2.5 - La cérémonie

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Le groupe qui nous avait reçus sur l’estrade se dirigea alors vers le côté de la salle opposé à celui par lequel nous étions arrivés. Il disparut par une large porte, jusqu’à présent non discernable, qui s’était ouverte opportunément.

Sour me prit par le bras.

  • Suis-moi, nous avons juste le temps de passer chez moi pour que je puisse me préparer pour la cérémonie.
  • Ok, je te suis, lui répondis-je.

Nous ressortîmes du bâtiment entourés d’une foule compacte. Beaucoup de nos voisins me gratifièrent de signes de bienvenue. J’en fus touché et en conclus que ce peuple était accueillant.

Nous passâmes d’une rue à l’autre pendant quelques minutes.

Je profitai de cette marche pour reprendre mes questions :

  • Sour, peux-tu me dire ce qu’est cette célébration à laquelle nous avons été conviés ?
  • Avec plaisir, me répondit-il. Tu as de la chance, car nous sommes aujourd’hui la première nuit du mois. Notre terre dispose de deux lunes qui tournent autour d’elle. La rotation de la plus proche se fait en dix jours alors que la seconde a une période de quinze jours. Les deux lunes sont donc dans le même axe exactement tous les trente jours, ce qui correspond aussi au cycle entre deux nuits sans lune. Nos mois commencent par une de ces nuits sans astre nocturne, et c’est le cas aujourd’hui même. Nous marquons cet événement par une cérémonie très particulière. Mais je préfère que tu la découvres par toi-même.

Bien que cette réponse ait attisé mon impatience, je décidai de la maîtriser et évoquai un autre sujet me perturbant :

  • Vos bâtiments sont en glace. Mais n’y a-t-il pas de risque qu’ils fondent lorsque le thermomètre va remonter au printemps ?
  • Non, il n’y a aucun risque. En fait la température ne se réchauffe jamais. J’ai entendu nos scientifiques dire que d’autres planètes voisines étaient régies par des saisons. Mais ce n’est pas le cas de la nôtre. L’orbite de celle-ci est absolument plane et circulaire autour du soleil. Nos années comptent exactement trois cent trente jours. De ce fait, nous avons le même climat toute l’année. Nos constructions de glace ne risquent donc pas de se liquéfier.

Ralentissant, Sour s’arrêta devant une demeure de deux étages et d’une vingtaine de mètres de large. Évidemment celle-ci était construite de glace et portait le fanion au perce-neige et à l’eranthis. Rien ne permettait de la distinguer facilement des autres. Sour concentra son regard sur un point situé à mi-hauteur sur le pilier droit de la porte. Celle-ci s’ouvrit.

Nous rentrâmes prestement. Nous nous trouvions dans un vaste vestibule au plancher de bois et aux murs de plâtre, comme celui de la maison commune. J’estimai la température de l’ordre de quinze degrés, ce qui, venant de l’extérieur, paraissait doux. Sour retira sa tunique blanche et la suspendit dans un vestiaire. Une longue chasuble blanche à manches courtes et des chausses, blanches elles aussi, couvraient son buste et ses jambes. Le voyant ainsi j’estimai qu’il devait avoir une quarantaine d’années.

Diverses locutions nous parvinrent. L’une devait avoir été émise par sa conjointe :

  • C’est toi chéri ? Tu n’es pas en avance, il va falloir faire vite. Heureusement les enfants sont prêts.
  • Coucou papa, on t’attend, répondit une pensée paraissant juvénile.
  • Oui dépêche-toi, il ne faudrait pas que nous soyons en retard, confirma une autre toute aussi jeune.

Sour me fit rentrer dans une pièce adjacente :

  • Attends ici et mets-toi à l’aise. Ma femme va venir t’accueillir et te montrer ta chambre, dit-il en partant.

Une bonne minute plus tard, je vis entrer une femme magnifique entourée de deux enfants à qui je donnai huit et dix ans.

