Chapitre CXVIII (1/2)

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D’abord, je ne voulus pas y croire. Je courus plus que je ne marchai, sur le port, entre les échoppes, jusqu’au bout du quai : rien. Je fis le tour de la ville, espérant apercevoir, envers et contre toute logique, deux yeux d’ambre perchés sur des bras tendus… Mais la cité était vide sous son effervescence. Peu à peu, je cessai de m’agiter pour tomber dans une sorte de léthargie, une demi-conscience.


Puis l’évidence m’incendia le cœur en quelques secondes : Orcinus était parti avec l’autre Lumi. J’étais désormais seule comme la lune dans la nuit noire, pauvre caillou méprisable dans la chaussure sur-mesure de l’héritier du monde. Malgré toutes mes tentatives, à cause de mes maladresses ou de la cruauté du destin, j’allais rester seule sur le quai, un enfant dans chaque main, tandis que mon amoureux prenait le large et son envol avec cette si jolie jeune fille.


C’est donc la mort dans l'âme et un plomb dans l’aile que je me dirigeai vers le palais, traînant des pieds comme une centenaire, accablée de vide et d’impuissance. Toute ma vie s’était jouée pendant ces dernières heures… Et j’avais perdu ! Malgré sa promesse de lui parler, la jeune Lumi avait fini par partir avec Orcinus. Et lui, au lieu d’élever ses enfants à mes côtés, avait choisi de nous tourner le dos pour toujours. Honnêtement, à cet instant précis, la seule chose qui me faisait envie était de sauter d’une falaise avec un boulet au pied pour retrouver Aquahé, les dieux de Champarfait ou quiconque voudrait bien de moi pour m’emmener loin de ma souffrance pour l’éternité.


Mais il y avait les enfants… Les enfants qui n’avaient rien demandé, rien mérité, et qui reflétaient presque impitoyablement le sang et les traits de leur père. Je n’avais donc pas le droit de quitter le champ de ruines ou de bataille qu’était devenue ma vie ! Je puisai jusqu’au fond des ressources qui me restaient pour faire un pas, puis un autre, encore un autre, jusqu’à me retrouver seule dans le noir, tout au bout du palais, devant la porte close de mon appartement.


En entrant, je constatai immédiatement deux anomalies : une chandelle allumée entre les berceaux endormis et un silence opaque, anormal, qui régnait dans la pièce. Où était Milos ? Comment avait-il pu non seulement ne pas attendre mon retour, mais en plus, laisser brûler une bougie au mépris de la plus élémentaire prudence ?


L’air se coupa dans mes poumons tandis que je faisais deux pas précipités pour me rapprocher des bébés. Quelque chose clochait… La nuit était profonde, mais je ressentais comme une présence diffuse, intruse. Et je sursautai violemment lorsque je perçus une silhouette sombre noyée dans le noir. Je manquai de hurler, évitant par miracle d’éveiller les deux petits dormeurs, gardant les yeux vissés à une tenue d’or noir qui jaillissait de l’ombre et à un regard de miel figé qui accrocha le mien. Orcinus…


Mes yeux s’accoutumèrent à la pénombre et après quelques secondes, je le vis plus clairement. Il était assis sur un fauteuil qu’il avait approché au plus près des berceaux. Il était penché en avant comme on perd l’équilibre, ses yeux mouillés brillaient comme des flammèches dans l’obscurité.


- « Orci… J’ai failli mourir de peur ! Que fais-tu ici ?

- Je voulais les voir.

(Une émotion muette, midinette, se nicha dans ma gorge.)

- …

- Ils sont tellement mignons…

(Je m’approchai doucement de lui, cherchant mes mots autant que mon souffle.)

- Ils te ressemblent, tu ne trouves pas ?

- Peut-être...

(Sa voix était vibrante comme une émotion abyssale.)

- J’ai cru que tu étais parti.

- J’étais parti, en effet !

- Mais tu es là.

- Oui… Lumi est venue me voir tout à l’heure. Pour me parler. Me dire de choisir… Soit je tenais parole et je partais avec elle sur le champ, soit je me parjurais pour rester ici avec toi.

- …

- Et je suis parti, Lumi. La mort dans l’âme, l’amour en flammes, mais je suis parti. Mais à chaque minute, à chaque manœuvre. je voyais la ville disparaître à l’horizon et je sentais mon corps se figer comme de la glace. Et je n’ai pas pu. Pas pu abandonner mes enfants sans même connaître leurs visages. Pas pu m’éloigner de toi après la nuit que nous avons passée...

(Je m’approchai de lui comme on saute dans le vide et je me fis une place sur ses genoux, mes doigts se posèrent quelques secondes sur sa joue avant d’agripper timidement sa main.)

- Et où est ton bateau ? Je ne l’ai pas vu dans le port.

- Au mouillage, dans une petite anse, à quelques milles d’ici. Le vent n’était pas favorable pour faire demi-tour et revenir à la voile… Alors je suis rentré à pied, puis avec des chameliers qui m’ont emmené.

- Et… L’autre Lumi ?

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