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Ma relation avec Charly me devenait insupportable. Les journées se déroulaient identiques, dans l’indifférence réciproque. Mais quand il pénétrait dans la pièce où je me trouvais, même dans mon dos, une chaleur me traversait.

Mes rares nuits avec Charly restaient d’une chasteté absolue, seul le plaisir du contact du corps aimé importait. Bien qu’à l’étroit dans ce lit, c’étaient des nuits merveilleuses. Les journées suivant étaient plus pesantes. À part les mots des deux premières nuits, Charly ne m’avait jamais adressé la parole. De mon côté, si la nuit nous obligeait au silence, plusieurs fois, dans la journée, j’avais réussi à m’approcher de lui, sans personne dans les parages. Chacune de ces fois, quand je commençais à ouvrir la bouche, tellement j’avais besoin de partager avec lui, d’échanger, de le connaitre, il me faisait taire. Un doigt sur la bouche, sur la mienne, où je me forçais à deviner l’esquisse d’un petit baiser. Je n’osais enfreindre sa demande de silence alors qu’elle me devenait de plus en plus intolérable. Mon paradis se pavait d’enfer. Je ne comprenais pas cette relation physique, à peine, sans rien d’autre. Cela devenait bancal, frustrant. Un matin, en le quittant, je lui murmurai :

– Il faut qu’on parle !

J’attendis toute la journée. Le soir, comme il n’avait fait aucun geste, dépité, triste, je m’enfouis la tête dans le traversin, pleurant cette relation impossible, sa fin prochaine. J’attendais, j’espérais sentir son corps venir se couler contre le mien. Rien. Assommé, effondré, inondé, je partis dans une suite de cauchemars et d’éveils qui me laissa démonté le lendemain. Douloureux de partout, fiévreux, je me rendis à l’infirmerie pour fuir ce monstre qui me dévorait.

L’infirmière n’ayant rien diagnostiqué mit cela sur le compte de la fatigue et m’accueillit la journée et la nuit suivante. Seul Camille passa prendre de mes nouvelles. Il essaya de me distraire alors que ses yeux m’imploraient de lui parler. J’étais contaminé par le mutisme maladif de Charly. Devant mes pleurs ininterrompus, l’infirmière comprit que c’était un chagrin d’amour. Je fus horrifié quand elle me dit cela. Je lui avouai, perdu, que c’était un copain, pas une fille.

– Et alors, tu n’as pas le droit d’aimer un copain et de souffrir parce qu’il te laisse tomber ? C’est ton cœur qui saigne, peu importe pour qui !

Je n’étais pas le premier qu’elle voyait, me dit-elle. Elle me câlina, me dit des mots apaisants, pris soin de moi, me disant que plus ils sont durs, plus ils sont guérissables. J’avais trop besoin de la croire. Je me laissais aller, touchant le fond du désespoir. Je restais endormi presque une journée entière.

Grace à son sourire, je retournais vers les autres. Je remontais doucement la pente, ignorant et fuyant Charly, ressentant l’épine s’enfoncer quand je l’apercevais. J’arrivai à me détacher, à ne plus penser à lui. Je veux dire à ne plus penser à lui pendant un bref instant. J’évitais de savoir ce qu’il vivait, refusant de poser mes yeux sur lui.

La tristesse était ma compagne. J’ignorais Fabrice, l’envoyant balader d’un revers d’épaule quand il s’approchait. Je devais être insupportable, sans un mot. Le soir, j’allais voir Camille en soupirant, car je ne supportais plus son regard attristé. Jamais il ne me fit une remarque. Il me disait des choses gentilles et il arrivait à me faire sourire.

Un soir, au foyer, alors que j’étais assis dans un coin à feuilleter une bande dessinée lue et relue, attendant l’assommoir du sommeil pour monter, Charly vint s’asseoir sur l’accoudoir de mon fauteuil. Je ne l’avais pas senti venir et ce sont ses paroles qui me firent lever les yeux en sursautant :

– Tu sais, ce n’est pas facile pour moi de parler. Reviens, tu me manques. Je ne veux pas te faire de mal, mais je ne sais pas être autrement.

Je ne le savais pas capable d’enchainer tant de mots ! Il se leva avant que j’aie pu réagir. Ma vie repartait, mais il était déjà loin. Je me levai en appelant :

– Charly !

Il se retourna, ainsi que les cinq ou six élèves encore présents malgré l’approche de l’heure limite.

– Reviens !

Il fit demi-tour. Tous les yeux nous suivaient. Je le pris dans mes bras quand il s’approcha, geste irrésistible, indifférent aux regards des autres. Notre étreinte était ambiguë et pouvait se voir comme amicale, fraternelle ou amoureuse. Nous nous décollâmes et il s’assit dans le fauteuil voisin. Le spectacle étant terminé, chacun repartit dans son occupation. Nous étions tous les deux, pour la première fois à nous regarder face à face.

Je le trouvais encore plus beau qu’au travers de mes regards fuyants. Surtout ses yeux étaient posés sur moi et j’y lisais de l’admiration, de la vénération. Cet instant était aussi intense que nos premières étreintes. Qui es-tu, Charly ? Pourquoi suis-je autant attaché à toi ? Aussi dépendant ? C’est quoi notre relation ? Amitié, amour ? Pourquoi nous limitons-nous à un contact épidermique ? Pourquoi ne dis-tu jamais rien ? Pourquoi ne pas afficher notre relation ? Charly, aide-moi, j’ai trop de questions.

