Chapitre 1 : Columbus

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Bunker 257-A

Centre spatial de Kourou, Guyane

A la surface, les seuls bâtiments opérationnels restants étaient occupés par l'Armée de la Fédération. Dans l'un de ses plus gros complexes, une multitude de personnes s'affairaient suite à la confirmation officielle du lancement de l'expédition Columbus. Tout était d'un gris foncé terne, mais c'était le lieu qui regorgeait le plus de vie. C'était un immense espace rectangulaire bondé de matériels et de monde. Des piles de caisses étaient soigneusement alignées contre les murs, des centaines d'hommes et de femmes se réunissaient au centre et devant les grandes portes. Au fond du plus grand hangar, trois navettes spatiales étaient entreposées et étaient en train d'être chargées. Il y en avait une rayée de rouge, une rayée de bleu et une rayée de jaune. Elles ressemblaient aux vieilles navettes du XXème siècle, lorsque les Russes et les Américains se disputaient la première place. Un temps révolu maintenant que tous travaillent ensemble. Malgré leur apparence presque archaïque, on pouvait noter les modifications faites sur le plan technique, les technologies ayant considérablement évolués depuis. Non loin des grandes portes blindées, un responsable trépignait d'impatience en s'adressant à un subordonné :

«La ministre de la recherche et le président arrivent dans une dizaine de minutes, tout le monde est prêt ?

-Oui, ingénieur-chef. Les équipages sont prêts à la revue et les officiers ont rassemblé le personnel technique. Et vous ?

-C'est la première fois que je vois les deux en même temps et ce sera à moi de leur parler. C'est un grand honneur qui m'est fait. Après toutes ces années de travail et d'investissement, un peu de reconnaissance ne me fera pas de mal. D'ailleurs, il me faut une tablette de données, je ne peux pas les faire visiter le complexe les mains vides !»

Un officier, qui était immobile à côté, tendit alors la tablette qu'il était déjà en train de consulter à l'ingénieur-chef.

«Tenez Ravishna. Il y a beaucoup de chiffres, cela fera très sérieux.»

L'homme qui venait de parler était assez grand, le corps et le visage fin. Ses yeux d'un bleu perçant étaient plongés dans ceux de l'ingénieur-chef. Ses cheveux courts et d'un blond éclatant s'accordaient avec la moustache en forme de pyramide qu'il arborait. Sa voix et sa posture laissait transparaître son flegme naturel. Il était l'exact opposé physique de Ravishna. Ce dernier était petit, avec des yeux et des cheveux noirs, avec toutefois une moustache également. Son teint était caractéristique de son Inde natale, bien éloigné de l'Anglais. Avec un peu plus de formes et l'une de ses paupières qui tremblait, il n'avait vraiment pas grand-chose à voir avec celui qui lui tendait la tablette.

«Merci capitaine Tenson. Ce n'est pas la journée pour faire une erreur, nous ne pouvons pas nous permettre de retarder notre départ. Comment vous sentez vous ?

-Comme avant chaque mission. Un peu anxieux mais j'ai hâte de partir. Nous avons la chance de faire partie de la mission la plus importante depuis des décennies. Comme vous dites, ce serait dommage de rester ici.

-Bien, vous êtes celui qu'il fallait pour encadrer les équipes. Avez-vous rencontré le colonel Taizhong ?

-Pas encore. On m'a dit qu'il devait finalement prendre le commandement de l'opération, mais cela s'est fait à la dernière minute. Je devrais le croiser aujourd'hui.

-Vous verrez, c'est un officier très compétent. Vous vous entendrez sûrement avec lui.»

Tenson et Ravishna se séparèrent, au milieu de la foule qui se rassemblait pour l'arrivée des officiels. Quelques minutes plus tard, le signal était donné : les officiels allaient faire leur apparition, et on ouvrit les portes coulissantes d'acier. Le président Jimenez et la ministre Petrov furent les premiers à passer le grand sas, suivis par des chefs d'états-majors, des représentants scientifiques et une flopée de fonctionnaires d'état, tous équipés de tablettes et communicateurs. Les militaires passèrent en revue les équipages tandis que Jimenez et Petrov saluèrent l'ingénieur-chef Ravishna. Le président était un Argentin d'une cinquantaine d'années, brun, à l'air aimable, en costume gris. La ministre, une russe d'à peine trente-cinq ans, blonde, le visage plus fermé malgré son ton cordial, portait un tailleur bleu foncé. Elle parla en premier :

«Ravie de vous revoir, monsieur Ravishna. Vous avez énormément d'équipes sous votre responsabilité. Ce n'est pas trop difficile ?

