1.2 - Simples, gemmes et manuscrits
Je m’avançai et saisis la poignée. La structure de celle-ci me parut étrange. Son contact à la fois métallique et soyeux, semblait destiné à rassurer le visiteur avant même qu’il n'entre. La porte pivota sans difficulté et un carillon se fit entendre. Bien que voyant la pièce inocupée, j’entrai et refermai la porte derrière moi. Malgré la sonnette, personne ne vînt m'accueillir et je n’entendis aucun mouvement dans la boutique.
Je profitai d'être seul dans la boutique pour en détailler l’intérieur. Il était évident que rien n’avait changé dans l’agencement de la pièce depuis le temps où l’apothicaire y officiait. Je fus pris par l’odeur de poussière, de plantes desséchées et de vieux papiers. Les vitrines opacifiées par le temps ne laissaient passer que faiblement la lueur du jour, mais sans que je puisse en cerner l’origine, une faible lumière bleutée éclairait la pièce.
L’usure du plancher de chêne rendait celui-ci inégal et des insectes avaient élu domicile dans les interstices formés par les lames érodées par des générations de visiteurs. À chacun de mes pas le parquet émettait une plainte sinistre. Un comptoir de bois sombre trônait un peu en avant de grandes étagères tapissant le mur du fond. Les autres murs étaient aussi recouverts de rayonnages de la même essence. Dans la pénombre, les rayons à l'arrière de la crédence semblaient vides, par contre ceux de droite hébergeaient d’anciens grimoires alors que ceux de gauche étaient ornés de très vieux pots de pharmacie en porcelaine brillant sans patine. Une vieille plaque métallique vantant la « Jouvence de l'Abbé Soury » promettant la « guérison sans poison ni opérations de toutes les maladies intérieures de la femme en retour d'age » tenait encore en équilibre suspendue à un clou.
Sur chacun des murs latéraux, un passage étroit donnait sur une cellule agencée à l’identique.
Je m’approchai des bocaux de faïence et pus y déchiffrer les noms des simples entreposés ici. Certains m’étaient familiers : Pérubore, Thym, Sauge, Mélisse, Opium, Hysope... J’en connaissais d’autres de réputation : Axonge, Pierre infernale, Cérat de Galien, Mandragore ou Belladone… D’autres enfin portaient des noms mystérieux en latin : Flos libidinis, Germen doloris ou encore Lucerna perditorum. L'un d'entre eux me fit sourire, il affichait : poudre de cloporte. Ayant devant moi plus de deux cents pots, je n’en fis pas un inventaire exhaustif, c'etait sans aucun doute la plus belle collection de porcelaines qui m'avait été donné de voir.
J’allais me diriger vers les livres, quand une légère odeur de santal vint chatouiller mes narines. Je m’aperçus alors que les rayonnages du fond de la boutique n’étaient pas vides, mais, qu’au contraire, ils abritaient de petites boites d’acajou dont la couleur se fondait avec celle des rayonnages. Je m’en approchai et distinguai des mentions gravées dans le bois. Ici aussi certaines m’étaient connues : souffre, plomb, cuivre, or, mercure, … D’autres un peu moins : Bismuth, Apophyllite, Rubidium, Labradorite… Et d’autres enfin totalement inconnus : Somnium lapis, Itinerantur petram.
Les effluences des récipients que j'avais descellés commençaient déjà à m'entrainer vers une douce euphorie, lorsque parcourant ces rayons, j’arrivais enfin devant les premiers ouvrages. Certains me parurent très anciens. Le premier d'entre eux était écrit en caractères que je pensai être cunéiformes. Une illustration me permit de supposer qu’il s’agissait de l’Épopée de Gilgamesh. Juste à côté je découvris des éditions manuscrites en langue grecque : L’Iliade et L’Odyssée.
Un peu plus loin, je reconnus l’Éneide dans une version primitive en latin. Ainsi en remontant le rayon, je dénichai une multitude de textes anciens évoquant les voyages. Le premier texte en français que je trouvai fut l'Histoire comique des États et Empires de la Lune de Cyrano de Bergerac dans une édition de mille six cent soixante. Je vis ensuite notamment des éditions originales du Voyage autour du Monde de Bougainville ou du Voyage dans l’intérieur de l’Afrique de Mungo Park. Poursuivant ma déambulation, j’arrivai sur un ensemble d’ouvrages aux noms intrigants : L’exploration des mondes d’outre temps, Mon périple aux états désynchronisés, La traversée des chimères, …
Intrigué par le titre de ce dernier ouvrage, j’allai m’en saisir lorsqu’une voix aigre-douce interrompit mon geste :
- Bonjour, jeune homme et bienvenue dans notre humble boutique.
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