Chapitre 6 : Rapport
8 mars 2115
Campement Terrien
Les Terriens se réinstallèrent donc dans le campement et reprirent leurs activités. Comme l'avait promis le gouverneur, la place était nettoyée et personne ne pouvait deviner la bataille qui avait eu plus tôt dans la journée. Les débris récupérés par les scientifiques avaient cependant été aimablement laissés sur zone. Seulement, la tête des équipages n'était plus aussi concentrée pour faire leur travail et chacun évoquait la journée qui venait de se dérouler. Tel membre faisait des suppositions, d'autres des paris, tandis que certains ne faisaient qu'écouter. Mais leur attention était intégralement reportée sur ce qui pouvait changer tous les plans de leur mission. Comme prévu, le colonel Taizhong se dirigea immédiatement dans une des navettes afin de se mettre en contact avec la base de Kourou et les chefs du projet. Après l'établissement d'une connexion visuelle assez longue, le visage de la ministre de la recherche Anouchka Petrov ainsi que celui de l'ingénieur en chef Ravishna firent leurs apparitions. Ceux-ci avaient le visage ferme. L'ingénieur ouvrit la bouche mais la ministre parla immédiatement :
«Colonel, enfin ! Nous pensions avoir de vos nouvelles un peu plus tôt. Nous ne parvenions pas à comprendre pourquoi les navettes étaient arrivés à destination mais sans que nous n'ayons de transmissions.
-C'est que madame, nous étions quelque peu occupés, et très rapidement.
-Occupés ? Que voulez vous dire ?
-Tout ne se déroule pas comme prévu. Je dirai même que rien ne se déroule comme prévu, hormis le fait que nous ayons bien atterri sur Mars.
-Résumez moi la situation. Je veux que ce soit bref mais complet.
-Fort bien. Après que notre équipe de reconnaissance ait été attaquée, nous avons du affronter plusieurs groupes de machines de combat. Nos adversaires ont fini par accepter de négocier et nous avons pu rencontrer le roi de Mars, qui est humain mais pas Terrien, comme tout son peuple. Il nous a parlé de la galaxie dans laquelle nous vivons et prétend qu'il y a je ne sais combien de planètes qui ne sont pas censées exister, avec différents peuples soit artistes soit guerriers. Veuillez me pardonner, mais je ne comprends même pas ce que je vous explique.»
Le vide se lisait dans les yeux de ses deux interlocuteurs. Il se regardèrent un moment, puis l'ingénieur-chef prit prudemment la parole :
«Vous êtes en train de nous dire que vous avez établi un contact amical avec une supposée population martienne ?
-C'est cela, oui.
-Cela change tout, madame la ministre.
-Cela ne change rien du tout. La mission est de déterminer si oui ou non, Mars est habitable. Avez vous une réponse colonel ?
-Elle l'est parfaitement, plus que nous ne l'avions imaginé et calculé. La pesanteur y est identique, l'air y est respirable. Nos scientifiques vont commencer à analyser les sols pour plus de détails.
-Donc tout se passe bien, hormis ces Martiens. Sont-ils menaçants ?
-Ils l'ont été à notre arrivée. Nous avons longuement dialogué avec leur chef et je pense qu'ils ne le seront plus.
-Alors écoutez moi bien, colonel. Je vais prévenir le gouvernement planétaire et nous allons envoyer des renforts le plus rapidement possible.
-Des renforts ?
-Vous n'allez pas rester seuls une éternité. Vous avez eu les navettes les plus anciennes, les plus modernes peuvent maintenant nous permettre de vous rejoindre plus rapidement. Nous savons que nous pouvons vivre là où vous êtes, alors nous allons établir une base avancée. Il faut commencer à transférer en douceur ceux qui doivent évacuer la terre en priorité.
-Que devons nous faire ?
