Chapitre 4 Lazare

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système Alpha Centauri,

Artémis ne sentait plus son corps. Évanouie, elle gisait dans le vaisseau, dénutrie, privée d'oxygène. Les mois qui passèrent furent particulièrement insoutenables, seule, perdue dans l'immensité spatiale. Personne ne méritait d'endurer une telle épreuve. La vive lumière persistait, une lueur intense qui ne provenait ni du soleil ni des étoiles. Elle émanait d'un autre appareil, à peine plus grand que celui d'Artémis, qui s'approchait lentement. Une voix forte et masculine résonna dans le silence du véhicule où Artémis reposait, inanimée.

— Tenez bon ! Vous n’êtes plus seule, j’arrive ! La voix était remplie d'assurance, porteuse d'un étrange espoir.

Le vaisseau s'amarra à celui d'Artémis et la puissante lumière, qui jusqu'ici était fixe, se mit à clignoter de manière cyclique. Ava signalait à Artémis qu'un autre appareil tentait de s'amarrer, mais celle-ci ne réagissait toujours pas. Tout le véhicule était en alerte intrusion, mais Artémis demeurait inconsciente. L’écran principal, connecté par le biais d’Ava, montrait les pronostics vitaux d'Artémis. Plus les secondes passaient, plus elle disparaissait dans l’autre monde. La voix de l’autre vaisseau s’exclama à nouveau :

— N’abandonnez pas, mademoiselle ! hurla la voix, résonnant dans l'habitacle d'Artémis.

Ava tentait de réveiller Artémis, mais elle ne réagissait pas. Sa dernière vision avait été celle d’une puissante lumière qui l’avait plongée dans un profond sommeil. Un homme apparut, vêtu entièrement de noir. Il appuya sur son bracelet métallique et un rai de lumière bleue se propagea dans tout le vaisseau. L’obscurité laissa place à une atmosphère bleutée agréable. Jusque-là, on aurait pu se croire dans une œuvre horrifique à la Lovecraft ou un space opera oppressant comme La Fleur de Verre de George R. R. Martin. De l’extérieur, on voyait l’onde de lumière se propager jusqu’au cockpit où se trouvait Artémis.

Un petit point vert s’afficha sur l’écran, indiquant la position de la jeune femme sans connaissance. Il voyait également son état de santé critique.

— J’arrive, ne lâchez pas !

L’homme, agile comme une panthère, se déplaçait avec une fluidité hors du commun. Sans connaître les spécificités du vaisseau, il n’avait aucun mal à se mouvoir, même dans l’obscurité. La lumière bleue laissa à nouveau place à l’obscurité totale. Afin de trouver plus facilement Artémis, il enclencha une lumière blanche éclatante qui le suivait à mesure qu’il progressait dans l'appareil. Il arriva enfin près du corps inanimé de la jeune femme.

— Connexion au centre de contrôle de l’appareil ! Mode manuel ! s’exclama l’homme en regardant l’état d’Artémis.

Ava répondit d’une voix détachée, sans émotion, comme si elle n’était qu’une simple machine.

— Ernest connecté, Ava à votre service.

— Ava, fais-moi un diagnostic complet de l’appareil et transmets-moi toutes les données depuis le point d’origine.

— Je m’en occupe ! répondit Ava d’une voix métallique.

— On va s’occuper de toi maintenant ! Tu es dans un piteux état.

Alors qu'il était agenouillé près du corps d’Artémis, l’inconnu sortit une petite boîte de sa poche et injecta un sérum rougeâtre dans le bras de la jeune femme.

— Avec ça, vous irez beaucoup mieux ! On va vous sortir d’ici, il vous faut de l’oxygène ! Ava, connecte-toi à mon communicateur !

Pendant qu'il faisait demi-tour, il recevait tout le rapport du véhicule : départ, état, historique et cloud. Son écran, accroché au bras droit, indiquait que l’état de santé d’Artémis se stabilisait, mais restait critique. Il lui faudrait un long moment avant de retrouver toutes ses forces et capacités.

