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Avec Charly, cela se passa différemment. Sans nous être concertés, nous nous sommes retrouvés acceptés dans le même lycée, un grand lycée de Lyon. Nous étions contents de ne pas être séparés. Il me dit qu’il se chargeait de nous trouver un logement, si j’acceptais de vivre avec lui. Idée géniale ! Travailler et vivre avec mon doudou silencieux, bien sûr !

Nous avons donc emménagé. Cette fois, nous étions dans la même classe ! Il n’y avait pas de rivalité, car seuls les concours nous départageraient. Perdus au milieu des autres (fausse raison !), nous formions un duo soudé, inséparable. Même si nous n’avions aucun geste univoque en public, le fait que nous partagions le même appartement, que nous étions toujours collés nous valut d’être catalogués comme amoureux. Ce n’était pas l’exacte vérité, mais nous n’en avions rien à faire. Un coup bas mal parti fit taire définitivement un de ceux qui voulaient nous qualifier avec ses préjugés. Rapidement, notre relation fut acceptée et oubliée.

Le problème vint justement de notre relation. Deux choses mirent un terme rapidement à notre cohabitation. La première était notre fonctionnement, ce mélange d’attirance et de retrait. Ce n’était plus que certaines nuits, mais tous les soirs. Cela me minait, et lui aussi, car le travail ne se faisait pas et nous commencions à être largués, un mois après le début des cours. La seconde était l’incapacité complète de Charly à vivre avec une autre personne. Un minimum de tâches ménagères, ne pas semer son bordel partout, il ne connaissait pas. Surtout, il confondait mes affaires, propres et rangées, avec les siennes, sales et étalées. Le voir mettre mes fringues préférées m’amusa beaucoup, mais pas longtemps. J’essayais de le raisonner, mais, visiblement, cela faisait partie de ses failles les plus désagréables. Je mis donc un terme à notre vie commune et, heureusement, j’ai pu obtenir facilement une place en internat. Incapable de vivre seul, il fit de même très rapidement. Il décida de garder l’appartement : il en avait les moyens. Ce qui fait que, les weekends, nous nous retrouvions. Charly avait ramené notre relation à son niveau habituel, mutisme et simples caresses. Il me fallait beaucoup d’efforts pour résister, contenu dans ce rôle de consolateur.

Je m’aperçus vite qu’il se servait de l’appartement comme garçonnière, d’après les traces laissées. On travaillait ensemble, ce qui nous aidait beaucoup. Plusieurs de nos camarades s’associèrent à nous. À la fin du premier trimestre, nous avions trouvé notre vitesse de croisière, scolaire, amicale, sociale.

Nous sortions le samedi soir. Je l’accompagnais dans des endroits où nous pouvions être entre gens de même tendance, avoir des gestes naturels sans avoir à nous contrôler. Notre rapport n’avait pas varié, l’épisode de Marseille restant la seule exception. Je ne savais toujours pas où j’en étais, mais j’aimais l’ambiance détendue de ces lieux. Charly savait qu’il allait ensuite passer une bonne nuit, il se détendait. Je le découvris souriant, blaguant et surtout draguant. Je ne lui faisais pas remarquer que son genre de garçon ressemblait étrangement à son amoureux transi.

Il revenait toujours accompagné. Moi, beaucoup plus rarement, pour un coup de foudre, une envie de câlins.

Nous avions nos connaissances et c’est ainsi que je rencontrais des militants gays, bien que je ne le sois pas, pas trop. Je me laissais entrainer par leur dynamisme et leur gaité, leur liberté affichée en étendard. Charly ne se sentait pas concerné. Il voulait du sexe, que du sexe, pour diluer ses angoisses.

Les retrouvailles de fin d’année avec Camille et Marianne furent un bonheur. Charly était descendu à Marseille. J’avais hésité à l’accompagner, entre mon devoir d’ami et mon besoin de mes amis. Je n’avais pas été net sur ce coup-là. Charly m’avait ouvert ses abimes l’année précédente, un appel à l’amitié et au secours. Il ne m’avait pas proposé de l’accompagner, je ne lui avais pas proposé de l’accompagner. cela ne m’empêchait pas d’avoir une boule dans le ventre pas très agréable, l’impression de m’être défaussé, un peu lâchement.

J’avais aussi tellement besoin, tellement hâte de retrouver Marianne et Camille. Ils avaient, chacun de leur côté, bien démarré l’année. Les revoir, les toucher, se parler, quelle joie !

***

L’année se déroula ainsi, à grande vitesse, tellement maintenant le travail nous prenait de temps. Pour l’été, je lançais un nouveau projet de randonnée. À trois, ou à quatre avec Charly. J’hésitais, car ma relation avec Camille et Marianne d’une part et Charly d’autre part n’avaient rien à voir. Ils se connaissaient, bien sûr, mais écarter Charly me semblait un abandon, une nouvelle lâcheté. Maintenant, je n’avais jamais su où et comment il passait ses vacances.

