chapitre 1 Autre monde autre temps

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Système Alpha Centauri, planète Proxima B, quelques mois plutôt.

— Albert, pourquoi y aller ? Tu as des techniciens compétents dans ton équipe qui peuvent effectuer ces recherches à ta place ! annonça Damia, l’épouse du docteur Albert Winkocs, soucieuse.

— Ma chérie, je suis le directeur et le chercheur principal de cette expédition, je me dois d’être avec mes collègues. Ils sont qualifiés et connaissent leur métier, mais c’est une expérience unique. Tu sais que les missions dans l’espace sont rares ! Et elles sont très strictes, approuvées par le Grand Régent.

— Donc, tu ne pouvais faire autrement que d’y aller ! Tu as des enfants, Albert ! Anna, huit ans, et Clarence, dix ans ! Elles seront adultes à ton retour. Elles ne verront plus leur père jeune. Et si tu restes bloqué dans l’espace ?

Albert n’avait pas prévu une dispute avant son départ imminent. Il avait déjà préparé ses affaires et ses dossiers d’études.

— Damia, c’est une mission scientifique, pas militaire ! Ça va durer quelques mois, je reviendrai.

— Si tout se passe bien ! De toute manière, je ne te ferai pas changer d’avis ! Mais tu devras l’annoncer toi-même à tes filles, s’exclama Damia, agacée et inquiète.

Albert s’exécuta, déjà absorbé par ses pensées. Ses collègues étaient souvent étonnés qu’il ait réussi à fonder une famille tout en consacrant sa vie au travail. Une grande partie de son travail consistait à étudier deux phénomènes qui avaient frappé la Voie lactée des années-lumière auparavant. Le premier était l’impact prématuré de la galaxie d’Andromède avec celle de la Terre. Le second était l’implosion inattendue du Soleil, mettant fin à toute forme de vie. Ces événements, qui ne devaient pas survenir avant des milliards d’années, avaient semé le doute parmi les chercheurs. Malgré des centaines d’études, Albert n’avait toujours pas compris pourquoi ces phénomènes s’étaient produits si tôt.

— Les enfants, papa voudrait vous parler, dit Albert, gêné.

Les deux enfants le regardaient attentivement, sans savoir de quoi il s'agissait.

— Papa doit partir pour un moment à cause du travail, mais je reviendrai rapidement.

— Pourquoi tu dois encore partir ? La dernière fois, tu étais absent trois mois ! C’était long sans toi ! s’exclama la plus grande.

— Je sais que c’est difficile à comprendre, ma chérie, mais ce que je fais est très important. Cela demande du temps et de l’énergie. Je vous aime plus que tout, et je fais tout cela pour que vous ayez un bel avenir. Mais je reviendrai bientôt.

Clarence, déjà vive d’esprit pour son âge, demanda où il partait afin de calculer dans sa tête le temps qui les séparerait. Tout comme son père, elle était promise à un bel avenir.

— Je vais dans une région inexplorée de l’espace pour mener des recherches sur la matière noire, dans le but de mieux comprendre l’univers.

Sans le montrer, Clarence comprit qu’il ne s’agissait pas de quelques mois, mais bien d’années. La plus jeune, Anna, ne comprenait pas ce que cela impliquait et pensait seulement que son père allait revenir bientôt. Clarence, prenant soin de sa sœur, préféra garder pour elle les détails, ne voulant pas la troubler.

Albert quitta l’appartement pour le centre de recherche, le cœur lourd, assailli par des doutes et des questions. Mais il se rassurait en se disant qu’il le faisait pour le bien de tous, ou peut-être se mentait-il pour excuser son absence auprès de sa famille. Sa femme et ses filles le regardaient partir, inconscientes que c’était leur dernière conversation.

Dès qu’il monta dans sa navette de transport, Albert redevint le chercheur concentré. Son esprit bouillonnait, il dictait des notes pour ne rien oublier.

"Vérifier le matériel, recalculer la trajectoire et le temps. Faire un débriefing final pour que chacun soit parfaitement informé. Contrôler la navette."

Tout devait être préparé dans les moindres détails. Rien ne devait être laissé au hasard pour cette mission cruciale et potentiellement risquée.

