3.2 - Retour à la vie

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Graduellement j’émergeai d’un long tunnel noir. J’entendis d’abord des sons réguliers de plus en plus distincts, puis le jour transpira doucement à travers mes paupières. Enfin, je sentis des doigts effleurer mes boucles.

Aussitôt mon cœur s’accéléra. Sans les voir, et bien que semi-conscient, je reconnaissais ces doigts… J’avais retrouvé Télémaque, ou plus probablement, celui-ci m’avait retrouvé.

Me voyant ouvrir les yeux, il se mit aussitôt à plaisanter :

  • Dis donc, il me semble que tu reviens de loin. Je ne sais pas où tu étais parti, mais je te rappelle que tout au long de notre voyage, tu n’as pas l’autorisation de me fausser compagnie. Alors, va pour cette fois, mais ne me refais plus jamais un coup pareil.
  • C'est bizarre, j'avais plutôt l'impression que c'était toi qui m'avais laissé tomber comme une vieille chaussette. Mais, je vais, quand même, te dire un truc que tu pourras oublier tout de suite, lui répondis-je. Je suis bien content de te voir ! Mais, au fait, où suis-je ?
  • Simplement, dans ce qu’on appellerait chez nous, un hôpital. C’est là où l’on met habituellement les gens que l’on ramasse au bord de la route alors qu’ils sont partis sur une autre planète, me dit-il sans quitter son air moqueur.
  • Mais que m’est-il arrivé ? Je me revois marchant après une nuit épouvantable dans une auberge sinistre, mais après, j’ai un grand trou. Je ne sais pas comment je suis arrivé ici.
  • Il semblerait que tu aies été agressé par trois voyous, mais heureusement ils ont fui dès qu’un véhicule est arrivé. Ils t’ont quand même laissé inconscient en bordure de route.
  • Ah oui, je m’en souviens maintenant, c’étaient les trois malfrats de l’auberge. Ceux-là même qui ont pu massacrer le malheureux homme trouvé par les gens de Eilífuis.
  • De quoi parles-tu ? m’interrogea Télémaque.
  • Je parle du crime qui a eu lieu pendant que nous discutions dans la vallée, avant-hier. Un jeune homme a été massacré et son visage a été totalement défoncé. Or comme sa carrure et sa chevelure correspondaient aux tiennes, j’ai craint que tu en sois la victime. Mais Dieu merci, ce n’est pas le cas.
  • Tu ne pensais quand même pas te débarrasser aussi facilement de moi ! me répondit-il de son ton toujours aussi décalé. Mais dis m’en plus.

Je lui fis un rapide résumé de ce que je savais de l’homicide et de l’enquête menée par Sour. Je lui racontai aussi ma nuit à l’auberge, la rencontre avec les trois malandrins et les raisons que j’avais de les soupçonner, ainsi que mes tentatives d’auto-stop. Je conclus en lui faisant part de mes inquiétudes :

  • Je crains qu’ils aient soupçonné que j’étais sur leurs traces et qu’ils aient voulu m’éliminer.
  • Non, c’est peu probable, répondit-il. Ils ont fui les lieux du crime bien avant ton passage et ils ne savent probablement pas que le corps a été retrouvé puisqu’ils pensaient l’avoir camouflé sous la glace. Donc ils ne peuvent pas savoir que tu es au courant du crime. Quant à la raison pour laquelle ils t’ont agressé, je pense la connaître…
  • Oh, ne joue pas aux devinettes avec moi, ce n’est pas le moment, m’énervai-je.
  • Alors sachez Môsieur Harold, que lorsque l’on veut voyager loin, non seulement il faut ménager sa monture, mais aussi ménager les cultures ! Figure-toi que, dans ce pays, fermer le poing en pointant le pouce vers le haut a à peu près la même signification qu’un doigt d’honneur chez nous. Donc au lieu de faire du stop, tu insultais les voyageurs de passage…
  • Oups, je comprends mieux maintenant les coups de klaxon des voitures qui me doublaient. Et donc je suppose que les trois compères, à la cervelle de blaireau, aient voulu se venger de l’affront. Et comme ils ne connaissent probablement que le langage de la violence, ils me sont tombés dessus.
  • C’est sans doute cela. Je suis d’accord avec toi pour dire qu’il y ait de fortes chances que ces gars soient les auteurs de l’assassinat d’avant-hier. Mais d’une part, ils ne peuvent pas savoir que tu es au courant de leur forfait, et d’autre part, nous ne sommes pas en mesure d’investiguer davantage sur eux. Donc je propose que nous arrêtions de nous préoccuper de leur sort et que nous reprenions notre voyage calmement, et je ne te lâcherai plus d'une semelle, conclut Télémaque.
  • Tu as sans doute raison. Mais c’est quand même dommage. J’avais probablement les assassins à proximité et je ne peux rien faire. Si, au moins, je pouvais avertir Sour, ce serait déjà un bon point. Mais je ne sais pas comment le joindre. Je n’ai pas la maîtrise suffisante de la télépathie.

Sur ces paroles, nous restâmes tous deux pensifs. Mais aucune solution ne semblait émerger. Nous engagions donc d’abandonner cette affaire en espérant que les enquêteurs de Eilífuis seront assez performants pour la résoudre seule.

