1 - Boxing club
22h45. Cela fait maintenant cinq minutes que je suis figée là, dans la nuit, devant cette grande baie vitrée qui fait face à la rue. Les lampadaires qui s'y reflètent me cachent un curieux spectacle qui ne tarde pas à attirer mon attention. Étrange observatoire pour une salle de boxe. Je m'arrête, cédant à la curiosité. Je me régale de la scène qui se déroule sous mes yeux. D'épaisses silhouettes se déplacent, frappent, luttent et se mélangent énergiquement dans la pénombre. Fascinant. Je tente vainement de les dénombrer, mais elles sont trop nombreuses, de toutes tailles, de toutes envergures, aux styles et aux allures aussi divers que profondément marqués par l'épreuve de l'entraînement quotidien. La subtilité des mouvements crée une atmosphère troublante. Des hommes, beaucoup d'hommes et dans la force de l'âge. On distingue malgré tout quelques femmes. Les néons éblouissants laissent apparaître de la buée, de la sueur, et des expressions de souffrance sur les visages. C'est une lutte permanente à laquelle se livrent les participants. Résister contre la douleur, contre la peur, contre soi-même et l'adversaire, telle est leur mission. Des déferlantes de coups s'abattent sans pitié, des claquements cinglants et des bruits sourds témoignent d'une détermination sans pareil. Mon admiration me fait oublier le froid de la rue, hypnotisée par la scène, je me sens intensément vivante.
Mon corps est soudainement traversé d'adrénaline. Les pieds glissent sur les tapis, les jambes dansent, sautillent toujours plus vite. Les combats s'animent sans relâche. Certains reprennent leur respiration quand d'autres s'époumonent encore au champ de bataille. La voix puissante du professeur se répète inlassablement. Plus forte, plus persuasive, tout comme les gestes au rythme interminable de ces boxeurs. Les corps deviennent machines, les souffles courts, les poitrines lancinantes, et les mouvements semblent s'enchaîner jusqu'à l'infini. Un balais fluide, harmonieux, calculé, mais authentique se déroule sous mes yeux. Une usine faite de milliers d'engrenages aux mécanismes parfaitement huilés.
On ne triche pas dans la boxe. Chacun est venu avec son parcours, son âme, ses peurs et son lot de revanches à prendre sur la vie. Mais aucun ne porte de masque. La tromperie dans un duel finit immanquablement par se retourner contre soi, et les combattants semblent bien l'avoir compris. Les veines se gonflent, les tendons s'étirent, les poings font vibrer les sacs, les chairs absorbent les impacts chaque fois plus stratégiques de l'adversaire. Les muscles et les esprits en tension font régner une atmosphère de vérité. Les regards, imperturbables, trahissent les intentions. Tous, attendent le jugement dernier. Tous bravent la peur tennaillante de l'échec qui ne leur offre aucun répis, poussant les corps toujours plus loin dans leurs retranchements. Course effrénée qui ne prendra fin que par le verdict du ring, celui auquel personne ne déroge.
Il est 23h00. Je pousse la porte de la salle.
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