2.2 – Sur la piste glacée.

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Les révélations de Télémaque avaient généré en mon esprit de multiples interrogations. Tout cela était totalement inconcevable. Comment avait-il été possible que je rentre dans une improbable boutique tenue par trois personnes cumulant dix-mille ans d’existence ? Pourquoi avais-je senti le besoin d’y pénétrer ? Pourquoi avais-je accepté ce voyage extravagant ? Où cela allait-il me mener ? Comment allais-je pouvoir en faire la relation, moi qui n’ai jamais réussi à aligner deux mots sur un papier ?

Plutôt que de laisser ces questions me tarauder l’esprit, je repris le dialogue avec mon guide :

  • As-tu déjà visité des contrées comme celle-ci ? lui demandai-je.
  • Oui, j’ai vu de nombreux pays de neige et de glace. Mais celui-ci ne ressemble en rien à ceux que j’ai arpentés. Il me semble plus rude et plus désolé. On n’y voit que très peu d’arbres ou même d’arbustes.
  • Carrément. Il me fait penser à une chanson du québécois Gilles Vignault. Mon père l’adorait et nous l’entonnait à chaque première neige.

Comme saoulé par le paysage immaculé, je me mis à chanter à tue tête :

  • "Mon pays ce n'est pas un pays, c'est l'hiver

  Mon jardin ce n'est pas un jardin, c'est la plaine"

  Mon chemin ce n'est pas un chemin, c'est la neige

  Mon pays ce n'est pas un pays, c'est l'hiver."

Télémaque me regardait m’égosiller hilare :

  • Eh bien, mon bonhomme, je ne savais pas que j'accompagnais un crooner ! Si à un moment tu as besoin de gagner ta vie dans ce pays, tu pourras toujours faire le saltimbanque. Tu auras sûrement beaucoup de succès avec tes chansons d’un autre temps.

Comme le soleil commençait franchement à décliner, nous reprîmes notre chemin d’un pas plus vigoureux. J’en profitais pour lui poser d’autres questions qui agitaient mes neurones.

  • Penses-tu que ce pays est habité, comme on peut le croire en voyant ce village ? Si c'est bien le cas, les gens seront-ils accueillant ?
  • Je crois bien qu’il est peuplé de gens comme nous. Maintenant, te dire si tu seras bien reçu, je ne le saurais. Je n’ai pas l’impression que beaucoup d’étrangers s’aventurent par ici. Si les autochtones n’ont pas l’habitude d’en voir, tout est possible…
  • Pourquoi dis-tu "si tu seras bien accueilli" et non pas "si nous serons bien accueillis" ? dis-je avec un peu d’inquiétude dans la voix.
  • Parce que tu vas rentrer seul dans ce village. C’est ton voyage et non pas le mien. Encore une fois souviens-toi des propos d´Endiku à mon sujet : "Tu ne devrais pas le voir souvent, mais il sera toujours présent à tes côtés". Donc dès que nous approcherons, je m’éclipserai et les gens ne verront que toi. Bien sûr je te souhaite de trouver des gens accueillants, mais je ne peux te le garantir. Tu verras bien…

Ses propos ne me rassurèrent pas vraiment. Mais il était trop tard pour reculer. Effectivement, je verrai bien.

Avançant à pas réguliers dans une neige profonde, nous rompions le silence de cette plaine. Aucun chant d’oiseau, aucun grognement d’animal, ni aucun bruissement du vent ne venaient apporter leurs notes dans cette mélodie blanche.

Ce dénuement renforça notre attention et nous rapprochant de notre but, nous découvrîmes d’autres bâtiments. En fait le hameau que nous avions aperçu n’était que le premier bourg d’une cité bien plus vaste dotée de grands et larges bâtiments. Plus nous avancions et plus nous étions aveuglés par cette ville. Nous comprîmes rapidement que la totalité des bâtiments était construite en glace. Le soleil, se couchant derrière la ville, dardait sur celle-ci des rayons puissants qui se reflétaient de murs en murs et les rendaient aveuglants.

Comme nous allions pénétrer dans les premières rues, Télémaque me dit :

  • Au revoir mon ami, bonne chance et prends soin de toi. Mais n’oublie pas, je ne suis jamais loin. À très bientôt.

Et il disparut.

Je rentrai donc seul dans la cité. Je n’y croisai personne et, ici aussi, aucun bruit ne perturbait le calme ambiant. Je vis que chacune des maisons portait un fanion figurant un perce-neige dont la tête semblait vouloir rentrer dans la corolle d’un éranthis. Ces étendards étant récents, je supposais donc que la ville était habitée, mais m’étonnais néanmoins de ne voir aucun autochtone.

Je m’avançais vers le centre de la place lorsque j’entendis, plutôt dans mon esprit que par mes oreilles, un ordre qui me fit frémir.

  • Toi, ne bouge plus. Ecarte bras et jambes et reste immobile.

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