Chapitre 4 : Machines
Surface de Mars
Campement de l'expédition Columbus
Débarrassés des casques et des masques, l'équipe de la lieutenante Federico rejoignit vite le reste des membres de Columbus. En arrivant, ils purent constater qu'une ligne de rochers avait été déplacée pour improviser un muret afin de se mettre à couvert. L'un des hommes se retourna et aperçut un nuage de fumée se rapprocher.
« C'est peut-être des véhicules, pressez le pas ! »
Arrivés à quelques mètres du mur, les Terriens purent voir ce qui les rattrapait. C'était bien des véhicules rapides, des sortes d'engins à répulsion, sans roues. D'une forme allongée, ils dévoilèrent aussitôt une mitrailleuse sur le flanc et ouvrirent le feu. L'équipe n'eût que le temps de sauter au-dessus des rochers et se mettre à plat ventre. Une voix se fit entendre :
« Alors, vous avez décidé de vous reposer ? Relevez-vous et ouvrez le feu ! »
Le capitaine Tenson, l'arme au poing, avait déjà posté les combattants derrière le rempart de fortune et la mitraillade commença. Yazdi et Harris, les deux journalistes, étaient amenés en vitesse à l'intérieur d'une navette, malgré leurs vives protestations. et leur volonté de couvrir l'évènement. Quelques motojets arrivèrent jusqu'aux rochers. Les machines qui les conduisaient mirent pied à terre et attrapèrent leurs fusils, mais quelques grenades les délogèrent immédiatement. L'attaque était finie en quelques minutes à peine. L'Anglais marcha rapidement vers l'Espagnole et l'harangua :
« Dites-moi lieutenante, est-il possible de m'expliquer pourquoi n'avez-vous ni casques ni oxygène ?
-Mon capitaine, j'arrive à respirer sans souci. Je ne peux pas non plus l'expliquer, mais nous venons de courir des centaines de mètres et je ne suis pas plus fatiguée que si je l'avais fait sur Terre. Je suggère des tests pour vérifier la toxicité de l'air.
-Je vois. Nous allons étudier le sujet, évitons de possibles effets à retardement. Bien, remettez un masque par précaution jusqu'aux résultats.
-Cela ne vous étonne pas ?
-Bien sûr que si, mais que voulez-vous que l'on fasse ? »
A ce moment, les ingénieurs postés aux radars s'alarmèrent.
« Capitaine ! Nous détectons une formation électronique qui vient d'apparaître à deux kilomètres. Elle semble se déplacer vers nous.
-Une seule grosse formation ?
-Je crois que non. Ça m'a tout l'air de nombreuses petites au même endroit.
-Sûrement un retour de ces robots de combat. Vous m'expliquerez ce que vous leur avez fait Federico, ils ont l'air de tenir à vous retrouver.
-Ce n'est quand même pas ma faute, répondit-elle en haussant les sourcils. Vous pensez pouvoir parlementer ?
-Si elles ont l'air ouvertes à la négociation, je n'y vois aucun inconvénient. Mais si elles chargent comme tout à l'heure, je n'aurais aucun scrupule à leur faire tirer dessus. »
Pendant qu'ils discutaient, le lieutenant Henri était au sommet de l'amas de rochers, avec une paire de jumelles. Il regarda une fois, puis deux, et les passa d'un air interloqué au major Malou. De sa position surélevée, il interpella son officier.
« Capitaine, nous avons un problème !
-Quoi encore ?
-La formation électronique. Il y a bien deux cent machines à pied qui s'avancent vers notre position.
-Deux cent ? C'est une plaisanterie ?
-Et deux choses qui ressemblent à des chars monsieur.
-Voilà autre chose, dit le capitaine en plissant les yeux.
-Et je suis désolé de vous le dire comme ça, mais il y a une navette également.
-Une navette ?
-Elle survole les troupes mécanisées. Inutile de préciser que nous n'avions pas la place de prendre des batteries de canons anti-aériens. »
Tenson trouvait rassurant l'ironie de son camarade. Celui-ci n'était jamais désabusé par la situation. Mais il avait raison : l'expédition ne pouvait pas être préparée à cette éventualité. Le colonel Taizhong entra alors dans la conversation :
« A quelle altitude vole cette navette ?
-Pas très haut monsieur, répondit le Français. Peut-être une trentaine de mètres.
