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Fabrice m’apprit qu’il allait quitter le lycée à la fin de l’année. Je n’avais guère à échanger avec lui et il faisait à peine partie de la bande habituelle dans laquelle je vivais. Il m’avait proposé d’aller plus loin, d’explorer d’autres façons de faire. Cela m’avait horrifié. Je n’étais pas comme lui. Ce n’est pas parce qu’on se défoulait ensemble que j’étais homo. Mes relations avec Camille et Charly ne rentraient pas dans ce contexte. Quelques mois plus tard, il renouvela son offre. Je connaissais maintenant tellement bien son intimité que, cette fois, je fus troublé. Je refusais à nouveau. Il me sourit et me dit que j’y viendrai forcément un jour, car mes réactions me trahissaient. Il regrettait que ce ne soit pas avec lui. Je pouvais aimer les filles et les garçons, et aller au bout avec les uns et les autres. Je devais encore murir, sentir mes envies profondes. Il exprima tout ceci avec une telle gentillesse que je faillis basculer et le laisser faire. Il me poussa de l’épaule pour me décrisper. Nos rencontres s’espacèrent et nous nous dîmes à peine au revoir.

***

Fabrice avait deviné juste. Une fois de plus, les événements arrivèrent sans que je les maitrise.

Depuis quelque temps, j’avais remarqué qu’Édouard cherchait le contact. C’était un grand gaillard, solide, souriant, les cheveux blonds en bataille. Il était dans ma classe et pensionnaire, mais nous n’avions pas échangé deux mots depuis le début de l’année. Il faisait partie des sportifs, faisant du sport, parlant de sport, ne pensant qu’au sport. Loin de mes intérêts et de mes sympathies. Il m’approchait avec des sourires engageants, se mêlait à nos conversations, toujours de mon côté. Je ne voyais pas ce qu’il voulait, mais je le laissais faire, un peu flatté de me trouver objet d’une discrète vénération.

Les choses se précisèrent quand il me proposa très directement de passer un weekend avec lui. Demandé avec gentillesse, même ne le connaissant que très peu, j’acceptais. Il avait fait cela si discrètement que mon double n’était pas au courant, sans non plus que j’éprouve le besoin de le lui dire. Je ne savais pas ce qui allait se passer pendant ce weekend, mais je ressentais qu’il allait se passer des choses.

Édouard m’accueillit chez lui, à l’autre bout de la ville. En y allant, il m’informa que nous ne serions que tous les deux, ses parents étant absents. Je ne savais pas quoi penser. Nous dinâmes en parlant de rien. Il me proposa ensuite de regarder une vidéo, chose exceptionnelle à l’époque. J’acceptai avec joie. Il me demanda quel film je souhaitais, me déroulant plusieurs titres bien tentants. Je lui dis de choisir. Il me répondit qu’il préférait la collection spéciale de son père. Il ouvrit un buffet, m’expliquant que son père ne savait pas que lui savait. Il m’embrouillait un peu la tête pendant qu’il mettait le système en marche. Bientôt, côte à côte dans le canapé, nous regardions les images apparaitre. Je mis un moment, assez long, car j’étais un grand naïf, à comprendre ce que je voyais.

Je piquai un fard et étais horriblement gêné. Un homme et une femme étaient en train de… Elle était nue, avec des seins énormes, alors que l’homme dressait son… et qu’il la…

– C’est quoi ce film ?

– Un porno, ça te plait ?

C’était la première fois que je voyais une femme nue. C’est la première fois que je voyais un sexe de femme d’aussi près. C’est la première fois que je voyais un homme et une femme avoir un rapport sexuel. Et ils s’activaient de beaucoup trop de façons pour que j’enregistre tout. Personne n’avait évoqué pour moi cette diversité de positions et d’actions. Quelle imagination !

– Ferme la bouche, tu es en train de baver ! me charrie Édouard.

Je regardai, hypnotisé par ces scènes, les yeux hors de la tête. Soudain, l’écran scintilla.

– Fini, tu en veux un autre ? Ça a l’air de beaucoup te plaire, s’amuse-t-il.

– Euh, oui. Mais la femme est trop vieille. Avec des plus jeunes, tu as ?

– Attends, je regarde… Ah, celui-là devrait aller.

Cette fois, c’étaient presque des gamines. Je préférai ! Je continuai de découvrir et d’apprendre. Je sentis un certain effet sur ma personne. Je regardai les yeux écarquillés, tellement c’était étonnant pour moi.

Édouard me lança :

– Ça semble t’intéresser, mais tu ne réagis pas beaucoup. Tu veux quelque chose de différent ? Des filles ensemble ? Ou des garçons ensemble ?