Rapport de capsule :

Départ : 2024

Lieu d’arrivée : inconnu

Nombre de passagers : 1

Objectif de la mission : inconnu

Événements : passage dans un trou de ver

État de l’appareil : critique, moteurs 2 et 3 HS, caisson de cryogénisation compromis, intégrité du bouclier à 20 %

Niveau de carburant : 0 %

— Eh bien, heureusement que je suis arrivé à temps ! Sinon, vous seriez morte au milieu de nulle part, en perdition. Pourquoi avoir pris ce trou de ver avec un véhicule aussi archaïque ? Il faut être fou ! Mais c’est très impressionnant ! lança l’homme en tenant Artémis dans ses bras.

Il entra dans son vaisseau, qui était bien plus perfectionné et moderne que celui d'Artémis. Il était évident qu’il avait des centaines, voire des milliers d’années d’avance sur la technologie humaine. Les matériaux étaient composés de différents alliages : carbones modifiés, béryllium, palladium, tungstène, vibranium. Les moteurs fonctionnaient par fusion nucléaire. Toutes les vitres servaient également d’écrans de contrôle. Des milliers d’informations s’affichaient de part et d’autre du vaisseau : position, destination, temps de voyage, puissance utilisée, informations sur Proxima B.

— Nous n’avons pas beaucoup de temps avant d’arriver chez moi ! Je vais vous remettre sur pied et vous irez mieux.

L’inconnu avait quelque chose de différent d’un être humain normal. Ses interactions, sa manière de s’exprimer manquaient de naturel, de spontanéité. C’était à peine perceptible, mais il y avait quelques failles qui dévoilaient sa véritable nature. Ernest était une IA basée sur la morphologie humaine. Il avait tout d’un homme, mais son regard et sa voix trahissaient une nature plus synthétique et plus éternelle.

Ernest déposa délicatement Artémis sur une couchette et demanda à son assistance de navigation de se rendre à la maison. Le vaisseau se désamarra de l'autre appareil et fonça en direction de Proxima B et de la lune qui se trouvait non loin de l’exoplanète. Ernest n’avait pas besoin de piloter, l’assistance le faisait pour lui. Il avait tout son temps pour s’occuper d’Artémis, toujours sans connaissance.

— Respirez, mademoiselle ! Battez-vous ! Laissez agir le sérum, ne luttez pas, s’exclama Ernest.

Le sérum avait pour but de booster les défenses et tout le système afin de forcer le corps à réagir. Artémis sombrait peu à peu dans les ténèbres. Elle voyait d’anciens souvenirs, regrets, désirs et espérances s’entremêler dans son esprit. Elle dérivait toujours plus loin, attirée, happée par cette force invisible.

Les battements de son cœur s’accéléraient, ses mains se crispaient par moments, ses paupières s’agitaient, signe que son corps réagissait au traitement d’urgence. En un quart de seconde, elle rouvrit les yeux et sursauta en voyant Ernest la fixer de ses grands yeux vert émeraude.

— Qui êtes-vous ? demandai-je d’une voix faible et tremblante. Je ne suis pas dans mon vaisseau !

— Calmez-vous, mademoiselle. Vous avez subi une terrible épreuve et vous étiez à l’article de la mort. Heureusement que je suis passé par là ! rétorqua l’inconnu, les yeux toujours rivés sur moi.

*

J'ai le cœur battant, le corps en miettes, j’arrive à peine à me redresser et à parler. Je n’ai qu’une seule envie : m’endormir, me laisser aller, me replonger dans cet état de calme, de vide total. À mesure que je me réveille, je sens quelque chose d’étrange en moi, comme si mon sang bouillait dans mes veines.

— C’est quoi, cette chaleur en moi ?