-Continuez votre travail. Maintenez de bonnes relations avec les autochtones. Nous connaissons votre position, nous vous rejoindrons au fur et à mesure. Tentez également de savoir si ces Martiens seront accueillants pour d'autres Terriens ou s'ils refusent qu'un seul ne remette les pieds sur Mars. Cela nous aidera à savoir comment venir.»
La transmission fut coupée depuis le centre de communications de Kourou. Taizhong ressortit pour mettre au travail les équipes, perplexe. Dehors, le capitaine et les deux lieutenants étaient regroupés autour d'un rocher et Tenson lança la conversation :
«Dites moi, tous les deux. Nous n'avons jamais discuté de nous.
-Comment cela capitaine ?
-On nous a placés dans la même expédition, nous nous préparons depuis longtemps ensemble, mais nous n'avons jamais pris le temps de réellement parler. Je sais quels soldats vous êtes mais pas quelles personnes. Federico ?
-Vous nous prenez au dépourvu... Je ne sais pas trop par où commencer. Je suis née dans un village du Nord de l'Espagne, d'un père militaire et d'une mère scientifique. J'ai une sœur âgée de deux ans de plus que moi. J'ai pensé à faire des études de géologie et suivre la voie de ma mère mais la vie en a décidé autrement. Je me suis retrouvée à dix-huit ans dans une école militaire à Cadix et depuis, la voie des armes est ma voie. J'ai participé à beaucoup d'opérations contre des pirates et des pillards.
-Et vous Henri ?
-Je n'ai pas fait beaucoup plus que les autres, capitaine. Mes deux parents sont ouvriers mais nous venons d'une famille d'agriculteurs à la surface dans le Sud de la France. Depuis le repli sous terre, ils ont dû se reconvertir. Ma mère et mon père étaient opposés à ce que je m'engage dans l'armée et à l'heure qu'il est, ils sont toujours morts d'inquiétude. J'avais dû fuguer à l'époque. Quand mes parents m'ont retrouvé et qu'ils ont voulu me récupérer, mon officier référent a réussi à les convaincre que je n'aurais pas un poste dangereux. J'ai servi comme simple garde durant des années. C'est lors de l'attaque contre le siège du gouvernement en 2109 qu'on m'a promu lieutenant, parce que j'avais organisé la défense de l'aile du bâtiment où le conseil des ministres se réunissait.
-Un défenseur. Cela pourra nous être utile.
-Vous ne faites pas confiance aux martiens ?
-Si, je pense qu'ils sont dignes de notre confiance.»
Les deux officiers s'interrogèrent sur cette phrase et s'apprêtèrent à demander une explication. Soudain, le colonel Taizhong appela le capitaine. Il se releva, salua d'un mouvement de tête les lieutenants et entra dans la Saint-Mary.
«Que se passe t-il colonel ?
-J'ai besoin de votre point de vue, Tenson. Vous n'avez rien dit tout à l'heure. Vous n'êtes intervenu qu'à l'heure de la bagarre.
-Je n'ai pas outrepassé mes fonctions et j'ai laissé mon officier supérieur en charge de la situation.
-Je le sais et je vous en remercie, mais ne sous-estimez pas votre rôle. Vous avez discuté avec le gouverneur lors du trajet ?
-Oui monsieur. Nous ne nous sommes rien dit de bien particulier. Nous avons uniquement parlé un peu de nos planètes respectives. Il paraît qu'il y a un milliard de Martiens, selon ses dires. Il n'est pas entré dans les détails, mais ils se sont aussi enfouis dans le sol.
-Il ne vous a rien dit d'autre à ce sujet ?
-Non monsieur.
-Et une fois arrivés à la base ?
-J'ai écouté Kanonmar, comme tout le monde.
-Vous croyez à ce qu'il raconte ? Sur ces fameuses planètes ?
-Il n'avait pas l'air de mentir. Mais on ne peut pas simplement croire ses paroles. Le fait que nous puissions respirer ici ne prouve en rien une galaxie différente.