Il me regardait, toujours en silence. Nous avions entendu plusieurs fois la porte battante. Je me retournais. Il ne restait qu’un dernier mec. Bientôt, la porte bâtit à nouveau.

Alors, je lui pris la main :

– Charly, qui es-tu ? Que se passe-t-il entre nous ? J’ai besoin de toi et ton silence me fait fuir. Parle-moi, montre-moi, montre-toi.

– Jamais depuis… depuis longtemps, je n’ai été attiré et ressenti autant de tendresse pour quelqu’un. Tu m’apportes une paix que j’avais perdue. Je viens de loin. Je suis encore loin. Je ne peux pas parler. J’ai juste besoin de toi, atrocement besoin de toi. Épargne-moi. Si tu savais comme c’est difficile. Ne m’abandonne pas, pas une nouvelle fois.

Je me mépris sur ce qu’il voulait dire. Déjà, qu’il ait aligné toutes ces phrases pour moi était un superbe cadeau. Le retrouver, l’aider, mais je ne demandais que cela ! Je me levai, m’approchai, lui baisai la main, puis posais mes lèvres sur les siennes, sans chercher à forcer sa bouche. Nous étions en train de franchir un seuil, de nous rapprocher.

– Hé, les mecs, on joue aux pédés ?

Reculade. Ils étaient deux, hilares, au lieu d’être aucun, des terminales, que nous ne connaissions que de vue.

– Allez, les petites tapettes, amusez-vous bien ! Passez une bonne nuit à vous mettre !

Ils sortirent.

Leur réflexion me fit sauter au visage que j’aimais un garçon. Camille, c’était un ami, plus qu’un copain, un grand ami, pas plus. Fabrice, c’était un amusement qui ne prêtait pas à conséquence, m’étais-je assez répété. Avec Charly, nous n’avions rien fait, à peine une esquisse de caresses. On ne pouvait même pas appeler ça des caresses. Mais ce que je ressentais pour lui, pour moi, c’était de l’amour. L’infirmière me l’avait dit, je n’avais pas voulu entendre. J’aimais un garçon ! Il fallait que j’ouvre les yeux, que j’accepte mon orientation sexuelle. Enfin, je ne savais pas bien. Je jouais avec Fabrice, mais il n’était qu’un camarade pour moi. J’aimais Charly, mais il n’y avait rien entre nous.

Je regardais Charly, sans doute un peu atterré :

– Je n’avais pas réalisé que j’étais homo…

– T’es con ou quoi ? Laisse ces cons penser ce qu’ils veulent et viens avec moi, j’ai tellement besoin de toi !

Encore plusieurs phrases d’affilée ! Causer avec lui devenait possible. Quelle ouverture soudaine ! Nous regagnâmes le dortoir et bientôt son lit, dans le silence obligé du lieu.

« J’ai tellement besoin de toi ! », ses mots revenaient en vagues dans ma tête. Roulantes : « Oui, je veux être là pour toi ! » Déferlantes : « Pourquoi as-tu tant besoin de moi ? ». Finissantes : « Et moi ? Pourquoi ai-je besoin de toi ? ». La vague suivante arrivait, reprenant les questions, ma main posée sur sa poitrine apaisée, mes yeux humides. Que c’était dur d’être et ne pas être !

Les jours suivants, il reprit son caractère distant et taiseux. J’arrivais cependant à arracher quelques mots. Au moins, il m’écoutait. Je lui ai raconté ma vie, particulièrement banale et sans intérêt. Je ne savais toujours rien de la sienne. Il ne me disait rien, je n’attendais rien.

Nos nuits communes se sont espacées. J’évitais d’aller me blottir contre lui, les lendemains devenant plus douloureux. Quand je sentais qu’il souffrait de mon absence, je le rejoignais. Il me prenait dans ses bras. Je ne bougeais pas, ne sachant pas pourquoi, cette fois encore, j’avais cédé. Demain, son silence me torturera encore plus. Il me serrait fort, avec délicatesse. Je voulais partir. Et puis, le déclic se produisait. Je sentais son énergie me remplir. Je flottais dans la paix, le bien-être. Je devais vibrer de la même façon, car son étreinte devenait plus souple et plus solide. Le matin, je le quittais et je tombais en morceaux, me jurant de ne pas revenir, jamais, trop dur.

Nous ne bougions pas durant ces nuits, nos mains posées sur l’autre, immobiles. Une nuit, cependant, emporté par un élan, ma main a glissé vers son bas ventre. Elle soulevait la ceinture de son pyjama quand sa main m’arrêta. Il souleva cette main fureteuse et murmura :

– Non, s’il te plait, pas encore, pas maintenant, je ne sais pas. Ta tendresse, oui, beaucoup. Le reste…

Décidément, il ne parlait que dans les situations extrêmes. Je n’avais qu’une envie, fuir cette attirance funeste. Je n’avais qu’une envie, me fondre en lui, le trouver enfin, lui.

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