2.3 - Silence et monochromie
Bien évidemment, je suivis les consignes, j’écartai les bras et les jambes et attendis. Ne voyant pas âme qui vive, je tournai cependant la tête pour déterminer qui m’avait ainsi interpelé. Dans un premier temps je ne remarquai personne autour de moi, et je me demandais si je n'avais pas été victime d'une hallucination, mais un mouvement subtil attira mon regard. Faisant plus attention, je discernai alors une petite troupe de six personnes totalement vêtues de blanc et à la peau extrêmement claire. Leurs vêtements et leurs épidermes étaient si immaculés qu’il était quasiment impossible de les distinguer de la neige. J’avais du mal à apercevoir leurs traits, mais ils ne dégageaient aucune hostilité. De plus, ils ne portaient pas d’armes visibles.
Ils s’approchèrent de moi sans un mot. Arrivés à environ deux pas, ils s’immobilisèrent. L’un d’entre eux s'avança et m’observa de plus près. Il tendit les bras pour positionner ses mains autour de mon crâne. Descendant lentement, il fit le tour de ma silhouette tout en gardant une distance de quelques centimètres. Lors de cette palpation, ses mains ne touchèrent jamais mon corps, mais je sentis néanmoins une onde de chaleur parcourir mon épiderme là où ses mains passaient.
Bien que cette situation soit tout à fait insolite, je n’en ressenti ni gène, ni crainte. De façon incompréhensible, je me senti en confiance face à ce groupe.
À l’issue de cette exploration, il émit un commentaire indiquant que la situation était sous contrôle, je ne constituai pas un danger pour leur communauté.
J’emploie à bon escient le mot émettre, car il ne parlait pas réellement. Aucun son n’avait marqué cette réflexion. Les phrases parvenaient directement à mon cerveau sans passer par mes oreilles. Je ne comprenais pas comment cela était possible, je supposai donc qu'il devait s'agir d'un phénomène de télépathie et j’en acceptai le principe. Je tentai à mon tour de dialoguer suivant cette méthode. Je regardai fixement la personne qui s’était rapprochée et pensai très fort.
- Bonjour, je suis Harold, je viens en toute fraternité visiter votre pays. Acceptez-vous de me recevoir ?
Je le vis réagir à mes propos, mais il semblait qu’il ne les avait pas pleinement compris
- Excusez-moi, j’ai reçu une partie de vos paroles, mais certaines étaient peu compréhensibles. Pouvez-vous réessayer de communiquer avec moi ? entendis-je.
Je me concentrai et repris de façon déterminée en décortiquant mes mots :
- Bonjour, mon nom est Harold. J'arriverai d’un pays lointain pour visiter votre contrée. Je viens totalement en paix et repartirai dès que vous me le demanderez. Acceptez-vous de me recevoir ?
Le visage de mon interlocuteur se détendit et il me regarda avec un large sourire, mais en gardant les lèvres serrées, ce qui me surprit. De même, ses collègues se décontractèrent. Il semblait qu’ils avaient eux aussi compris mon message.
- Harold, vous êtes le bienvenu chez nous. Je vous propose de nous suivre, nous allons vous conduire à la maison commune dans laquelle nous pourrons faire plus ample connaissance. Je m’appelle Sour Veusar. Mais vous pouvez m'appeler Sour. Ne trainons pas car le soleil se couche et la température va encore descendre.
Par reflexe, j'ouvris la bouche pour leur répondre :
- Merci bien, je vous suis.
Mais j’eus l’impression que ma voix n’arrivait pas jusqu’à eux. De plus j’entendis des cristaux tomber à mes pieds. Regardant ce dont il s’agissait, je vis, avec stupeur, de très fines perles de glace. C’était la vapeur d’eau que le froid avait figée dès sa sortie de ma bouche.
- Ne parlez plus, entendis-je, gardez votre salive et votre chaleur jusqu’à ce que je vous le dise.
Notre petit groupe s’engagea dans une large avenue bordée d’immeubles de quatre ou cinq étages. Me demandant où ils me menaient, je profitai de cette marche silencieuse pour observer la ville.
Comme partout, ces immeubles étaient marqués du blason associant le perce-neige et l’éranthis. Le jaune de l’éranthis et le vert des tiges de perce-neige étaient d’ailleurs les seules touches de couleur visibles dans ces rues. Tout le reste était d’un blanc immaculé.
En avançant, nous croisâmes différentes personnes de tout âge. Je compris qu’avant même d’arriver sur la place, j’avais dû en rencontrer, mais que je ne les avais probablement pas distinguées du décor. Les indigènes montraient tous une peau très blanche, quasiment diaphane, et des yeux fortement bridés, profondément enfoncés dans le crâne. Il était à peine possible d’en discerner la pupille. Leur nez était court et leurs narines étroites. Une cagoule entourant leur tête, il m'était impossible de déterminer s'ils avaient des cheveux.
Ayant marché sept à huit minutes, nous arrivâmes devant un bâtiment plus haut et plus large que les autres. Un escalier somptueux marquait le centre de sa façade et de très nombreuses sculptures de glace ornaient son fronton. Des humains, mais aussi des animaux étranges et des instruments que je ne pus identifier y étaient représentés. Bien que les parois fussent constituées de glace, on ne pouvait percevoir l’intérieur du bâtiment.
Nous empruntâmes ce superbe escalier et franchîmes les vingt et une marches qui le constituaient. Les portes s’ouvrirent alors que nous étions encore sur l’ultime stade. Nous nous précipitâmes pour les franchir et le sas se referma rapidement dernière nous.
Le sol du vestibule où nous nous trouvions était recouvert d’un magnifique plancher de bois blond. Quant aux murs et au plafond, il me sembla qu’il était fait de plâtre. Je fus tout de suite saisi par l’atmosphère chaleureuse de cette pièce. Et par une magie que je ne pouvais concevoir, Il y régnait une température tout à fait agréable.
Les seuls bruits perceptibles étaient ceux liés aux déplacements des personnes, ainsi qu’un très léger bruit de soufflerie.
Je ne pus retenir mon étonnement :
- Mais c’est fabuleux. Comment faites-vous pour obtenir une telle ambiance alors qu’il fait si glacial dehors ? m’exclamai-je.
Mais je me rendis compte que ma question resterait sans réponse car personne ne pouvait la comprendre. Une réponse se formula dans mon esprit.
- Harold, n’essaie pas de parler, tu ne te feras pas comprendre. Utilise la télépathie, c’est notre principal moyen de communication. Tu t’y habitueras vite. Tout à l’heure tu as réussi. Ce n’était pas parfait, mais tu t’es fait comprendre. Concentre-toi, fixe une personne et énonce ta phrase calmement. D’ici très peu de temps tu seras à même de tenir une conversation.
Je reformulai donc mentalement ma question en regardant Sour Veusar.
Il me répondit aussitôt.
- Bien, tu fais des progrès rapides. J’ai presque compris toute ton interrogation. J’y répondrai, mais pas tout de suite car on nous attend.
Nous reprîmes notre avancée et entrâmes dans une immense pièce dotée d’un très haut plafond. Je fus choqué car elle affichait, sur toutes ses parois, une débauche de couleurs qui contrastait violemment avec le blanc uniforme de cette cité. De plus, rompant aussi avec le silence, une légère mélodie psalmodiée envahissait l’espace.
Cette pièce était bondée et nous nous avançâmes vers une estrade disposée au centre de la pièce.
Mon guide m’indiquât alors que cette assemblée attendait que je justifie ma présence ici.
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