2.8 - Cultures et ressources de la Cité

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Nous remontâmes en voiture et Sour reprit la route vers le sud.

  • Cette vallée est vraiment incroyable, lui dis-je. Mais que faites-vous des denrées que vous récoltez ici ?
  • Nous en faisons de multiples usages. En tout premier, ils ont vocation pharmaceutique. Nous produisons un large panel de médicaments. Mais nous les consommons aussi lors de certains repas, comme nous ne pouvons qu’en produire peu, nous ne le faisons que dans les très grandes occasions. Nous avons cependant une palette de plats assez large et savoureuse. D’ailleurs Sjókoma est une excellente cuisinière. Tu pourras le constater ce soir avec ce que les enfants ont ramené.
  • Cette vallée est-elle votre seul lieu de culture ?
  • Non, en tout, nous en avons quatre répartis tout au long de la chaine de montagnes. Mais celle-ci est la plus remarquable.
  • Tu as dit que nous allons vers le dépôt de bois. Cela veut dire que vous en produisez aussi. Pourtant, je n’ai pas vu beaucoup d’arbres.
  • Notre production n’est évidemment pas assez importante pour répondre à nos besoins. Aussi, nous en achetons chez nos voisins qui cultivent beaucoup plus d’espèces d’arbres que nous et en bien plus grands volumes. L’entrepôt que nous allons visiter est destiné à recevoir ces commandes.
  • Mais cela veut-dire que vous avez des échanges commerciaux avec vos voisins ?
  • Oui, bien sûr. Nous ne pourrions vivre uniquement avec nos propres productions. En contrepartie, nous exportons aussi quelques produits, notamment le plancton et ses dérivés ainsi que certains médicaments. Mais nous avons aussi une forte activité de prestations intellectuelles. Nos centres de formation sont réputés pour être les meilleurs du continent.
  • Les autres peuples sont donc aussi capables de communiquer en télépathie avec vous ?

De façon surprenante, je l’entendis alors me répondre de façon vocale. Je me tournai vers lui et vis qu’effectivement ses lèvres bougeaient. Evidemment, je ne comprenais pas ce qu’il disait.

  • Mais alors, tu parles, m’étonnai-je.
  • J’en suis effectivement capable, me répondit-il en reprenant la communication télépathique. Peu d’entre nous le peuvent car cela fait très longtemps que nous préférons la communication silencieuse. D’une part elle nous permet de garder notre énergie interne en n’évacuant pas d’air chaud, et d’autre part, elle permet d’exprimer beaucoup plus nettement et facilement nos pensées. En revanche, les autres peuples ne l’utilisant pas, nous sommes obligés de parler avec eux. À la naissance, tous les enfants crient et sont dotés de cordes vocales. Ils pourraient donc parler. Très vite, nous communiquons avec eux uniquement par l’esprit. Ils ne les utilisent donc plus et celles-ci s’étiolent les rendant muets. Mais certains d’entre nous sont élevés en utilisant les deux modes de communication. C’est mon cas et c’est pour cela que je peux m’exprimer oralement. La plupart d'entre nous, sommes choisis dans des familles de commerçants ou de diplomates. Très jeunes nous suivons nos parents dans leurs voyages à l’étranger et ainsi nous apprenons les langues locales.
  • C’est incroyable. Votre cité paraît être dotée d’une organisation extraordinaire. Je suis vraiment très impressionné. Répondis-je, alors que j’entendais les deux enfants entonner une comptine légère pour me montrer qu’eux aussi savaient s’exprimer par la voix.

A la fin de leur chanson, que je ne compris bien sûr pas, ils éclatèrent de rire. Sour et moi les rejoignîmes dans cette douce allégresse.