-Bien. Nous avons des mortiers. Le tir en cloche en viendra à bout. Tous à vos postes, ils vont revenir en force ! »
Une demi-heure plus tard, l'infanterie mécanisée débouchait dans la ligne de mire des Terriens. Ces derniers n'attendirent pas et ouvrirent le feu avec tout l'arsenal à leur disposition. L'un des deux chars suivait l'infanterie alors que l'autre restait derrière des rochers, à l'abri. Le canon du véhicule tira sans toucher sa cible mais le souffle projeta trois membres d'expédition. L'infanterie tirait en masse et arriva jusqu'au rempart. Plus nombreuses que lors de la première attaque, les machines réussirent à passer au-dessus des rochers et tirèrent quelques balles. Tout à coup, un bruit strident se fit entendre, semblable à un sifflet. Les machines chargèrent et sautèrent sur les Terriens pour les faire prisonniers. Au pistolet, à la pelle ou au poing, les Terriens se défendirent vigoureusement.
Soudain, une ombre apparut sur le sol du campement : la navette passait juste au-dessus. Tenson se dégagea de deux machines et ordonna à une partie de son équipe de tirer au mortier. Dans les secondes qui suivirent, trois projectiles s'élevèrent et frappèrent de plein fouet la navette, l'un d'entre eux touchant le poste de pilotage. L'engin commença à tournoyer sur lui-même et descendit rapidement derrière l'amas de rochers. Plusieurs silhouettes semblaient avoir sauté dans les rochers avant que la navette n'aille s'écraser près du char resté en soutien. Celui qui avait été engagé était d'ailleurs pris à parti de tous côtés, et une roquette l'acheva.
Il ne restait plus que des morceaux de ferraille éparpillés dans la position et on dénombrait six blessés graves, quatorze blessés légers et le dixième des munitions épuisées. Henri retourna vite dans les rochers, persuadé d'avoir vu plusieurs machines s'y réfugier après le crash de la navette. En effet, quelques-unes d'entre elles étaient autour d'un trou, immobiles et fixant l'intérieur. Dans le doute, elles furent détruites en un instant. Prudemment, le lieutenant s'approcha du trou, pistolet pointé.
« Ca alors. Mon capitaine, venez voir ! »
Tenson arriva rapidement, suivi par quelques soldats. Il regarda dans le trou, et constata que ce n'était pas une machine qui se trouvait dedans, couvert de poussière. Il y avait un être humain. Il avait une tenue noire assez raffinée, et regardait curieusement ceux qui le fixaient de la sorte. Le capitaine observa l'individu toucher son oreille droite à plusieurs reprises, avec insistance et l'air troublé. Puis il prit la parole :
« Monsieur, au nom du gouvernement planétaire de la Terre, vous êtes en état d'arrestation. Nous allons vous sortir de là, mais vous n'allez pas opposer de résistance.
-Est-ce comme cela que vous négociez sur Terre ?, répondit l'humain avec un accent non identifiable.
-Lorsque l'on nous attaque, nous ripostons. Et de façon exemplaire, comme vous pouvez le constater. Allez, sortez-le de ce trou et reprenez vos positions défensives. »
L'homme fut amené devant le colonel Taizhong, qui s'étonna de sa présence.
« Un homme ? Dites-moi monsieur, qu'est-ce qu'un homme fait sur Mars, à la tête d'une armée ?
-Quelle armée ? Je n'ai qu'un bataillon de protection et il est à moitié réduit en pièces maintenant, siffla t-il. Ce n'était pas prévu que vous arriviez avant des années.
-Ce n'était pas non plus prévu que quelqu'un nous attendait pour attaquer. Expliquez-moi votre présence ici, répondit le colonel en bombant le torse.
-C'est à vous de m'expliquer votre présence ici. Je suis chez moi, et vous ne l'êtes pas. Qui attaque qui désormais ?
-Bien, j'ai autre chose à faire. Mes officiers vont vous faire parler.
-Comment ça me faire parler ? »
D'un signe de main, Taizhong ordonna aux lieutenants d'emporter le prisonnier dans une des navettes. Quelques minutes plus tard, Henri et Federico étaient de chaque côté de l'homme, qui était attaché à un siège, devant une table noire. Henri prit la parole le premier :
« Monsieur, j'aimerais que vous sachiez en premier lieu que nous ne voulons aucun mal. Nous tentons simplement de comprendre qui vous êtes exactement et ce que vous faites ici. Pourquoi dites-vous que vous êtes chez vous ? Depuis combien de temps êtes-vous là ? »
Le silence clouait l'homme interrogé.
