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À la fin du premier trimestre, un grand mouvement de déménagements fut autorisé, les copains et les amis cherchant à regrouper leurs affinités. Bien sûr, je voulais être avec Charly. Quand j’en parlais à Camille, lui disant que j’aimerais aussi que nous restions ensemble, il me sauta au cou, puis se recula très vite, honteux de son élan. Camille se mit au fond, loin de l’allée, disant que j’étais son rempart. Alors que nous n’en avions jamais plus parlé depuis ses encouragements du début, il ajouta d’une voix minuscule, rougissant, qu’il savait que je dormais « des fois » dans le même lit que Charly. Nous pourrions le faire plus facilement avec des lits côte à côte ! Lui, il s’en fichait. Ses paroles me clouèrent. Non seulement il connaissait ma relation avec Charly, que je pensais absolument secrète, mais il m’approuvait. C’était une double intrusion dans ma vie personnelle. Au lieu de me mettre en colère, ses remarques m’attendrirent. Il s’intéressait à moi, se permettant d’intervenir comme un intime. Je ne savais pas que j’avais tant d’importance pour lui. Il me révélait son amitié, alors que je me sentais encore si loin de lui. Vraiment, il était curieux et incompréhensible.

En arrivant dans le box, Charly découvrit Camille et notre étrange relation. Chaque soir, il pouvait nous voir, assis tous les deux face au mur, tournant le dos au reste du monde, réfugiés dans notre petit moment d’intimité, épaule contre épaule, soudés l’un à l’autre. Camille me racontait sa journée, alors que je l’avais vécue avec lui. Il me décrivait des petits faits qui m’avaient échappé, les relations entre nos camarades, ses émotions. Nous chuchotions, sensibles à l’autre. Quand il était triste ou malheureux, je lui tenais la main. Cinq minutes, une heure, cet instant privilégié renouvelé quotidiennement était un vrai bonheur.

Avec le temps, ces moments devenaient de plus en plus forts. N’ayant rien d’intéressant dans ma tête, je parlais plutôt de mes fantasmes, de mes interrogations. Je me demandais ce que j’étais, pourquoi recherchais-je des amitiés masculines en rêvant d’amour avec une fille ? Il ne réagissait pas, ne montrant ni intérêt ni rejet. Je devais comprendre, plus tard, qu’il enregistrait et se servait de ces informations pour mieux décrypter les relations qu’il observait.

Comme pour le reste, il s’ouvrit petit à petit, laissant tomber un « Ah, bon ! », un « Nan ? », qui m’incitaient à développer. Puis il me fit part de ses constatations. Discret, effacé, on ne faisait guère attention à lui. Intelligent, observateur aigu, psychologue, il captait très bien les relations entre nos camarades. Il me disait qui était attiré vers qui, ceux qui flirtaient ensemble, ou qui allaient le faire, une vraie gazette des relations amicales et amoureuses entre tous ces adolescents.

Il avait un don pour deviner les relations qui allaient déboucher et les couples qui allaient éclater. Il me distillait ses informations au compte-goutte. Je l’écoutais et me mis à étudier nos camarades. Cela mit des mois à se mettre en place, mais nos commérages me plaisaient énormément. Nous partagions ainsi tous les secrets de cette jeune troupe. Bien sûr, à son contact, j’avais affiné beaucoup mes observations et maintenant nous croisions nos conclusions et nos prévisions. Chacune de nos intuitions qui se réalisait nous rendait encore plus complices. Cela se produisait souvent, tellement nos camarades étaient prévisibles et exposaient clairement leurs sentiments : ils les vivaient sans doute trop intensément.

C’est cette grande complicité, je crois, qu’il lui permit de me révéler son secret.

***

Un jour, je lui dis que j’étais triste pour lui. Échanger des caresses, avoir un contact physique, avec un autre garçon ou une fille, était un besoin, une nécessité. Il était trop isolé, il allait dépérir s’il n’avait pas une tendre amie. Mes paroles le touchèrent. J’avais appuyé à l’endroit sensible. Il se mit à parler, me disant sa profonde solitude, sa souffrance. Il me dit qu’il m’aimait beaucoup, car j’étais la première personne à m’être intéressée à lui, à vouloir être son copain, son ami termina-t-il dans un murmure. Il avait peur des autres, il fuyait la proximité physique et affective. Il me prit la main, posa la tête sur mon épaule et pleura doucement. Les lumières étaient éteintes. Charly devait nous voir dans la pénombre des lampes de secours, se demandant ce qui se passait. Je le laissais pleurer, lui tenant tendrement la main, ne voulant pas l’effrayer par des gestes plus appuyés qui me démangeaient. Il s’arrêta de pleurer, tourna la tête vers moi, me dit tristement merci. J’allais me lever quand il me demanda, inquiet : « Tu ne me souhaites pas bonne nuit ? ». Alors, je craquai. Au lieu du doigt habituel, c’est un petit et délicat baiser que je lui posais sur la joue. Je le terminai par ma caresse habituelle du doigt et un mot doux. Je regagnai mon lit, bouleversé par ce qui venait de se passer.