  • J’ai encore une question sur la télépathie. J’ai constaté que tu pouvais t’adresser à toute une foule. Cela, je pense savoir le faire. Mais tu peux aussi t’adresser directement à moi et rien qu’à moi. J’en suis incapable. Comment fais-tu ?
  • Dès nos premières années, nous transmettons les techniques de télépathie à nos enfants. Ils peuvent, rapidement comme toi, émettre des pensées sans limite d’auditeurs. Nous leur apprenons ensuite à échanger avec un seul interlocuteur à la fois. Puis, lorsqu’ils ont la maîtrise de la conversation à deux, nous leur inculquons la technique de la communication sélective grâce à laquelle, ils peuvent choisir de rentrer en contact avec un nombre restreints de locuteurs choisis. Cette dernière forme de communication nécessite un long entrainement et n’est en général acquise que vers l’âge de sept ans. C’est cette maîtrise totale de la communication qui est marquée par la célébration que tu as vue hier.

Alors qu’il finissait sa phrase, Sour immobilisa la voiture devant un large hangar. Celui-ci était en bois. C’est le premier bâtiment que je voyais qui n’étaient pas fait de glace. Devant ses portes divers engins étaient stationnés. Certains devaient venir d’autres contrées car ils exhalaient une désagréable auteur de combustible fossile. Quand nous entrâmes dans l’édifice, je constatais la présence d’étrangers. Ils dénotaient tant par leurs tenues vestimentaires que par leur allure générale. Ils étaient en général plus petits, mais plus trapus que les locaux et portaient de très épaisses doudounes qui amplifiaient leurs tailles, les rendant presque aussi larges que longs.

  • Les étrangers que tu vois sont des commerçants. Ils sont venus livrer du bois et repartiront avec des chargements de plancton, mais aussi des roches extraites de nos mines. Je te montrerai l’une d’entre elles un peu plus tard. Mais en attendant suis-moi que je te montre les produits entreposés ici.

Nous nous enfonçâmes dans le bâtiment.

  • Voici le gràóni, c’est la principale espèce locale, me dit-il. En me montrant de longs madriers de couleur crème, à grain fin et fil très droit. Il est imputrescible et résiste au feu. C’est lui que nous utilisons pour les planchers de nos bâtiments. Nous n’en avons pas dans la vallée car il pousse un peu plus haut sur certains coteaux exposés plein sud et proches de sources d’eau tiède. La quasi-totalité des autres essences entreposées ici viennent de l’étranger.

Déambulant dans les allées, je vis une multitude de types de planches et poutres de couleurs variées. Outre celles que j'avais déjà pu voir dans le cadre de mon métier, je repérai aussi des billots de teinte bleue ou jaune. Je ne retins pas les noms des espèces car je ne pus les associer à aucun bois que je connaissais.

En retournant vers la voiture, nous revîmes les étrangers.

  • D’où viennent-ils ? demandai-je.
  • De plusieurs des pays plus au sud. Certains arrivent de très loin et mettent plus d’un mois pour arriver jusqu’ici. Mais ils ne restent jamais longtemps car ils ne supportent pas notre climat. En dehors des dignitaires de ces pays, aucun n’entre dans la cité. C’est déjà arrivé il y a longtemps, mais pour résister au froid ils buvaient de l’alcool et, une fois saouls, provoquaient des bagarres. C’est pourquoi ils doivent maintenant rester hors de la ville.
  • Je vais donc faire attention à ne pas abuser de ta boisson d'hier soir, lui répliquai-je en riant.
  • Je t’ai promis de te montrer une mine. Allons-y avant qu’il ne soit trop tard, reprit-il.

Dès que nous fûmes tous les quatre à bord, Sour reprit une piste filant vers le couchant. Nous nous enfonçâmes un peu plus dans la montagne. La route était sinueuse mais assez large pour faire passer de gros engins.

Je repris mes questions :

  • Je ne vois aucun animal dans le paysage. N’y a-t-il aucune vie animale ici ?
  • Détrompe-toi, me répondit le conducteur. La vie existe ici aussi. Peu nombreuse mais bien réelle. On en trouve de toutes tailles depuis les mulots jusqu’aux gros mammifères carnivores. Comme tu peux t’en douter, tous les animaux qui vivent dans ces montagnes ont une abondante fourrure blanche. Et comme ils ne crient que très peu, il est extrêmement difficile de les détecter. Mais ils sont bien là. Il y a aussi quelques rares espèces d’oiseaux. Ils sont petits et de couleur blanche, il faut être chanceux pour les voir.
  • Regardez, nous avons beaucoup de chance, sur notre gauche, il y en a justement cinq qui volent, dit-justement Lillálfur, tout excité.

