré tout mon amour pour leur père.
- Des enfants ? Lomu ne m’en a jamais parlé.
- Il n’en savait rien… Jusqu’à ce qu’on se retrouve ici, ces jours-ci.
- Vous lui en avez parlé ?
- Oui.
- Et que vous a-t-il dit ?
- Qu'il vous avait donné sa parole. Qu’il ne la reprendrait pas.
- …
- Et qu’il devait vous épouser.
- …
- Lumi, vous vous souvenez de votre discussion d’hier avec la princesse Sanaâ ? Je suis restée muette, parce que c’était trop dur, trop douloureux… Mais vous avez dit que vous saviez qu’Orcinus ne vous aimait pas ; et que cela vous convenait.
- Oui.
- Que cela vous convenait, du moment qu’il ne laissait pas derrière lui une ribambelle d’enfants illégitimes.
- C’est vrai…
- C’est une toute petite ribambelle, mais quand même, il y en a deux ! Je l’aime encore, Lumi, je l’aime de toutes mes forces. Et mes bébés n’ont même pas encore vu leur père.
- Que voulez-vous que j’y fasse ?
- Ne l’emmenez pas ! Ne nous l’enlevez pas.
- Vous voulez que Lomu vous revienne.
- Oui. A moi, et à ses enfants.
- Et il ne le fera pas, parce qu’il m’a donné sa parole...
- …
- Avez-vous refait l’amour ?
- Non… Cette parole-là aussi, Orcinus la tiendra. Personne, à part vous, ne peut l’en libérer.
- Et pourquoi ferais-je une chose pareille ?
- Parce que d’après ce que vous avez dit l’autre soir, il s’est toujours montré correct envers vous. Amical, même. Ne le lui faites pas payer trop cher…
- Bon ! C’est à lui de décider, de toute façon. Je ne vous promets rien… Mais je vais lui parler. »
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