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J’avais compris depuis longtemps que Camille avait un problème avec son sexe. Je savais aussi que c’était le sujet tabou pour lui. L’aborder risquait de ruiner notre relation. Pourtant, après qu’il se soit lâché sur bien des plans, une fois que nous étions sortis tous les deux en ville, je sentis sur le chemin du retour que c’était le moment. C’était un soir d’avril très frais. Nous marchions vite, côte à côte, nos épaules se frôlant au rythme de nos pas. Il était détendu, souriant. Je commençai par lui dire ce que je ressentais, qu’il m’intriguait toujours autant, qu’il m’attirait par la sympathie qu’il dégageait et la confiance qu’il m’avait donnée. Je continuai en lui disant l’importance pour moi de notre relation, de son affection. Pourtant, il restait un point qui empêchait une amitié plus forte, plus sereine. Je savais qu’il avait un problème important, avec son sexe murmurai-je, mais je m’en fichais, quel qu’il soit. Ce que j’aurais aimé, c’était que nous enjambions cette question pour aller plus loin. Tant qu’il n’aurait pas évoqué avec moi cette question, nous tournerions en rond. Son problème, je n’en avais rien à faire. Qu’il ne me l’exprimât pas était une blessure.

Son épaule appuie contre la mienne. Sa main cherche la mienne, la serre fort quand elle l’a trouvée. Il s’arrête, s’adosse au mur, me regarde avec ses yeux tristes.

– Je sais tout ça, Sylvain. Je tiens à toi. J’ai une grande confiance en toi, si tu savais… Mais je ne peux pas te dire, c’est dur. Pardonne-moi, ce n’est pas pour te blesser, oh, non ! Je ne peux pas.

– Je comprends, je ne t’en veux pas. J’attendrais le temps qu’il te faudra. Ça n’a pas tant d’importance. Le jour où tu voudras, je serai encore là. Laisse tomber. Excuse-moi de te harceler comme ça.

Ma réponse en retrait, involontairement, déclenche sa parole.

– Après tout, je vis avec depuis si longtemps. Il faut bien que d’autres le sachent !

– …

– Tu me parles très souvent de ton sexe et des questions qu’il te pose. Moi, je n’en ai pas. Voilà, c’est tout !

Le coup était rude, inattendu. Jamais je n’aurais pensé qu’il puisse y avoir des gens sans sexe. Jamais je n’aurais pensé que Camille pouvait être… Je me taisais. Il continua.

– Je ne suis ni fille ni garçon. Je suis rien… À ma naissance, comme il fallait déclaré quelque chose, mes parents on dit garçon, parce que j’ai un petit machin et pas de trou.

Je le laissai parler. De toute façon, je n’avais rien à dire.

– Enfant, j’aimais les jeux de garçon ou de fille, je m’habillais le plus souvent en garçon, mais je m’en fichais. J’étais déclaré comme garçon, alors je disais que j’étais un garçon. Tu m’as regardé ? J’ai l’air d’un garçon ? Même pas ! Et je ne ressemble pas à une fille non plus ! Chaque fois, j’étais mal à l’aise, je ne savais pas quoi répondre, car je mentais forcément. Il n’y a pas de place pour les gens comme moi, on n’a pas le droit d’être différent, d’être autre chose. Le plus simple a été de me replier, de ne pas avoir d’ami ou de copain. Moi, je ne me pose pas de question sur mon sexe, dit-il en crachant ce dernier mot. Plus personne ne s’intéressait à moi et c’était mieux comme ça.

– …

– Non, en fait, si tu savais comme c’est dur d’être seul. D’être dans le silence, de ne pas pouvoir parler, jouer, rire avec les autres.

Nous nous sommes assis sur un banc pendant qu’il parlait. Je comprenaiss maintenant pourquoi il m’intriguait tant. J’étais en train de découvrir ma sexualité alors que pour lui, la sexualité n’existait pas. Nous étions deux garçons, enfin deux personnes, vivant côte à côte, vivant une vie presque identique et nous étions totalement différents. J’étais choqué par cette différence. Du fond de mon âme, la réponse est venue, simple, naturelle, évidente.

– Je m’en fous de ce que tu es ou n’es pas. Tu me plais, je t’aime. Je veux être ton copain, ton ami. Je veux te connaitre.