Effectivement, cinq volatiles fendaient l’air à quelques dizaines de mètres de nous. J’y distinguais deux types différents. Les trois plus petits présentaient un plumage immaculé blanc alors que les trois autres, sensiblement plus grands affichaient, sur les flancs et le haut de la poitrine d'importantes barres et marques brunes concentrées. Ils émettaient des cris assez semblables à des aboiements, mais précédés par une onomatopée gutturale : "dogodogo-kroow-kroow".

  • Et bien quand on parle de bonne fortune …, révéla Sour.

Nous atteignîmes rapidement la mine. Au premier regard, elle faisait penser à un erg de sable rouge. Mais cette dune semblait figée et un large tunnel s’enfonçait en son milieu. Comme au dépôt de bois, divers véhicules en gardaient l’entrée. Nous nous garâmes à quelques pas de l’ouverture de la galerie.

  • Nous sommes ici sur une mine d’amosite. Nous n’entrerons pas dans la mine elle-même car ce serait dangereux, mais je vais te montrer les produits que nous en extrayons, annonça Sour. Ne t’inquiète pas, même si la roche te parait friable, il n’y a aucun risque qu’elle s’effondre car la température ambiante la rend extrêmement compacte et solide.

Nous entrâmes dans une large pièce située dès l’entrée de la galerie. D’autres étrangers étaient présents ici aussi.

Sour s’avança vers une table où différents types de roches étaient exposés. L’une d’entre elles aux couleurs miel et rayée d’une bande sombre attira immédiatement mon attention. C’était un œil-de-tigre ! Ainsi le lien avec l’ancienne boutique était retrouvé. J’en eus le souffle coupé.

Mon guide s’en aperçut et me demanda :

  • Harold, cela va bien ? Tu es presque aussi blanc que nous !
  • Oui, pas de problème. C’est simplement que j’ai reconnu cette pierre. Nous l’appelons l’œil-de-tigre.
  • Tiens, c’est amusant, nous nous l’associons à la pupille du tàígrsdýr. C’est l’animal carnivore dont je te parlais tout à l’heure.
  • Effectivement, c’est un parallèle étonnant.

Mais beaucoup d’autres formes de pierres étaient exposées ici, certaines de couleur unie, rouge ou bleu foncé notamment, d’autres découpées en tranches de couleurs combinées.

  • Cette roche est extrêmement importante pour nous. Nous l’utilisons en pharmacie pour traiter des problèmes d’articulation ou réparer les os mais aussi pour entretenir notre sensibilité visuelle. Nous montons les plus belles gemmes en bijoux. Elle nous sert aussi lors de nos cérémonies et nous aide à la méditation. Mais tu en as déjà vu un autre usage. Nous le réduisons en poudre, éliminons ces composants dangereux et en faisons de fines plaques qui ont un pouvoir considérable d’isolation. Ce sont ces plaques qui tapissent tous nos bâtiments et les protègent de la glace.
  • C’est incroyable, m’extasiai-je. Vous avez très peu de ressources, mais vous les exploitez de façon admirable. Mon peuple devrait s’inspirer de vous !
  • Merci pour ce compliment, mais de toute façon, pour survivre ici, nous n’avons pas le choix. Nous devons faire corps avec la nature.

Ayant achevé la visite, nous retournâmes vers la voiture pour rentrer à la cité.

Avant même que nous démarrions, Sour sembla subitement se figer. Après une bonne minute, il se tourna vers moi.

  • Il faut absolument que je rentre, il y a un problème. On vient de trouver le corps d’un étranger sur la route du sud. Je vous dépose à la maison et je vais me rendre sur place, annonça-t-il.

Je pensai immédiatement à Télémaque. Pourvu que ce ne soit pas lui qui ait été retrouvé. Je ne saurai pas alors comment continuer mon voyage ou rentrer chez nous ! Et dans le fond, je commençais à avoir de l'amitié pour lui.

Malgré les épais vêtements dont j’étais revêtu, j’eu l’impression que le froid envahissait mon être tout entier.

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