  • Bonjour je m’appelle Sjókoma et je suis très heureuse de vous recevoir, dit-elle avec un joli sourire.
  • Moi c’est Lillálfur, dit le plus grand des enfants en affichant un air un peu timide.
  • Et moi Vetuögun, reprit sa soeur. Et toi comment tu t’appelles ? Tu es rigolo avec ta peau toute rouge et tes cheveux marron. On dirait un gâteau au kastaníu.
  • Les enfants, soyez gentils, n’importunez pas notre hôte, intervint leur mère.
  • Pas de problème, dis-je. Je m’appelle Harold. Et cela me fait plaisir de vous rencontrer.

Outre leur gentillesse, leurs tenues me surprirent. En effet, tous les trois portaient de longues chasubles chatoyantes. Celle de la maman était rouge, presque rose, celles des enfants vertes. Leurs boots étaient assortis à ces tenues.

Harold, si vous voulez bien me suivre, je vais vous montrer votre chambre.

  • Vous pouvez me tutoyer, Madame, si vous le souhaitez. Votre mari le fait déjà.
  • Alors, allons-y, dit-elle en enfilant un escalier. Mais alors appelle moi Sjókoma. Tu dormiras dans la chambre de Vetuögun. Pendant ton séjour, elle partagera la chambre de son frère. Ils adorent cela.
  • Cool, c’est très gentil de sa part.
  • Voilà, c’est ici, dit-elle en ouvrant la porte.

Nous pénétrâmes dans une très jolie petite pièce d’environ trois mètres sur trois. Les murs étaient peints d’animaux mythiques dotés de très grands yeux et de très grandes oreilles et s’ébrouant dans une végétation très colorée. Cette débauche de couleurs m’étonna car je me demandai d’où pouvaient venir les pigments de ces peintures. La chambre était meublée d’un lit posé sur une dalle de glace, d’une chaise à trois pieds et d’une petite armoire. La vue du sommier de glace me surprit. Mais un matelas d’une matière que je ne reconnus pas semblait l’isoler du froid.

  • T’as vu comme elle est super belle ma chambre, dit la petite en entrant. C’est moi qui ai choisi les dessins. T’aimes ?
  • Carrément. Ta chambre est magnifique, tu as très bon goût !
  • Si tu veux te nettoyer les mains et la figure, tu trouveras ce qu’il te faut dans la salle d’eau, juste à côté, reprit la maman. Mais attention, contrairement à ce que l’on pourrait croire, l’eau est précieuse ici. Aussi nous te demanderons de ne pas en gâcher.
  • Pas de problème. Je ferai attention.
  • Maintenant, dépêchons-nous il ne faudrait pas que nous arrivions en retard.

Arrivés en bas, nous retrouvâmes Sour. Lui aussi s’était changé. Il était vêtu d’effets d’un rouge plus clair que ceux de sa compagne. Il se tourna vers moi.

  • Je suis désolé Harold, mais il va te falloir venir habillé comme tu es. Ne peuvent participer à la cérémonie que les initiés. Tu pourras néanmoins y assister en totalité. Cependant, tu vas devoir porter ces lunettes, dit-il en me tendant une paire de binocles très épais. Le froid est si intense que si tu restais longtemps les yeux ouverts, ceux-ci gèleraient et pourraient tomber.

Fort de ce conseil, je chaussai donc les lunettes.

Nous sortîmes et reprîmes la direction de la maison commune. Mais nous ne nous y arrêtâmes pas. Nous prîmes la rue suivante vers le nord. Nous nous joignîmes au mouvement d’une foule compacte et fortement bariolée. Je pus saisir des bribes de conversations. Toutes semblaient joyeuses et animées.

Le chemin montait en pente douce et après un bon kilomètre, nous atteignîmes une vaste plateforme qui dominait la ville. Celle-ci était éclairée par une ceinture de candélabres émettant une lumière orangée. Je ne pus distinguer d’où émanait cet éclairage, mais il ne provenait pas d’un foyer ouvert. Une assistance considérable déambulait déjà sur cette terrasse. Tous portaient des tenues flamboyantes. Il me sembla y retrouver les couleurs illustrant l’aurore boréale sur le troisième panneau de la salle de l’assemblée. Je pressentis que ce ne devait pas être un hasard.