– C’est vrai, cela n’a pas d’importance à tes yeux ?

– Mais non. Bon, tu viens ? On se pèle de froid assis sur ce banc à écouter tes histoires à la noix !

Je lui envoyais une grande bourrade pour éviter l’envie de le prendre dans mes bras. Nous échangeâmes quelques coups, pour bien sentir que nous étions des amis inséparables, sans oser nous étreindre par une pudeur d’amitié.

Depuis ce jour, nous n’avons rien échangé de plus sur ce sujet. Son changement a été stupéfiant. J’ai mis du temps à comprendre, mais il avait changé de silhouette, il était plus grand, plus gracieux. En fait, auparavant, il avait toujours la tête entrée dans les épaules, tassé sur lui. Maintenant, il émergeait, il dressait sa tête sur son long cou mince. Il bougeait autrement, plus libre, plus délié. Surtout, il participait dans les groupes, osait couper la parole, imposer son point de vue. C’était un nouveau Camille, formidable, qui me touchait encore plus. Il me collait toute la journée, pour ma grande joie. Nous étions inséparables et quelques qualificatifs méprisants nous furent lancés. Quelle importance ! Nous étions deux amis, simplement.

J’aimais le voir libéré. Un soir, il se mit à délirer sur lui, disant qu’il était forcément hétérosexuel, personne n’étant comme lui, sans sexe. Et que même s’il rencontrait quelqu’un de semblable, il ne pourrait pas être homo ! On ne peut pas être homo de rien. Je trouvais ça formidable, cela voulait dire qu’il le prenait avec recul. Je lui dis ma bonne surprise, pensant comment il était quelques mois avant. Il me dit que j’y étais pour beaucoup. Je refusais ce rôle, voulant lui laisser ses efforts de progression.

***

Il alla plus loin. Un soir, vers la fin de cette année, quand nous étions devenus des amis, de grands amis, des complices, il m’avoua son envie de dormir avec moi, comme je le faisais avec Charly, du reste de moins en moins souvent.

– Mais tu sais, il ne se passe rien entre Charly et moi. Nous nous étreignons, c’est tout.

– C’est ce que je veux ! T’avoir dans mes bras, tenir mon ami contre moi. Je ne te demande pas de me baiser !

C’est Camille qui parlait ! Qui aurait cru qu’il se comporterait un jour aussi librement ? Cette demande me fit monter au septième ciel. Je ne voulais que ça !

– Et…

– Et ?

– Euh, tu n’essaies pas de me toucher le… le bas du ventre, termine-t-il en apnée.

– Camille, je ne ferai jamais ça !

La nuit suivante, j’allais souhaiter bonne nuit à Charly, puis je me glissais avec délice le long de Camille. Ma main entra délicatement sous sa veste de pyjama, caressant, effleurant plutôt, son torse, sa peau fine et douce. Je survolais, ne voulant ni le brusquer ni l’effrayer. Il se laissait faire, passif, sans chercher, lui, à me caresser, à me découvrir. Je pris patience, le laissant continuer à progresser. Je prenais beaucoup de plaisirs à lui prodiguer ces caresses, car je sentais que petit à petit il y devenait plus sensible, y répondait par des mouvements du corps. J’étais bien à lui faire du bien.

***

J’ai donc partagé mes nuits entre Charly et Camille, avec les mêmes gestes, la même chasteté et le même plaisir. Je me suis quand même demandé si je n’étais pas un peu bizarre. Je passais mes journées avec Claire et mes autres potes. De temps en temps, j’avais des jeux délurés avec Fabrice, et le soir, je dormais avec un de mes deux doudous, juste pour la chaleur et le réconfort de ces corps aimés. J’étais vraiment tombé sur les deux dingues du lycée ! Ils m’étaient tellement essentiels, je les aimais tant !

Les choses étaient allées très vite sans que je comprenne vraiment. Mon esprit était maintenant plein de sentiments, de tension, de questions. J’allais de l’avant, enthousiasmé par ce que mes relations m’apportaient, toujours en crainte d’une rupture, d’une fâcherie, d’une incompréhension. C’était épuisant et exaltant. Tous ces amis et amies étaient devenus ma vie.

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