1.1 - 5, rue de l'Egalité
Ce matin-là, j’avais rendez-vous avec un client important qui souhaitait me confier le réaménagement de son jardin, ouvert au public depuis de longues années. J’avais de nombreux souvenirs de jeux et de doux moments dans ce parc, considéré comme l’un des plus élégants de la ville. La perspective de pouvoir associer mon nom à ce lieu magique, m’enthousiasmait et m’avait rendu fébrile.
Ne voulant pas risquer d’être en retard, c’est avec une bonne demi-heure d’avance que je parti pour rejoindre mon atelier.
Comme chaque matin, j'empruntai la rue de l’Egalité. Ici comme dans bien des villes, cette rue mène au cimetière. Celui-ci est là-haut, tout au bout. Mes quatre grands-parents y reposent en paix, du moins, je l’espère.
Depuis deux jours, je constatai qu’un grand chantier avait démarré. Tout un pâté de maisons allait disparaître pour laisser place à des immeubles modernes sans caractère. J’en fus triste car ces anciens logis avaient une âme. De nombreuses familles y avaient vécu, ils avaient été le décor de bien des drames mais aussi de grands bonheurs. Quand j’étais gamin, un de mes amis y habitait et j’y étais venu à maintes occasions.
Au coin de la rue, au numéro 5, une humble boutique de pierres blanches semblait vouloir résister au désastre. Aucun engin ne l’avait encore agressée alors qu’un peu plus loin des bicoques n'étaient déjà plus que ruines. J'avais bien connu ce magasin, voici fort longtemps, tenu par un apothicaire. Devant l’essor des pharmacies, l'échoppe avait cédé la place à une librairie.
Depuis déjà bien longtemps, plus aucun livre n'était exposé dans sa devanture. Les vitrines, incrustées de poussière depuis des lustres, étaient peu à peu devenues opaques. Aucune enseigne n’indiquait au passant la nature de ce magasin. Cependant sur la porte vitrée, un petit panneau annonçait « Ouvert » et une faible lueur semblait trembler à l’intérieur. Cette officine vivait puisque le panneau et la lumière disparaissaient à la tombée de la nuit pour ne reparaître qu’à l’aube.
Bien qu’intrigué par ces constats que je faisais régulièrement, je n’en avais jamais franchi le seuil.
Il me sembla que si je ne le faisais pas aujourd’hui, je n’en aurais plus jamais l’occasion. Dans mon esprit s’engagea une lutte entre raison, privilégiant le rendez-vous professionnel, et instinct d’aventure m’incitant à ne pas laisser passer une occasion unique. Rapidement, je laissai le second l’emporter et décidai de tenter l’expérience.
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