Soudain, un son très grave se fit entendre et les luminaires baissèrent d’intensité. Aussitôt Sour m’indiqua des gradins en bordure de la plateforme.

  • Va t’assoir là et ouvre les yeux. Je t’y retrouve à l’issue de la cérémonie.
  • Ok, je t’attendrai, répondis-je impatient de voir ce qui allait se passer.

Arrivé à la place qui m’avait été désignée, je vis que les habitants de la cité se regroupaient suivant la couleur de leurs vêtements. Rapidement, chacun parut être à sa place et plus personne ne bougeât. La plateforme fut totalement plongée dans le noir. Seules les étoiles y apportaient leurs très modestes lumières. Je remarquai que le ciel ne correspondait en rien à celui auquel j’étais habitué et ne reconnus aucune constellation.

Alors que je contemplais la voûte céleste, j’aperçus de légères couleurs apparaître vers le nord. D’abord un fil tenu, puis un ruban et enfin des voiles gigantesques. Simultanément, la foule se mit à onduler d’abord de façon imperceptible, puis plus nettement au fur et à mesure que l’aurore boréale s’épanouissait. Une mélodie lancinante envahit mon esprit. Peu à peu, elle se fit elle aussi plus allègre.

Je remarquai alors que les groupes polychromes évoluaient en synchronisation parfaite avec les couleurs de l’aurore. Ma position, légèrement en surplomb de l’esplanade, me donnait l’impression que les draperies luminescentes se reflétaient dans un miroir humain. Je ne pus dire si les hommes suivaient le mouvement des voiles, ou à l’inverse, si c'était eux qui les dirigeaient.

Le spectacle évoluait en permanence, généralement de façon assez lente, mais parfois par pulsations rapides. Mais jamais, durant leurs déplacements, les gens ne se bousculaient. Observant les personnes les plus proches de moi, je vis qu’elles semblaient en transe. Elles montraient un visage parfaitement détendu et de paisibles sourires. Je les entendais chanter bien que leurs lèvres restaient jointes. La mélopée qui émanait d’eux était parfaitement synchrone avec les mouvements dans le ciel.

Le spectacle était magique. La communion entre ces dizaines de milliers d’hommes et de femmes et l’atmosphère irisée était absolue. J’en eu le souffle coupé tant l’émotion me submergeait. L'étreinte féérique de cette humanité et de la nature était absolument fascinante. Je ne sais pas combien de temps elle dura, mais je ne sentis pas passer les minutes tellement j’étais absorbé par ce spectacle enchanteur.

Lorsque les couleurs célestes pâlirent, un petit cortège fendit la foule et s’avançât jusqu’au centre du plateau. Je vis d'abord des adolescents, garçons et filles, se mouvoir en brandissant d’étranges lanternes. Ils donnaient l'impression de glisser silencieusement sur le sol. Alors que les personnes s'écartaient pour les laisser passer, Je constatais qu'ils encadraient de jeunes enfants parés de tuniques bleues. Ils prirent tous place au milieu de l’assemblée, face à un très vieil homme et s'inclinèrent. L'ancien murmura quelques invocations et les aspergeât d’une poudre jaune semblable à du pollen. Les enfants retirèrent alors leurs robes et prirent devant eux des tuniques vertes dont ils se couvrirent aussitôt. Pendant ce temps, la foule, qui s’était organisée en cercle autour des enfants, se mit à tourner, les bras tendus vers la voûte céleste. Une nouvelle mélopée envahit mon cerveau. Plus légère et plus équilibrée que la précédente, elle me parut être émise par les enfants.

Dès que la foule eut fait un tour complet, le son très grave qui avait annoncé le début de la cérémonie retentit de nouveau et les candélabres se rallumèrent. Ceci marqua la fin de ce magnifique cérémonial. Les groupes de couleur se disloquèrent et chaque famille se reconstitua dans un silence absolu.

Sour me rejoint le premier, Sjókoma et les enfants arrivèrent peu de temps après. Leurs visages exprimaient à la fois joie et apaisement.

  • Rentrons, dit Sour. Tu dois avoir faim.

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