— Oh ! C’est le sérum que je vous ai injecté pour vous aider à récupérer. Il permet au corps de se rétablir plus vite. Il apporte des nutriments indispensables à la survie, booste les défenses immunitaires et réchauffe ! J’ai vu que vous étiez en sous-nutrition et que vous manquiez d’oxygène. C’était la meilleure solution, répond l’homme avec rapidité. Je suis ravi et soulagé de vous voir en meilleure santé !

Comme je n'ai pas retrouvé toutes mes capacités physiques et intellectuelles, je distingue mal son visage. Ma vue est encore très floue et ma tête bourdonne, comme si on me l’avait mise dans une boule creuse en fer et qu’on l’avait violemment secouée. Une voix synthétique retentit dans le vaisseau, qui me paraît nettement plus évolué que le mien. Tout me semble déroutant, nouveau et à la fois inconnu. Je n’ai jamais vu un tel appareil auparavant.

— Nous allons passer à 0,20 C. La propulsion risque de secouer !

20 % de la vitesse de la lumière, me dis-je en calculant dans ma tête. Ce n’est pas possible ! pensai-je aussitôt. Quand je suis partie, le maximum atteint était la fusée Starship, qui allait à 100 000 km/h. Je m’étonne de pouvoir trouver la réponse aussi facilement. Mon amnésie est à la fois frustrante et effrayante. Qu’ai-je oublié d’autre ? Quelle partie de ma vie, quelle personne ai-je effacée après mon passage dans ce trou de ver ? Je crois qu’il n’y a pas pire syndrome que cette perte de souvenirs. J’ai totalement l’impression de ne plus me connaître, de perdre mon identité, ma vie, de disparaître.

— Qui êtes-vous ? demandai-je à nouveau, toujours d’une voix faible, presque mourante.

Ernest attrape une autre seringue et me l’injecte dans le bras en posant son autre main sur mon visage.

— Calmez-vous ! Reposez-vous, les questions viendront plus tard. Vous devez d’abord récupérer !

Je sens alors un liquide froid et épais parcourir mon corps et atteindre mon centre nerveux. Je m’éteins, tel un ordinateur, pour sombrer dans un profond sommeil. Mais je suis en vie et probablement en sécurité. Je n’ai guère d’autre choix que d’attendre, en espérant une issue heureuse.

Assistant d'écriture

Le vaisseau, silencieux, filait dans les ténèbres spatiales en direction d’une lune proche de Proxima B. Cette lune n'était pas habitée par les colons de la Corporation Astrale. Il s’agissait d’une ancienne base habitée par des IA. À la suite d’un terrible massacre, seul Ernest était resté sur place, parmi les décombres d’une civilisation en ruine, exterminée, oubliée.

Il restait près d’Artémis, l’observant, analysant ses réactions physiques. Il était fasciné par sa composition, par sa nature humaine. Son programme interne étudiait tout ce qu’il pouvait sur elle, en attendant qu’elle lui dévoile sa véritable nature, son âme et son esprit.

— Passage en mode furtif aux abords de Proxima B ! s’exclama Ernest en regardant l’un des écrans qui indiquait leur arrivée imminente.

— Tu devrais te rendre à la guilde commerciale pour t’enregistrer comme habitant de Proxima B. Ce serait plus simple et moins risqué si une patrouille te repérait.

— Je sais, Apollo, mais ma demeure est sur la lune. Et même si je prends une identité, les gens verront bien que je suis une IA et non un humain avec des parties synthétiques !

— Et votre passagère clandestine, alors ? rétorqua la voix robotique.

— Je crois qu’elle n’est pas de cette galaxie, Apollo ! Quand cette jeune demoiselle se réveillera, nous aurons une longue conversation !

Ernest releva la couverture sur les épaules d’Artémis, puis se rendit au poste de pilotage pour reprendre la navigation manuelle. D’ici peu, Artémis découvrirait un autre monde, à des milliards d’années-lumière du sien.

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