1.5 - La préparation du voyage
Après avoir rassemblé les cinq éléments désignés par les dés, la vieille m’invita à la suivre :
- Venez par ici jeune homme, n’ayez pas peur, tout va bien se passer. Mais prenez avec vous les gemmes, les simples et le récit qui détermineront votre périple.
Mis en confiance par son attitude obligeante et attentive, je me dirigeai vers le fond de la pièce et franchis la porte dans les pas de ma guide. Nous suivîmes un court couloir sombre pour arriver dans une chambre chichement meublée.
- Voyez-vous, Harold, vous allez visiter un monde sans doute assez différent de celui dans lequel nous évoluons. Il n’a probablement pas les mêmes contraintes que le nôtre et ses coutumes vous paraitront certainement déconcertantes. Aussi il ne faudrait pas le polluer en y apportant des germes ou des produits nocifs. Vous allez donc devoir laisser ici vos vêtements et prendre une douche conséquente. Ensuite, vous mettrez cette livrée pour le voyage, dit-elle en me tendant une longue tunique d’un blanc immaculé, ainsi qu’un caleçon de même couleur.
Elle m’indiqua une porte
- Voici la salle d’eau. Vous y trouverez tout ce dont vous aurez besoin pour votre toilette. Ne lésinez pas sur les produits. Il faut vraiment vous débarrasser de toutes impuretés. Je vous laisse le temps de vous laver et de vous changer. Lorsque vous serez prêt, appuyez sur ce poussoir, nous arriverons.
Ainsi donc, j'eus la confirmation que la vieille n’était pas seule. Cette nouvelle me rassura et m’inquiéta à la fois. Qui seraient les autres personnes que j’aurais à rencontrer dans cette aventure ? Je ne m'attardai cependant pas, me dévêtis et entrai sous la douche. Je n’eus pas à régler la température, car celle-ci me convenait parfaitement et de toute façon, il ne me sembla pas qu’il aurait été possible de la modifier. Les baumes mis à ma disposition étaient très onctueux, mais sans aucun parfum. Je pris soin de suivre les conseils de la vieille et sorti de cette toilette propre comme jamais. Cette douche n'avait pas atténué mon excitation qui enflait à l’idée de ce voyage dans l’inconnu. En dépit de cette fébrilité, j’avais le sentiment d’avoir laissé derrière moi le plus gros de mes soucis, comme si je venais de recevoir un nouveau baptême.
J’enfilai rapidement le caleçon et la tunique puis j’appuyai sur le bouton. Une sonnette retentit. Vu le temps que la vieille avait mis pour me rejoindre la première fois, je ne m’attendais pas à la voir revenir immédiatement, aussi je pris le manuscrit pour le découvrir.
J’y observai de magnifiques planches botaniques dont les couleurs étaient restées vives, comme si le livre avait été édité récemment. J’y vis aussi de splendides illustrations de villes anciennes et de paysages fantastiques comme celle de la grotte d’Antiparos. Je me dis que si mon voyage devait ressembler à celui-là, je serais totalement comblé. J’appris que Joseph Pitton de Tournefort était un botaniste au service de Louis XIV et que celui-ci l’avait missionné pour effectuer un voyage au Levant. Il traversa ainsi les îles grecques, la Crête, la Géorgie, l’Arménie et la Turquie en vingt-cinq mois à partir de mai mille sept cents.
Plongé dans ma découverte, je n’entendis pas la porte s’ouvrir et fus donc surpris de trouver trois personnes autour de moi. Outre la vieille femme qui m’avait accueilli, je constatai la présence d’un très vieux monsieur, mais aussi d’un jeune homme.
L’ancien avait une figure allongée. Malgré son âge apparent, il avait gardé une abondante chevelure noire pleine d’ondulations qui lui tombait sur les épaules. Son visage était encadré d’une barbe bouclée et barré d’une moustache très fournie. Ses yeux enfoncés et son nez puissant exprimaient la force et le courage. Seul son front, marqué de nombreuses et profondes rides, trahissait son grand âge. Il évoquait en mon esprit une statue de héros grec.
Le plus jeune, imberbe, portait une longue chevelure blonde tenue par un bandeau d’or. Son menton proéminent et ses yeux profonds lui donnaient un air fragile. Sa carrure d’athlète et ses muscles vigoureux compensaient cette première impression. Bien que d’apparence juvénile, quelque chose en lui exprimait une grande maturité. Ses traits et sa prestance ne révélaient probablement pas son âge réel. Curieusement, il me regarda attentivement des pieds à la tête, comme pour me jauger. Son expression à la fin de cette inspection marqua une évidente satisfaction. J'en fus à la fois heureux et interloqué.
Cette fois ce fut le vieux qui prit la parole.
- Bonjour Harold. Tu connais déjà ma femme, je ne te la présente donc pas. Par contre voici Télémaque. Il t’accompagnera durant ton voyage. Tu ne devrais pas le voir souvent, mais il sera toujours présent à tes côtés. En particulier si tu devais te trouver dans une situation difficile. Tu pourras compter sur lui en toutes circonstances.
Ledit Télémaque me tendit une main vigoureuse.
- Bonjour Harold, je suis très heureux de faire ta connaissance. Je suis sûr que nous allons bien nous entendre et faire un magnifique voyage.
- Merci Télémaque, je l’espère aussi, même si à vrai dire je suis un peu perdu, lui répondis-je en lui serrant la main.
- T'inquiète, tout se passera bien, me répondit-il chaleureusement. Tu peux compter sur moi.
Surpris par cette familiarité si spontanée, j'en conclus qu'il ne devait pas être difficile de bien s'entendre avec lui et qu'il ferait sûrement un agréable compagnon de voyage. Je ne me trompai pas !
Pendant cette présentation, la vieille rangeait mes affaires dans un casier dont la porte grinçait.
- Bon maintenant que vous êtes prêts, je pense que vous allez pouvoir y aller, nous annonça-t-elle. N’oubliez pas de mettre les sandales que nous vous avons préparées. Les chemins que vous emprunterez ne seront pas forcément bien nivelés.
J’allais les suivre, lorsque me revint une pensée :
- Attendez, j’avais un rendez-vous ce matin, il faudrait que j’appelle la personne concernée pour la prévenir que je ne pourrai pas la rencontrer. Pouvez-vous me redonner mon téléphone ?
- Ne t'en préoccupe pas, tu seras de retour pour ton rendez-vous. Nous pouvons y aller, affirma l’aieul.
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