2.8 - Jeux et apprentissages.
Sur la route du retour, j’eus l’impression que Sour était quasiment en communication permanente et même si je ne pouvais rien en capter, je le voyais soucieux et ses mimiques trahissaient une réflexion intense. Si nous n'avions pas été seuls sur la route, j’aurais été inquiet de son manque de concentration.
Je profitai d’un moment où il eut l’air de se détendre pour le questionner de nouveau.
- Sour, comment fais-tu pour t’entretenir avec des interlocuteurs lointains ? La télépathie se joue-t-elle de la distance ?
- Non, me répondit-il. Il est parfois possible de rentrer en relation avec quelqu’un qui est très loin. Mais cela demande beaucoup de concentration. Cela n’est pas possible en conduisant. Nos ingénieurs ont mis au point des connecteurs électroniques longues distances. C’est grâce à eux que nous pouvons, sans difficulté, communiquer où que nous soyons, dans une zone couverte. D’ailleurs, tu peux voir là-bas sur la gauche une antenne relais. Toutes nos routes et zones d’activité sont couvertes. Par contre, ce n’est pas le cas des montagnes où nous ne nous aventurons que très rarement. Mais excuse-moi, on m’appelle.
Je le vis se concentrer de nouveau et il ne sembla plus se détendre jusqu’à l’arrivée au hangar de l’entrée de la cité. Descendant de la voiture, il nous transmit ses consignes :
- Les enfants, vous allez ramener Harold à la maison. Maman ne devrait pas tarder à rentrer. Vous lui direz que je serai de retour pour le diner.
- D’accord Pap’, dirent les deux enfants à l’unisson.
- Nous ferons en sorte de ne pas perdre Harold en route, rajouta le garçon en riant.
- Je compte sur vous, insista leur papa. Et n’oubliez pas les provisions que vous avez ramenées de la vallée.
- Pas de danger. Je me régale déjà rien qu’à l’idée de ce que maman va en faire ! conclut Vetuögun.
Nous nous mîmes en route vers la maison. De son côté Sour monta dans un véhicule où le chauffeur attendait et reprit la route aussitôt.
Lorsque nous arrivâmes à la maison, Sjókoma n’était pas encore rentrée. À les voir s’agiter, je me doutais que les deux garnements mijotaient quelque chose. Ils allèrent déposer leur récolte dans une pièce qui devait être la cuisine et revinrent vers moi en chantant à vive voix. Si Sour ne m’avait pas dit que certains d’entre eux étaient capables de parler, je n’en aurais pas cru mes oreilles.
Bien sûr le chant m’était complètement incompréhensible. En dépit d’un ton assez guttural, leur chant était assez harmonieux. Une phrase semblait revenir régulièrement, faisant penser à un refrain, sonnant à peu près comme cela : « Longie lafa weendey, Longie lafa voetar weendey »
Je devais faire une vraie tête d’ahuri car, en me regardant, ils éclatèrent de rire. Cela me donna une idée :
- Et si je vous apprenais une chanson de chez moi ? Cela vous plairait ? leur envoyais-je par la pensée.
- Oh oui, ce serait super génial. Apprends-nous une chanson de ton pays ! me répondirent-ils en cœur.
- Alors vous allez bien m’écouter et vous chanterez après-moi. Le morceau s’appelle « Coucou le hibou » c’est une très vieille comptine que tout le monde connaît. Voici les paroles :
- Dans la forêt lointaine
On entend le coucou
Du haut de son grand chêne
Il répond au hibou
Coucou le hibou, Coucou le hibou, coucou coulou coucou
Coucou le hibou, Coucou le hibou, coucou coulou coucou - Oh la là, je ne comprends pas tout, mais je pense que cela va être rigolo, s’exclama Lillálfur, déjà hilare.
Je lançai donc le premier couplet.
Le son devait chatouiller leurs oreilles car je les vis s’agiter et glousser.
- Alors à vous maintenant, à la voix. Ecoutez bien.
Je chantais pour la première fois assez doucement pour qu'ils puissent bien entendre la comptine.
- Allez, on recommence tous ensemble. Je reprends les paroles avec vous. Dis-je.
Nous nous mîmes tous les trois à chanter simultanément.
Au moins au début, car rapidement l’un et l’autre perdirent le rythme et j’entendis des "Koku", des "Gibou", des "Chicou", et autres déformations hasardeuses des paroles d’origine. Plus cela allait, plus le fou-rire nous gagnait. Je commençais à en attraper mal aux côtes lorsque nous entendîmes Sjókoma nous interpeller.