Pendant que nous discutions, je sentais comme un roulis me prendre de temps à autre. Je m’en ouvrai à mon compagnon.

  • Tu n’as pas l’impression que la terre tremble de temps en temps ? Ou alors ai-je la fièvre pour ressentir cela ?
  • Non, je les ressens aussi. Mais ce n’est pas la terre qui tremble. En fait, nous nous trouvons sur la mer et c’est elle qui fait bouger ce bâtiment.
  • Sur la mer ? Mais alors nous sommes dans un bateau ?
  • Pas vraiment, non. En réalité, toute la ville est construite sur l’eau. Pas comme Venise, sur des iles. Mais sur des plateformes flottantes reliées aux autres par des ponts souples qui permettent aux différentes plaques de bouger sans impliquer les autres. Tu vas voir cela en sortant d’ici.

À l’instant où il achevait sa phrase, une personne rentra dans la pièce. C’était un homme portant une fine barbe rousse comme ces cheveux. Assez grand et plutôt large d’épaules, il affichait une autorité naturelle matinée d’une évidente bienveillance.

  • Bienvenue parmi nous, me dit-il avec un large sourire. J’aurais aimé faire votre connaissance dans d’autres circonstances, mais visiblement trois ivrognes en ont décidé autrement. Je suis le docteur Noahlégsan, et c’est moi qui vous ai accueilli ici il y a quelques heures. Mais je suppose que vous ne vous en souvenez pas !
  • Non, excusez-moi, mais ma mémoire me fait un peu défaut sur les dernières heures, répliquai-je sur un ton badin.
  • Pas de problème, j’ai l’habitude. Donc, j’ai profité que vous me laissiez agir tranquillement pour vous faire un bilan complet. Les nouvelles sont bonnes. En fait je pense que vous avez été tellement surpris par l’attaque que votre cerveau s’est déconnecté en se mettant en position de sécurité. Vous avez donc perdu connaissance rapidement ce qui a dû frustrer vos compagnons de jeu. Grace à cela, vos blessures sont superficielles et je suis au regret de vous dire que vous pouvez nous quitter dès que vous aurez rangé vos affaires.
  • Excellentes nouvelles, merci docteur. Je ne sais pas comment vous remercier.
  • Je ne fais que mon job. Cependant je pense que vous devez être étranger et que c’est votre premier séjour ici.
  • Carrément, c’est tout à fait cela. Nous venons de Eilífuis et avons l’intention de visiter le continent.
  • Ne m’en dites pas plus, car d’autres patients m’attendent. Mais je vous trouve sympathique et ne pouvant pas beaucoup voyager, j’aime entendre parler de contrées lointaines. Alors si vous le souhaitez, et que cela ne bouleverse pas vos plans, nous pourrons nous retrouver à la fin de mon service, vers dix-sept heures.
  • Super, c’est une excellente idée. Répondit aussitôt Télémaque d’un air ravi. Où nous retrouvons nous ?
  • Je connais une excellente adresse pas trop loin d’ici. Je vais vous la noter sur ce papier.

Le médecin écrivit donc l’adresse sur une carte qu’il nous tendit avec un grand sourire. Bien sûr, nous étions incapables de lire cette langue. Mais en demandant à des passants, j’étais sûr de pouvoir trouver.

Je ramassais mes rares affaires et nous sortîmes de l’hôpital.

J’eu confirmation des dires de mon compagnon de voyage. L’hôpital était posé sur une très large barge qui oscillait à peine sous l’effet de la mer qu’elle dominait d’une cinquantaine de centimètres. Mon étonnement fut grand de constater que d’énormes bâtiments entouraient l’établissement hospitalier. Certains affichaient plus de quinze étages. Ils étaient tous en bois et si les premiers niveaux disposaient de peu de fenêtres, les plus hauts s’ouvraient de larges baies vitrées. La largeur des étages se réduisaient doucement en montant, faisant penser à des pyramides aztèques. Chacun était posé sur sa propre plateforme flottante et les mouvements de l’onde leur faisaient jouer une danse au tempo adagio. Devant chaque édifice, une large esplanade permettait la circulation des piétons. D’amples ponts reliaient les barges, rendant le passage de l’une à l’autre facile.

Une foule, relativement dense, se déplaçait sans entrave. Je remarquai que femmes et hommes portaient tous des chausses qui montaient jusqu’au niveau des genoux. Les femmes les complétaient de jupes amples et les hommes de shorts longs. Tous étaient revêtus d’une ample chemise blanche à manches longues. Les hommes l’assortissaient d’un long gilet sans manche de couleurs sombres et les femmes d’un boléro ajusté de teintes vives. Ils étaient de belles tailles sans être très grands et avaient surtout des épaules larges et musclées.

N’eusse été notre tenue, nous aurions pu passer inaperçus dans cette ville. Mais les passants nous remarquaient rapidement et en général nous lançait des regards aimables.

L’heure étant déjà avancée, nous nous mîmes en recherche d’un hôtel confortable où passer une nuit de repos bien méritée. Utilisant mon traducteur je n’eus pas de difficulté à atteindre un établissement qui semblait répondre à nos attentes. Nous y réservâmes deux chambres et ressortîmes pour découvrir plus en profondeur cette ville, avant de rejoindre notre gentil médecin..

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