-Moins que ce que je ne pensais lorsque l'on m'a confié cette mission, madame. Nous avons enfin fini tous les préparatifs. Peut-être souhaitez-vous visiter les lieux ?

-Avec plaisir. Je lis scrupuleusement tous vos rapports, mais le président est tellement surmené qu'il n'a pu avoir que les grandes lignes. Peut-être pourriez-vous lui donner les détails ? »

L'ingénieur-chef Ravishna eut un léger frémissement. Il avait déjà présenté le Projet Gaïa à de nombreux responsables et à des ministres, mais il s'agissait là du président de la Fédération Terrienne. Cet homme paraissait tout à fait aimable et à l'écoute, mais sa fonction impressionnait chaque personne qui pouvait se retrouver en face. Après une légère hésitation et rassuré par le sourire de Jimenez, l'ingénieur-chef répondit :

« Bien sûr. Voilà où nous en sommes, Monsieur le Président. Depuis deux décennies et demi, ces équipes ont rendu opérationnelles trois navettes spatiales, qui transporteront chacune treize ou quatorze membres d'équipage : des soldats, des scientifiques, des explorateurs, des techniciens. Ils atterriront sur la planète Mars, et devront analyser l'environnement de façon bien plus pointue qu'au XXème siècle. Cette mission doit nous permettre d'évaluer la possibilité pour notre peuple de s'installer durablement, sur une autre planète. Cette expédition constitue l'Opération Columbus, qui est la première phase du Projet Gaïa.

-Ces bureaucrates de parlementaires m'avaient vendu votre mission comme de la simple exploration et je n'ai jamais pu avoir le temps de me renseigner davantage. Mais je constate que c'est bien plus important que cela. Vous allez sûrement accomplir quelque chose de grand. Les yeux du monde vont se tourner vers vous et vos hommes, ingénieur-chef. Je crois qu'avec ce projet Gaïa, vous êtes notre chance de survie, de paix et de prospérité. Ces équipages sont-ils prêts ?

-Ils s'entraînent depuis des années, monsieur. Il n'y a pas de personnes plus prêtes qu'eux.»

Le groupe de visiteurs arriva alors devant les trois navettes, alignées au fond du hangar. Le président Jimenez les fixa longuement, sans dire un mot. Il se tenait les côtes, immobile. L'ingénieur-chef et la ministre Petrov patientaient, sans vraiment comprendre ce silence. Ce qu'ils ne pouvaient pas savoir, c'est que l'espace d'une minute, le président était happé par ses souvenirs. Malgré les modifications, ces navettes ressemblaient énormément à celles qu'il avait pu voir sur les photographies de son grand père, vétéran des forces aérospatiales de l'Amérique latine. Subitement, Jimenez reprit le dialogue en se tournant vers Ravishna :

« Ce sont donc ces navettes là ? Elles me semblent datées, à moins que vous ne m'ayez pas tout dit.

-Nous avons en effet repris le principe des navettes de type Endeavour de l'époque spatiale américaine. Mais la capacité d'embarquement des membres d'équipages a été augmentée. Pour répondre à nos objectifs, nous avons porté cette limite à 14 membres, contre 8 sur les anciens modèles. Sur le plan de l'embarquement strictement matériel, nous avons doublé ladite capacité : un véritable campement pourra être établi sur la surface Martienne.

-Et les modules d'atterrissage ? Ils ne pourront jamais déposer tout le monde avec tout ce matériel ?