- Et bien, on ne s’ennuie pas ici. Et quelle est la cause de cette gaieté très démonstrative ?
- C’est Harold. Il nous apprend une chanson de chez lui, elle est très rigolote, lui répondit Vetuögun. Tu veux qu’on te la chante ?
- Ah oui, vraiment, j’aimerais entendre cela.
- Alors écoute, lui répondit sa fille.
Et là, à ma grande surprise, alors que j’étais prêt à entendre une bouillie infame de mots, les deux enfants entonnèrent la ritournelle quasiment sans faute ; Ainsi donc ils s’étaient moqués de moi et moi j’avais foncé dans le panneau. Un peu vexé mais surtout impressionné par leur capacité à intégrer un élément aussi éloigné de leur culture, je restai sans voix.
La maman s’en aperçut et me rassura :
- Ne t’étonne pas, nos enfants ont de très grandes capacités d’apprentissage, d’adaptation et de mémoire. Ce sont de véritables éponges à connaissances. C’est une très grande chance, mais cela représente aussi un très gros risque pour eux, car il faut que leur cheminement cognitif reste adapté à leur maturité, sinon, ils peuvent subir de graves troubles psychologiques. Mais nous pourrons en parler un peu plus tard.
Elle se tourna vers ses enfants.
- Maintenant allez vous préparer pour la soirée.
- D’accord mam’, mais nous t’avons ramené plein de bonnes choses de la vallée pour que tu puisses nous préparer tes spécialités pour le diner.
- Super. Alors je vais essayer de ne pas vous décevoir et ainsi faire honneur à notre invité.
Les enfants montèrent à l’étage.
Je me rappelai alors le message de Sour et lui transmis.
- Des gens ont retrouvé un corps sur la route vers le sud. Il semblerait que ce soit un étranger. Sour a été prévenu et il est parti sur place. Il a cependant dit qu’il serait de retour pour le diner.
- Merci de m’avoir transmis l’information. Mais j’en avais déjà été informée déjà par un de ses collègues. En attendant viens avec moi, je vais préparer le repas.
Nous entrâmes dans la cuisine et aussitôt Sjókoma tria les victuailles et se mit à les cuisiner.
- Puis-je vous demander quel est votre métier ? lui lançai-je.
- Je suis enseignante à l'Université. Ma spécialité est-ce que nous appelons l’informatique transactionnelle. Nous l’utilisons beaucoup pour faciliter les échanges avec les machines notamment. Mais je ne pense pas que ce domaine t’intéresse beaucoup.
Effectivement, elle avait vu juste. L’informatique, la cybernétique et l’intelligence artificielle ne m’avaient jamais intéressé. J’estimai donc que ce n’était pas la peine qu’elle s’étende sur ces sujets. En revanche, j’étais passionné par les méthodes de transmission du savoir.
- J’ai pu constater avec les enfants qu’ils ont d’énormes capacités d’apprentissage. Pouvez-vous me dire comment vous transmettez vos savoirs ?
- Somme toute, assez facilement grâce à notre système de communication par télépathie. Nous échangeons les idées sans limite de mots ou de construction de phrase. Nos échanges sont limpides et de ce fait très compréhensibles par celui qui les reçoit. Les pensées et les constructions intellectuelles sont ainsi absorbées très rapidement. Nos enfants n’ont donc pas besoin de passer des heures entières pour assimiler une notion de mathématique, de physique ou de philosophie. L’apprentissage est donc extrêmement rapide.
- Effectivement, je comprends mieux, dis-je en l’interrompant. Vous avez beaucoup de chance. Nous autres, nous sommes contraints par l’usage de mots qui n’ont pas toujours le même sens pour deux interlocuteurs, ce qui complexifie nos échanges. De plus, nous avons autant de langues différentes que de pays ou de régions et nous ne nous comprenons pas de façon naturelle. Vous avez énormément de chance.
- C’est exact, reprit-elle. Mais comme je le disais tout à l’heure, il nous faut être extrêmement prudents dans l’éducation, car tout n’est pas accessible à tout âge et nous voyons régulièrement des enfants s’égarer mentalement pour avoir été confrontés à des concepts qu’ils étaient incapables d’assimiler. Nous faisons très attention à ce que nos enfants ne grandissent pas trop vite. C’est notamment pour cela qu’aujourd’hui ils ont pu vous accompagner, plutôt que d’étudier.
A cet instant, nous vîmes la grande silhouette de Sour s’encadrer dans la porte. Il avait un air sombre.
- Les nouvelles ne sont pas bonnes, dit-il .
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