La porte était entrouverte. Il faudra encore du temps pour qu’il ouvre son âme. Il commença par le corps. Maintenant, il aimait me prendre la main, puis le bras, quand nous causions. Il acceptait la réciproque. Il se blottissait aussi, cherchant un contact fort, au-delà de l’effleurement. Je savais qu’il fallait que je respecte sa vitesse. J’étais dans un labyrinthe, espérant découvrir un trésor. Un soir qu’il semblait plus abandonné vers moi, je tentais de lui voler un baiser sur la bouche. Un égarement, un besoin de tendresse avec ce curieux garçon qui me remuait le cœur. Il me repoussa violemment en me criant presque qu’il ne voulait pas ça. Il avait besoin de ma tendresse, pas de sexe, m’expliqua-t-il ensuite, une fois calmé. Je lui demandais pardon pour mon manque de respect.

Décidément, mes deux exceptions voulaient me garder chaste !

***

La fin du premier trimestre approchait, avec les fêtes de fin d’année. Ma vie avait simplement été révolutionnée. Physiquement, je n’avais pas beaucoup changé, toujours aussi maigrelet. Je participais à des activités sportives en fin de journée et je me sentais forcir. Visuellement, cela restait insignifiant, à mon grand désespoir, car je forçais aux exercices jusqu’à me faire mal. C’était Fabrice qui m’avait entrainé dans ces activités. Quand nous revenions du gymnase, en faisant un petit détour, il me commentait le physique de nos camarades, de leur attrait sexuel, de son attirance. Il le faisait avec un humour grinçant et surtout des termes d’une crudité qui me faisait souvent rougir. J’appris beaucoup de choses ainsi sur la sexualité des garçons et sur l’homosexualité. Il ne me le dit jamais ouvertement, mais ses propos étaient clairs et il assumait sereinement sa situation. Cette absence de questions, cette acception tranquille me plaisait.

Il me raconta son initiation, par un vieux de vingt ans alors qu’il avait douze ans, comment il l’avait vécu, la joie de cette découverte. Il me raconta ses progressions, ses amours et ses désespoirs. Il aimait se raconter et j’aimais écouter ses histoires sur un monde que je ne connaissais pas. Un monde qui n’était pas le mien, un monde qui me semblait si proche, si… tentant ? Jamais il ne m’interrogea sur ma vie sexuelle. Il savait ce que nous partagions, mais semblait indifférent à mes autres aventures. Heureusement, comment lui aurai-je décrit ma relation avec Camille, cette amitié fondante ? Comment lui dire ce que je ressentais pour Charly, alors qu’il ne se passait rien ? Lui, en revanche, ne me cachait pas qu’il avait d’autres partenaires. Je n’ai jamais su leur nom, seulement que nous étions plusieurs dans cette classe à avoir des pratiques particulières, selon son expression.

Il me parla de nos échanges, du plaisir qu’il avait avec moi, me répétant qu’il me trouvait excitant. Ces aveux me mettaient un peu mal à l’aise, touché par l’image érotique que je dégageais, troublé par sa nature. Entendre formuler ce que nous faisions le rendait trivial et complètement sexuel. Paradoxalement, cela me déculpabilisait, pour autant que je me sentisse coupable.

Si mes activités avec Fabrice étaient simples, faciles et satisfaisantes, mes relations avec Charly, Camille et Claire, m’apportaient beaucoup de plaisirs et autant de frustrations et d’interrogations. Le monde humain me semblait incompréhensible et trop compliqué. Je regrettais les contes de mon enfance : le prince rencontre la princesse, ils s’aiment immédiatement et ils ont plein d’enfants ! Facile.

Cette complexité apportait cependant d’autres attraits. D’abord, l’amusement, l’excitation, à comprendre, à démêler ces écheveaux. Surtout la richesse de ce qu’il y avait d’associer. La princesse, ou le prince, devaient, finalement, être assez ternes !

D’un côté Claire et les autres filles, de l’autre Fabrice, Charly. Sans compter Camille, ailleurs, mais aimant. Quel sac de nœuds ! Personne ne m’avait parlé de l’attirance, de l’orientation, de la sexualité simplement. Je retournais ce fatras, me posant des questions sur moi, mes préférences. Je me rendis compte alors que, dans mon cas, tout était dissocié. Pour l’attrait intellectuel, l’esprit, la complicité, Delphine, mais sans tendresse. Pour la tendresse, les caresses, la chaleur, Charly, mais sans les paroles. Pour l’amitié, l’abandon, la confiance, Camille, mais sans le sexe. Pour la jouissance sexuelle, le plaisir brut, Fabrice, mais sans les sentiments. Pour la présence attentive, la sollicitude et les yeux d’amour, Claire. Étaient-ce les circonstances, les personnes ou moi qui morcelaient ainsi ma vie et mes sentiments ? Je tenais infiniment à chacun d’eux et aucun ne me contentait entièrement. Qu’est-ce que je recherchais ? Avec chacun, une félicité absolue, associée à une frustration totale. Je devais mal m’y prendre, voulant le meilleur en refusant d’admettre que la personne parfaite sur tous les plans n’existe pas. Ou si elle existe, on ne peut vivre avec elle, incapable de s’aligner. J’aimais trop chacun pour ce qu’ils m’apportaient. Je ne voulais rien abandonner. On verra bien comment cela va évoluer. Je voulais profiter de chacun de mes trésors.

Une fois posé ainsi, je me sentis heureux, apaisé. J’avais évacué la question de ma sexualité. Fallait-il poser une étiquette dessus, pour quoi faire ?

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