« Je peux ? » demanda Federico.
Henri lui fit un signe négatif de la tête, puis continua.
« Tentez de me comprendre monsieur, comme nous tentons de vous comprendre. Si vous voulez tout savoir, nous sommes ici en mission d'exploration et de reconnaissance. Notre but est d'observer la planète. Je vous explique la raison de ma présence, à vous de nous expliquer la vôtre. »
Encore une fois, l'homme ne pipa mot.
« Je peux ? » demanda à nouveau Federico.
Henri répondit cette fois par l'affirmative. L'Espagnole donna alors une gifle de sa main droite au prisonnier, qui vacilla tout de même sur sa chaise, ne s'attendant pas à cela.
« Vous êtes fou ?
-C'est possible lorsque l'on joue avec nos nerfs. Mais si vous me répondez, tout se passera bien.
-Vous répondre quoi ? »
Une seconde gifle, de la main gauche cette fois, frappa le visage du prisonnier.
« Allons, ne sous estimez pas la lieutenante, elle pourrait faire cela pendant des heures. Je ne sais pas si vous avez des gens de cette trempe sur Mars, mais sachez qu'il vaut mieux ne pas les pousser à bout. »
Après chaque phrase que prononçait Henri, Federico se préparait à donner un coup de plus, alors que l'homme tentait d'éviter les questions. La porte s'ouvrit après encore quelques échanges, et le capitaine Tenson entra, une tasse de thé à la main.
« Monsieur ! » appela le prisonnier.
Mais Tenson s'avança silencieusement jusqu'à la table puis se mit assis en face. Il ignorait totalement le prisonnier et se concentrait à savourer sa boisson, en consultant sa tablette.
« Monsieur, ces procédés sont indignes de soldats. Détachez-moi, et éloignez ces deux fous de ma personne ! »
Une nouvelle gifle survînt. Dans le même temps, Henri alla s'accroupir derrière l'homme, de façon à ce qu'il puisse parler calmement à la hauteur de l'oreille du malheureux.
« Pourquoi refusez-vous de nous parler ? Vous êtes sûrement plus raisonnable que vous voulez bien nous le faire croire. Nous n'avons que quelques questions, rien de plus. Nous n'aimons pas faire de mal. Enfin, la lieutenante Federico peut s'emporter, mais elle s'arrêtera si vous acceptez de coopérer. »
D'un air dévasté, il regarda de nouveau le capitaine. Ce dernier semblait n'accorder aucune importance à ce qui était en train de se passer, dans un calme absolu. Le seul bruit qu'il faisait était lorsqu'il sirotait sa boisson. Le flegme de Tenson, la violence de Federico et les mots d'Henri commençaient à faire effet. Il ne savait plus vers qui se tourner, se demandant s'il n'avait pas été confié à des malades mentaux ou à des criminels. Il poussa alors un cri mêlé de rage et de désespoir. Cette fois, la voix du capitaine se fit entendre, toujours posée.
« Pourquoi toute cette comédie monsieur ? Le lieutenant Henri a raison, nous avons été francs avec vous. Même la lieutenante Federico s'est comporté avec toute la franchise dont elle dispose. Alors pourquoi ne pas nous rendre la pareille ?
-Je n'ai rien à vous expliquer. »
Federico leva alors sa main, mais un geste de son supérieur la fit stopper son acte.
« Bien sûr que si, répondit Tenson. Vous devez nous expliquer tout ce que vous savez. Vous avez dit que vous étiez chez vous. Pour moi, cela signifie que vous êtes un Martien. Et cela m'intrigue. Depuis que les Terriens pensent à Mars, nous pensons à ses habitants. Parfois verts, parfois gluants, parfois à trois jambes et j'en passe. Parfois, des envahisseurs organiques à la technologie effrayante. Et aujourd'hui, lorsque nous arrivons réellement sur Mars, que voyons-nous ? Des troupes mécaniques, mais assez basiques, dirigées par un homme qui nous ressemble en tous points. Pensez-vous sincèrement que nous ne sommes pas surpris ?
-Vous ne pouvez pas comprendre.
-N'importe qui peut comprendre n'importe quoi à condition qu'on lui explique correctement. Je compte sur vous pour le faire. Je n'ai pas envie que mes officiers usent leur salive et leurs mains toute la journée. Et puis, ma tasse est vide maintenant. Alors pour le bien de tous, parlez-moi.