-Il a l'air fou.
-Un peu particulier, c'est vrai. Sur Terre, nous avons quelques spécimens aussi.
-Certes. Mais ils sont Terriens et servent la Fédération Terrienne. Ici, nous avons affaire à des étrangers qui ne m'inspirent pas vraiment confiance. Ils nous ont attaqués sans même savoir qui nous étions. Et lorsque nous les avons repoussés, ils sont subitement devenus nos grands amis de toujours.
-Si trois vaisseaux Martiens s'étaient posés sur notre planète, nous les aurions bombardé avec l'aviation de chasse en une demi-heure et toute la population en parlerait.
-C'est vrai. Bon sang, la population. Un milliard vous m'avez dit ? Nous sommes quarante, la belle affaire. Vous pensez qu'ils sont au courant ?
-Je me suis posé la question tout à l'heure, et je pense que oui. Notre arrivée et notre quasi-installation doit être dans leurs sujets favoris de discussion aujourd'hui. S'ils ont une presse, ça fera la une.
-En parlant de quasi-installation. J'ai fait mon rapport au centre de Kourou. Puisque cette planète est habitable, le transfert de la population va bientôt commencer.
-La population qui va venir sera armée, n'est ce pas ?
-Les gardes le seront, c'est normal. Que sous-entendez vous ?
-Que l'arrivée d'un certain nombre de colons armés risque de ne pas plaire, surtout si les martiens ne sont pas au courant. Nous avons de quoi prouver que nous sommes une expédition à but scientifique, mais pouvons-nous en dire autant des autres ?
-Justement. Je sais que vous avez un père général d'état-major et une mère sénatrice et diplomate. Vous êtes diplômé de la meilleure école d'Angleterre. Vous avez eu la meilleure note relationnelle de votre promotion militaire. Je suis sûr que vous savez convaincre quelqu'un.
-Vous voulez que j'obtienne l'autorisation de Kanonmar pour que nos renforts arrivent ?
-Tout à fait. J'ai besoin de quelqu'un en qui j'ai confiance, qui a le don de négocier et qui est apprécié. Je suis fait pour commander implacablement mais je suis très mauvais quand il s'agit de palabrer.
-Très bien. Puis-je suggérer autre chose ?
-Bien sûr.
-Je pense que nous n'allons pas pouvoir rester avec ce petit campement retranché si nous voulons continuer notre travail. J'avais l'idée que nos hommes puissent récupérer des matériaux de construction, que ce soit naturellement ou par le biais de nos amis locaux. Il faudrait agrandir cet endroit, surtout si de nouveaux arrivants sont prévus. Nous devons sûrement réformer notre organisation en instaurant des roulements et former des équipes avec des tâches attribuées. Tout va aller beaucoup plus vite que prévu.
-Bien, bien, faites donc tout cela et donnez vos ordres. Tant que la mission est accomplie, le gouvernement se souciera peu de ce genre de détails.»
Tenson salua le colonel et fit demi-tour. Étrangement, il avait commencé à l'indisposer. Maintenant qu'il était sur Mars, il ne voyait plus que son ordre de mission et ne comprenait pas ce que cela signifiait d'arriver en intrus sur une autre planète. Le moindre faux pas pouvait attirer l'hostilité des martiens. Il s'isola dans une salle et se dirigea vers son coffre personnel. Il récupéra un livre en papier, avant de sortir. Il donna ses ordres puis alla s'asseoir sur un rocher et continua sa lecture. Henri s'approcha et se mit assis sur le rocher voisin.
«Que lisez-vous capitaine ?
-Un livre assez vieux Henri. Un peu plus de 150 ans.
-Et de quoi parle t-il ?
-L'implantation de Terriens sur Mars.
-Vous êtes sérieux ? Et que raconte t-il ?
-J'en suis à la quatrième expédition. Toutes les autres n'ont eu que des catastrophes.»
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