Chapitre CXXI (1/2)

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Je faillis éclater de rire devant la mine affolée, déboussolée, qu’afficha Orcinus face au volume sonore de ses enfants. Il semblait chercher un taquet ou un cabestan pour les arrêter… Ou attendre que je lui dise quoi faire, mignon comme tout, concentré comme jamais, attentif comme toujours. Ma gorge se serra comme un étau devant cette scène de famille si simple, si banale, que nous partagions pour la première fois.

« - Ils ont du coffre : ils pourront être veilleurs, acteurs ou chefs de quart… Ils crient souvent comme ça ?

- Tous les matins… Ou presque. Bienvenue chez les papas, Orcinus.

(Le feu de son regard se teinta de terre de sienne.)

- …

- Tu t’en occupes ?

- Et tu retarderas ton ultimatum ?

- Ah non ! Tu as raison. L’ultimatum d’abord.

- Donc j’ai rencontré les petits hier et je les abandonne dès le lendemain ?

- Tu ne les abandonnes pas : tu gères un problème. C’est un cas de force majeure.

- Mais non… Lumi m’a elle-même poussé dehors. Avec une belle baffe en prime. Où est la force majeure ? Elle ne risque pas de me reprendre. D’ailleurs, je ne suis pas un paquet qu’on s’échange, même si beaucoup de monde a tendance à l’oublier.

- Alors disons que c’est un cas de jalousie majeure.

- Lumi…

- S’il te plaît, Orcinus.

- Bon. Si c’est si important pour toi…

- Tu es un amour !

- Ou un imbécile… »

Il marmonna quelque chose dans sa barbe naissante ; puis il se leva et s’habilla en me tournant le dos, cachant ses brûlures autant que ses émotions. Je m’enroulai dans le drap de lin brodé d’or et de safran aux armes d’Héliopolis qui était en boule au pied du lit et je sautai sur mes pieds pour le rejoindre. Devant son air interrogateur, je déposai un baiser de plume sur ses lèvres. Il sourit en grand et me serra contre lui. Je sentis sa chaleur à travers les étoffes et il m’embrassa comme une évidence. Puis il quitta la pièce, non sans déposer au passage, sur les fronts sonores de ses enfants, deux petites caresses qui n’osaient pas encore.

Après son départ, je restai quelques secondes figée comme une statue au milieu de la pièce, une main cramponnée au drap qui sauvegardait ma pudeur et l’autre posée sur ma bouche. J’avais peine à croire que mon cauchemar était terminé, qu’Orcinus était à nouveau près de moi, que mes bébés connaissaient enfin leur père. Tout autour de nous, malgré l’exil forcé, l’anarchie à Champarfait, la punition de ma sœur, l’incertitude qui était ma seule certitude pour l’avenir, il me semblait que les planètes allaient enfin s’aligner. Que si nous étions ensemble, mon amoureux et moi, rien ne pourrait nous terrasser.

Je n’eus cependant guère le temps d’approfondir ma rêverie : ma progéniture semblait au bord de la mutinerie et il était urgent d’apaiser leurs petits estomacs ! J’obtempérai avec une sérénité nouvelle, apaisée, qui semblait rejaillir sur le comportement des enfants : une fois nourris, ils furent parfaitement adorables, alternant risettes et gazouillis dans la joie et la bonne humeur. Quand je les eus lavés et habillés de frais, je les laissai jouer sur le moelleux du tapis tandis que je m’installai avec un livre dans un fauteuil confortable, juste à côté d’eux. Je ne lus pas une ligne, évidemment ! Car mon esprit vagabondait dans tous les sens…

Je renonçai donc, et pour passer le temps, j’entrepris de faire une toilette soignée. Je me lavai des pieds à la tête avec un savon au lait et au miel qui parfuma tout l’appartement, je choisis avec soin une tenue Lointaine colorée et seyante, mais confortable, puis je me brossai longuement les cheveux jusqu’à ce qu’ils retrouvent du mouvement et de la lumière. Lorsque j’eus fini, le miroir me renvoya une image que je n’avais pas contemplée depuis longtemps : celle d’une jeune maman certes un peu cernée, un peu fatiguée, mais debout et droite. Même si je dois avouer que plus les minutes passaient, plus une petite musique absurde murmurait dans mon oreille : et si Orcinus ne revenait pas ?

Mais il revint, huit minutes avant la fin de mon compte à rebours, avec ses yeux d’ocre et ses mains douces. Il lut l’impatience dans mes yeux et s’en amusa ouvertement, semblant soudainement totalement absorbé dans la contemplation de ses enfants et me laissant mijoter tranquillement. Jusqu’à ce que je le rejoigne d’un bond, faisant sursauter mon fils au passage.

« - Alors ? Tu me racontes ?

- C’est drôle, il y a des moments où ils me ressemblent et d’autres où ils me font vraiment penser à toi. À tes expressions.

- Je sais… Mais tu ne réponds pas à ma question.

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