Les voyages interstellaires en dehors de la zone de la Corporation étaient rares, dangereux et coûteux. De grandes voies de transport rapide reliaient les planètes, surveillées par des patrouilles et des caméras. Pour voyager au-delà du système, il fallait l’autorisation du Grand Régent, l’autorité suprême des corporations. Le Grand Régent ne vivait pas sur Proxima B, mais sur une petite lune voisine, d’où il supervisait tout avec son haut conseil.

Albert avait l’avantage de pouvoir contacter directement le Grand Régent pour demander l’autorisation de mener des missions. Ces demandes étaient rares, la plupart du temps, il disposait d’un budget alloué pour chaque cycle.

Alors qu’il envoyait des messages à ses collaborateurs, Albert reçut un appel du général Bunk, un militaire de carrière.

— Salut, mon gars ! On se retrouve dans une heure pour le décollage. Ne sois pas en retard, toi et ton équipe. Ramène la navette et tout l’équipage en bon état ! Ces missions coûtent cher ! Bunk, TERMINE !

Eddy Bunk était connu pour ne jamais s’attarder dans ses communications.

— Toujours un plaisir de parler avec toi, général, répondit Albert à haute voix, seul dans la navette.

À mesure qu’il approchait de la base de lancement, Albert sentait son cœur s’accélérer. Même s’il avait tout prévu, il ressentait toujours une certaine tension avant chaque mission. Conscient des enjeux et du coût des expéditions, il savait qu’il n’avait pas le droit à l’erreur. Au loin, les lumières de la base de lancement apparaissaient dans le ciel sombre, brillantes comme un phare.

— Première expédition aussi loin ? demanda le chauffeur de la navette de transport.

— Jamais aussi loin. Nous allons dans une zone inexplorée, hors de la Corporation.

En arrivant, Albert repensait à sa famille, à Damia qui lui demandait de rester. Mais il savait que cette mission était trop importante pour qu’il se dérobe. Tout devait être parfaitement exécuté.

— Tout est prêt, chef ? interrogea un jeune scientifique chargé du matériel.

— Oui, nous sommes prêts pour la mission la plus importante de notre vie, Franck, répondit Albert, dissimulant son stress.

L’équipe était au complet : chercheurs, géologues, pilotes et autres spécialistes. Des journalistes étaient là pour immortaliser le moment. Albert prit la parole pour motiver ses collègues.

— Ce que nous faisons aujourd’hui est essentiel. Nous avons bon espoir de faire des découvertes majeures pour l’humanité. Merci au Grand Régent pour son soutien. Nous ferons tout pour être à la hauteur.

Albert quitta la salle de commandement sous les applaudissements, prêt à embarquer pour l’expédition. Les minutes passaient et l’équipage prenait place. Une voix électronique se fit entendre :

"Fermeture du sas d’entrée de la navette.
Test et fermeture étanche du sas d’entrée.
Fin des opérations en salle blanche.
Retrait du personnel présent dans la salle blanche.
Retrait des derniers personnels.
Arrêt du compte à rebours pour 10 minutes à T-20 minutes.
Dernier débriefing transmis à l’équipe de préparation du lancement.
Fin des mesures inertielles.
Reprise du compte à rebours à T-20 minutes.
Bascule du conditionnement thermique des pompes à carburant.
Fermeture des valves de ventilation.
Bascule des systèmes de vols de secours en mode configuration lancement.
Accord de lancement.
Début de la séquence automatique du lancement.
T-7 minutes : retrait du bras d’accès à l’équipage.
T-6 minutes : enregistrement de la mission.
T-5 minutes : mise en route des générateurs de puissance auxiliaires.
Amorçage des moteurs des propulseurs.
T-1 minute 30 : mise en route de la séquence automatique."

À mesure que la voix robotique annonçait les étapes de lancement, Albert ressentait de plus en plus cette pression dans son cœur, dans ses tempes. Pris d’un mauvais pressentiment, il voulait faire demi-tour, mais il était trop tard. À ce stade, il ne pouvait plus rebrousser chemin.

"T-0 minute 6 secondes : allumage des moteurs à fusion.
T-0 minute : allumage des propulseurs et décollage.
T+2 minutes : largage des propulseurs, poussée en fusion stable."

Il n’y avait que l’obscurité, le néant, l’espace à perte de vue. Albert ferma les yeux et priait, au plus profond de lui, pour que rien ne vienne entraver sa mission.

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