J’étais au pied du mur, pour les vacances et, sans bien le saisir, pour ma vie à venir. Juste avant que je n’abordasse le sujet avec lui, il m’annonça qu’il allait partir au Vietnam avec ses grands-parents, découvrir sa famille maternelle. J’étais content pour lui, espérant que cette ouverture mettrait un peu de baume sur ses blessures.

Nous partîmes donc marcher. Il était convenu que nous finirons dans notre camping habituel, avec visites, au pluriel, à Élias.

Camille était en garçon, cet été. Il commençait à évoluer et nous détaillait sa démarche. Jusqu’à présent, il s’habillait soit en garçon, soit en fille, en faisant attention d’être entièrement l’un ou l’autre. Il voulait comprendre ce qui distinguait les uns des autres. Il ne voulait pas non plus être pris pour un travesti. Il pensait que maintenant, il était mûr. Ce qu’il voulait, c’était s’habiller en cohérence avec son genre à lui, ni l’un ni l’autre. Camille travaillait son charme sous tous ses aspects. Marianne fondait sur son visage et sa coupe de cheveux, belle réussite ambigüe, très interrogatrice. Il poursuivra les années suivantes pour aboutir à une androgynie qui lui est personnelle, d’une séduction totale. Quand on lui disait monsieur, il était content, quand on lui disait madame, il était content, encore plus si c’était mademoiselle. Quand on lui demandait : « Monsieur ? Madame ? », il retournait : « Camille ! », laissant l’autre à ses interrogations. Parfois, si le lourdaud insistait : « Monsieur OU Madame ? », il demandait alors en quoi la connaissance de son sexe importait à l’importun, puis il le poussait dans ses retranchements, le laissant dans un désarroi mental. Chaque fois, il avait des anecdotes de ce type qui nous faisaient plier en deux.

C’est cet été qu’il nous proposa de ne plus utilisé il ou elle en parlant de lui, mais de dire iel. De ne pas dire le ou la pour lui, mais lela, et ainsi de suite. Il avait vingt ans d’avance !

Un jour, alors que Camille était parti quelques heures, je me suis trouvé allongé près de Marianne. Nous étions seuls, en maillot de bain. Je la regardais, la détaillais avec plaisir. Ses formes étaient harmonieuses. Voyant mon attention, elle me demande, avec ses questions franches, si elle me plaisait. Commença un jeu de séduction, verbal puis physique. Nous nous caressions doucement, la tension montait. Nous nous embrassâmes, légèrement puis de plus en plus fort. J’avais envie d’aller au bout, j’avais envie de l’aimer, de lui faire l’amour. Elle était sur moi et elle ne pouvait pas ne pas sentir mon excitation. Elle s’écarta un peu.

– Non, Sylvain, je ne veux pas. Tu sais que je t’aime, infiniment, que j’ai envie de toi, absolument. Mais je ne veux pas être une passade, un essai. Quand nous ferons l’amour, et nous le ferons, ce sera une première fois, suivie d’une infinité de fois, pour une vie ensemble, remplie d’amour, pas une fois, une seule, par une belle journée d’été.

Elle bascula à côté de moi et se tut. Je la comprenais et mon respect pour elle était encore renforcé.

– Tu ne m’en veux pas ? s’excuse-t-elle.

– Non ! Nous allions faire une bêtise. C’est vrai que je veux faire l’amour avec toi, mais c’est vrai que cet amour, pour moi, n’est pas encore assez sûr.

– Tu as fait tes expériences avec les garçons. Beaucoup ! Tu ne l’as jamais fait avec une fille…

– Ce n’est pas vrai. Enfin, si ! Mais c’est juste le hasard des rencontres !

– Trouve-toi une gentille fille pour te dépuceler, voir si les filles te donnent autant de plaisir que tes mecs, puis reviens me voir avec amour. Je t’attendrai toujours.

– Tu as raison ! Mais ne deviens pas une bonne sœur à m’attendre. Tu ne sais pas, je ne sais pas ce que je vais faire. Si tu trouves un gentil garçon, moins bien que moi, forcément, mais qui te fais chavirer le cœur en t’apportant certitudes, prends-le. Je ne mérite pas que tu perdes ta vie pour moi.

Cette fois-là, j’aurais dû me taire.

***

La seconde année de prépa fut ensevelie sous l’abondance du travail. Charly restait proche, à sa façon, lointaine. Nous ne retrouvions à dormir ensemble que quelques fois, à l’appartement. Il ne m’avait rien dit sur son voyage au Vietnam. Je ne lui avais rien demandé non plus, non par indifférence, mais par crainte de son refus de réponse, blessure trop souvent endurée.

Comme moi, le travail le submergeait le calmait. Il devint presque un garçon normal. Chaque vacance, je replongeais dans les bras de Camille. Chaque vacance, je replongeais dans les bras de Marianne. Nous restions en contact étroit, mais les voir physiquement, c’était autre chose. Je croisais Claire, quand elle pouvait, mon autre bonheur. Elle s’était éloignée de Delphine, la géographie distendant le lien.

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