Chapitre CXX (1/2)
Il y a des jours où la vie glisse mieux que d’autres. Je me sentais infiniment bien, allongée tout contre Orcinus, tandis que l’aube s’ébrouait en silence au-dessus de la mer. La ville était encore endormie, éteinte, même si quelques pas commençaient à se faire entendre sur le pavé de la rue, dans le lointain.. Mon amoureux était un parfait mélange de moiteur et de force, de langueur et de sel, de moelleux et de piquant. Je lui caressais le ventre, le bras, la main, le cou, comme si je savais que je ne serais plus jamais rassasiée de lui. Pendant quelques secondes, je suivis du doigt la petite cicatrice, discrète, gracile, qui plantait comme une virgule dans son sourire, sur sa joue droite. J’avais presque envie de ronronner ! Mais je choisis de revenir à ma réalité ou plutôt, à celle de mon compagnon.
« - Au fait, Orci… Et toi ?
- Quoi, moi ?
- Je t’ai raconté tout ce qui m’était arrivé pendant que tu étais loin. Ma grossesse, les enfants, les Lointains. Et Rotu… Mais pour toi, que s’est-il passé ? Est-ce que ces étranges pirates plus ou moins champarfaitois t’ont fait du mal ?
- Oui et non.
- Mais encore ?
- Eh bien… Ils m’ont enlevé, attaché, enfermé. Je ne peux pas dire qu’ils ne m’ont pas fait de mal. Mais j’ai été relativement bien traité, au début.
- Au début… Et après ?
- Disons que mon intervention, le jour de la mort de Tempetus, n’a pas été très appréciée de mes geôliers. A partir de là, les choses se sont compliquées. Quand je vous ai défendus… Quand j’ai exigé qu’ils vous rendent le corps de notre second capitaine… Les loyalistes m’en ont voulu.
- Et ?
- Le soir où vous avez rendu la dépouille de Tempetus à la mer, pour qu’il retourne vers Aquahé… Je vous regardais depuis la fenêtre de l’appartement dans lequel ils m’avaient enfermé. L’un des officiers de la garnison m’a vu, il a compris que j’étais triste, que j’étais perdu. Que j’étais Lointain, en fait ! Alors il m’a puni.
- Puni comment ?
- Il m’a bousculé. Fort… Contre un mur.
- Tu as été blessé ?
- Brûlé, plutôt : sur ce mur, il y avait quatre ou cinq flambeaux d’apparat, installés les uns au-dessus des autres, qui éclairaient la pièce : il fallait bien cela, puisque je suis leur prince, soi-disant ! Résultat, je suis tombé pile là où il ne fallait pas.
- Aïe… Tu as eu très mal ?
- Franchement : oui ! Attends, lève-toi une seconde…
(Je m’éloignai un peu et me tournai vers lui, appuyée sur mon coude, tandis qu’il entreprenait de retirer sa tunique et de s’allonger sur le ventre. Je vis alors que sa peau était brune, flétrie, bosselée, sur une petite surface à l’arrière de sa jambe et sur un endroit plus vaste, triangulaire, entre ses côtes et son omoplate gauche.)
- Oh… J’avais bien vu que tu avais comme des taches sur la peau quand nous nous sommes baignés, l’autre nuit. Tu m’as dit que ce n’était rien. Tu appelles ça rien ?
- Ce n’est rien, aujourd’hui.
- Tu as dû souffrir affreusement !
- Je n’ai pas dit le contraire.
- Comment peux-tu avoir eu une brûlure aussi large avec des chandelles ?
- C’étaient des bougies assez grosses. Elles sont tombées les unes sur les autres, un rideau a pris feu, et moi j’ai glissé au milieu de tout ça. Enfin je crois : tout s’est passé très vite. J’ai perdu connaissance. Quand je me suis réveillé, quelques heures plus tard, l’officier qui m’avait poussé avait été mis aux arrêts, mon dos était couvert de bandages et j’avais mal à en crever.
- Ils t’ont soigné, au moins ?
- Oui. Mais aucun Asclépios n’est installé chez les loyalistes. Ils ont fait comme ils ont pu.
- Tu as montré ça à Milos ?
- Non.
- Bon ! Je lui en parlerai.
- Ce n’est pas la peine, Lumi.
- Ce n’était pas une question, Orci. Je lui en parlerai.
- …
- Rien que de te voir comme ça, j’ai mal pour toi.
- …
- Tu es resté allongé longtemps ?
- Un moment, oui. Je ne sais plus. Vous étiez partis. Tempetus était mort. Tu étais loin. Je ne regardais plus tellement le calendrier, à ce moment-là. Mais ça m’a semblé interminable !
- Je suis désolée…
- Pas moi. Déjà à l’époque, je n’ai pas hésité une seconde à tout faire pour qu’ils ne vous tuent pas, Perkinsus, Tempetus et toi, depuis les remparts de cette forteresse glaciale. Mais maintenant…
- Maintenant, quoi ?
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