-Effectivement, ce sera impossible. Mais ces navettes ne sont plus ce qu'elles étaient à leur conception. Le décollage se fera de façon tout à fait classique : les navettes partiront avec leurs réservoirs externes et leurs moteurs-fusées, comme cela a toujours été le cas. Le vol se passera de la même façon que par le passé, avec détachement progressif des réacteurs. La différence singulière se fera à l'atterrissage : celui-ci sera vertical. Les trois navettes entreront dans l'atmosphère Martienne en réduisant la vitesse progressivement, jusqu'à pouvoir se poser sur la surface sans encombre. »

Cette fois, un sourire pouvait clairement se lire sur le visage du président Jimenez. Tout cela lui plaisait. Chaque jour apportait son lot de mauvaises nouvelles mais cette fois ci, quelque chose de concret pouvait inverser le cours des choses. Il ne pensait ni à son mandat, ni à sa politique, ni à ses soutiens : il fallait sauver l'humanité. Curieux, il relança :

« Je ne suis pas un spécialiste de l'aérospatiale, Monsieur Ravishna, mais cela me semble risqué. Quels sont les délais que vous vous êtes fixés ?

-Sur le papier, je suis d'accord avec vous. Mais nos années de test m'ont convaincu, et nos ingénieurs sont les meilleurs de la planète. Concernant la durée, chaque navette possède une autonomie de 1500 jours. 600 pour l'aller, 600 pour le retour, 250 en cas de retard, ce qui laisse sept semaines pour effectuer la mission au sol.

-Je vois. Dites-moi, j'ai remarqué les noms des navettes. La Saint-Mary, la Pinte et la Nina. C'est une référence amusante, particulièrement pour moi. Nous partons découvrir le Nouveau-Monde, alors ?

-L'idée est du capitaine Tenson, officier Anglais. Il commandera la Saint-Mary. Le capitaine Henri, Français, commandera la Pinte, et le lieutenant Federico, Espagnole, commandera la Nina. Nous avons sélectionné les trois meilleurs officiers pour encadrer les hommes et les femmes de cette mission. L'intégralité de l'opération sera supervisée par le colonel Taizhong, Chinois.

-Tous les continents sont représentés j'espère ?

-Heureusement, Monsieur le Président. Toutes les régions ont participé à la mise en œuvre de cette opération. C'est une entreprise du monde, pour qu'il se sauve lui-même.

-Alors nous comptons tous sur vous.»


*


Centre spatial de Kourou, Guyane

Quartiers des officiers

Résidence 9, capitaine Tom Tenson

C'est la dernière nuit que le capitaine Tenson passe dans ses quartiers, avant le lancement de l'opération Colombus. L'avant-dernière journée sur Terre n'a été qu'une succession de saluts, de visites d'officiels, de revues, d'ordres reçus ou donnés. La fatigue est présente et mieux vaut se reposer avant le grand départ. L'anxiété qu'il avait au début de la journée a totalement disparue. Il sait que c'est peut-être la seule chance pour la Terre d'éviter la catastrophe ultime. L'officier prépare son thé de huit heures et consulte sa messagerie. Il n'y a qu'une notification.

«Anne, lis le nouveau message.»

La voix de l'intelligence artificielle se fait alors entendre.

«Communication prioritaire du Ministère de la recherche. Destinataires : colonel Taizhong, capitaine Tenson, opération Columbus.

Vous connaissez votre mission et vos ordres. Le manque de temps et l'urgence de la situation contraignent le gouvernement à vous en donner d'autres. Revenir sur Terre après vos relevés ne sera qu'une option en cas de résultats négatifs des tests. Votre nouvelle mission prioritaire est de vous établir sur Mars. D'autres expéditions commencent à être préparées. Elles vous rejoindront de façon échelonnée et renforceront notre tête de pont. Nous devons transférer le gouvernement et les responsables mondiaux au plus vite. Les familles des membres de l'opération Columbus seront bien évidemment embarquées en temps voulu pour rejoindre Mars. Il sera impossible d'évacuer tout le monde. Votre feu vert sera attendu par tous. Ceux qui partiront seront de nouveaux pionniers qui rebâtiront l'humanité. Vous êtes l'homme qu'il fallait à cette opération et nous savons que vous accomplirez votre mission. Bon courage et bonne chance. Le monde compte sur vous.

Message terminé.»

Le capitaine n'avait pas touché à son thé. Il avait écouté chacun des mots du message, et comprenait parfaitement ce que cela signifiait. Il ne fit rien l'espace d'une ou deux minutes, puis commença finalement à boire. Sa tasse finie, il la lava, puis se dirigea vers sa bibliothèque personnelle. Il s'empara d'un livre et le rajouta dans son sac déjà fermé, avant de se mettre au lit.

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