-Alors expliquez-moi d'avantage votre venue. Vous comprendrez ensuite. »
Le capitaine plissa la bouche et hésita un court instant. Il jeta un œil vers ses lieutenants qui semblaient tout aussi curieux d'en savoir d'avantage. Il prit une inspiration et se lança :
« Très bien, je vais être franc. Henri, Federico, nous sommes les intrus, c'est à nous de nous justifier. Ecoutez-moi, monsieur : notre planète est totalement dévastée, l'humanité est en plein déclin, nous sommes appelés à disparaître dans quelques dizaines d'années, rien de bien enchanteur. Le résultat est que notre gouvernement a décidé d'envoyer une équipe d'exploration sur Mars.
-Plus tôt que ce que nous pensions, répéta le prisonnier.
-Vous nous attendiez vraiment ?
-Pas aussi tôt, une fois de plus. Mais nous savions depuis bien longtemps qu'un jour ou l'autre, vous viendriez.
-Et qui est ce nous, monsieur ?
-Mon peuple capitaine.
-Des machines ?
-Absolument pas. Des humains, comme vous et moi. Mais Martiens, cela va de soi. »
Le capitaine fit une nouvelle pause. Il était absolument inconcevable que cela soit vrai, et pourtant un homme, ou en tout cas ce qui ressemblait trait pour trait à un homme, se tenait en face de lui pour l'en assurer. Il jeta un nouveau regard vers les lieutenants, qui ne le regardaient plus. Ils fixaient l'homme attaché, avec la même perplexité. Sans froisser son interlocuteur, le capitaine reprit :
« Etes-vous en train de me dire que les Terriens et les Martiens sont identiques ?
-Sur le plan physique, nous le constatons sans problème. Vous semblez être parfaitement adaptés à l'environnement de notre planète, alors nous devons être réellement très proches.
-Et comment est-ce possible ?
-Je ne suis pas plus avancé que vous sur le sujet. Personne n'y a jamais rien compris, mais c'est une des raisons pour lesquelles vous avez été mis à l'écart.
-Mis à l'écart ? Si nous sommes venus jusqu'ici, c'est que nous ne l'étions pas tellement.
-Nous ne vous attendions pas maintenant.
-Je commence à en avoir assez de vous entendre toujours répéter inlassablement la même chose. Je veux des réponses claires, nettes, précises, qui répondent totalement à nos questions. Pas des énigmes. Alors, soit vous me les donnez, soit nous repartons pour une séance de questionnement. C'est vous qui voyez.
-Pas encore !
-C'est vous qui voyez.
-Je désire m'entretenir avec votre colonel.
-Vous avez eu l'occasion de le faire tout à l'heure, vous avez refusé. A présent, c'est nous ou personne.
-Bon très bien, très bien ! Je vais tout vous dire. Sachez tout d'abord que Mars est également dirigée par un gouvernement planétaire. Elle est divisée en différentes régions qui sont administrées par des gouverneurs. En l'occurrence, vous êtes arrivés dans ma région. Chacun d'entre nous possède un bataillon mécanisé de défense, mais qui ne sert à rien depuis des siècles. Depuis bien longtemps, nous avons cessé de nous battre nous-même : nous avons construit et programmé ces machines pour combattre à notre place et tout le monde les a adoptés, pour éviter les carnages.
-Elles sont moins efficaces que de vrais combattants, se moqua Tenson.
-Peut-être pour vous mais croyez-moi, elles sont plus efficaces que les Martiens eux-mêmes. Nous ne savions pas si vous étiez réellement des Terriens, alors nous avons tenté de nous emparer de quelqu'un de votre équipe. Cela ne s'est pas passé comme prévu, mais nous avons fini par avoir nos réponses. Si je suis venu en personne, c'était pour vous faire déposer les armes et vous amener devant notre dirigeant. Je dois maintenant revoir mes plans, visiblement.
-Votre dirigeant ?
-Le grand Kanonmar, roi de Mars. Dès que nous l'avons informé de votre présence, il était surexcité. Le fait que vous soyez là en avance a joué beaucoup sur nos réactions. Il veut absolument vous rencontrer, et je suis certain qu'il vous expliquera tout.
-Je pense que le colonel ne s'y opposera pas. Venez avec nous, nous allons lui en parler. Ravi que vous vous soyez décidé, gouverneur. »
Annotations