Sans me laisser répondre, il introduisit une autre bande. Là, stupéfaction : uniquement des garçons, de notre âge, dans ce qui semblait être un vestiaire, tous nus et tous à se faire des choses que je connaissais, d’autres que j’ignorais.

Je m’agitai, excité par ces images. J’étais scotché.

– Tu peux te mettre à l’aise, comme moi. Ne te gêne pas.

Je détournai la tête vers Édouard. Il avait ôté pantalon et slip, exhibant sa nudité en splendeur. Je sursautai.

– C’est quoi ce plan ?

– Rien, on regarde des garçons se faire plaisir et on se fait plaisir, si on veut.

– Mais je ne veux pas, je ne veux rien !

– Tu es sûr ? Tu es tout rouge, tu te tortilles et on voit bien ton excitation. Mais cool, tu fais comme tu veux. Moi, j’ai envie de les accompagner.

Je me tassai au fond du canapé, mes yeux chavirant du spectacle sur l’écran à celui se déroulant devant l’écran.

À la fin des deux représentations simultanées, Édouard attaqua :

– Je ne te savais pas aussi prude et aussi midinette. Ce n’est pas ce qu’on m’a raconté et ce n’est pas ce que j’ai vu !

Il le disait gentiment, avec un petit ton ironique. J’avalai ma salive. J’étais tellement mal à l’aise.

– De quoi tu parles ?

– Charly, Camille, Fabrice ? Tu connais ?

Je m’étranglai. Je me levai pour partir en courant.

– Sylvain, je voulais juste blaguer. Je ne te veux aucun mal, juste que nous nous connaissions un peu mieux, un peu plus…

– Un peu plus quoi ? Qui t’a raconté quoi ?

– Bon, bon. Je te dois quelques explications. Voilà, moi, j’aime les garçons !

Je devins rouge.

– Tu es beau quand tu rougis !

Je devins écarlate. Mon visage aurait fondu de l’acier.

– Je connais bien un terminal. Il m’a parlé de la scène au foyer qu’il avait vue. J’ai compris qu’il s’agissait de toi et de Charly. Je n’ai rien dit à personne, mais je t’ai regardé et observé. Tu es mignon, tu as des yeux charmeurs, tu me plais. Je ne t’avais pas repéré avant.

Pourquoi je ne pouvais pas complètement m’enfoncer et disparaitre dans ce canapé ?

– J’ai vu que tu dormais avec Charly. Vous faites quoi ?

– Mais rien du tout ! je hurle.

– La nuit entière, ensemble sans vous toucher ? À d’autres !

– Je te jure ! On se tient dans les bras l’un de l’autre, c’est tout.

– Mouais… Passons. C’est quand même bizarre, deux mecs qui couchent ensemble et qui ne se touchent pas ! Couche, touche !

Je me taisais. Oui, c’était bizarre, pour moi aussi ! Et alors ?

– Et Camille, cette trop mignonne garçon, je comprends ton choix !

– Camille, ce n’est pas pareil. C’est mon ami, mon grand ami. Je suis trop bien avec lui, mais il n’y a rien non plus entre nous.

– Tu es un drôle de mec ! Tu couches avec d’autres mecs et il ne se passe jamais rien !

– Oui, je sais, je ne comprends pas. Mais c’est vrai. Je les aime et je les respecte.

– Ça vaut vraiment le coup de parler avec toi. Et Fabrice ?

Édouard m’interrogeait avec bienveillance, je ne me sentais pas agressé ou menacé. La gêne venait de moi, car je savais que tout ceci était étrange, invraisemblable. J’aurais tant aimé comprendre ce que je vivais ! Il m’avait dit qu’il aimait les garçons, je pouvais lui dire pour Fabrice. Après tout, c’est la seule chose « normale » qui m’arrivait. Enfin, normale, je ne sais pas, mais avec ce qu’il m’avait dit, il pouvait entendre, je lui faisais confiance. Et puis, il me regardait avec tant d’affection dans les yeux. Si, enfin, je pouvais parler de tout ce méli-mélo avec quelqu’un…

– Oui, avec Fabrice, nous avons des jeux de garçons. Pas autant que ce qu’il y avait dans le film !

– Alors, si tu avoues pour Fabrice, je dois te croire pour Camille et Charly ?

– Ben, oui !

Je me détendais en poursuivant notre conversation. Il me dit son problème, son gout pour les garçons, la promiscuité tentante des vestiaires et des douches, ses copains, des gros cons bornés sur le sujet, mais ses copains quand même. Nous avons parlé très longtemps, très agréablement. Je me sentais bien auprès de lui.

Quand il me prit la main, je le laissai faire. Quand il m’attira à lui, je me laissai faire. Quand il approcha ces lèvres, j’étais vaincu. Mon premier rapport, c’est à Édouard que je le dois.

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