3.5 - Culture marine et retrouvailles inattendues 

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Ce peuple avait réussi à maîtriser les éléments mais aussi à atteindre une vraie harmonie. Leur histoire faite de ténacité, d’audace et d’ouverture ma parut extraordinaire. Mais comment expliquer alors le contraste avec mon vécu à l’auberge et sur la route ? Je m’en ouvris à Noah .

  • Nous sommes un peuple de la mer, mais notre territoire s’étend aussi à l’intérieur des terres vers le nord, d’où vous venez, l’est et le sud. Les terres du nord, voisines d'Eilifuis, sont très pauvres. Elles subissent l’influence des immenses montagnes que vous avez traversées et la terre y est quasiment stérile. Elles sont quasiment inhabitées et cette auberge, où vous avez passé la nuit, y est un des rares lieux de vie. La grande route qui la dessert relie des sites miniers dispersés sur les premières pentes du massif. Elle n’est empruntée que par des mineurs, des commerçants ou des agents de l’Etat. Mais aussi par quelques malfrats qui veulent profiter du peu de passages pour mener tranquillement leurs sales besognes. Nous essayons d’y remédier, mais ce territoire est trop vaste.
  • Ce serait donc une zone de non droit ?
  • Pas vraiment, la milice y est présente en permanence, vous avez pu le constater par vous-même. Nous limitons donc les trafics et les méfaits, mais il en resurgit toujours. Régulièrement des canailles sont arrêtées et ramenées ici.
  • Et qu’en faites-vous ?
  • Nous les jugeons, bien sûr. Notre code pénal vise à la réinsertion des auteurs de crimes et délits en s’appuyant sur l’éducation. Vous avez sûrement remarqué, sur certains bateaux, des groupes d’hommes, ou de femmes, pédalant avec le même uniforme. Ce sont des condamnés qui purgent leurs peines. Ils sont astreints à cette sanction une demi-journée, l’autre étant consacrée à l’apprentissage d’un métier et à l’acquisition d’un niveau minimal d’instruction. Cette méthode a fait ses preuves et les cas de récidive sont extrêmement rares.

Dans un indéniable esprit de vengeance, j’imaginai alors mes trois agresseurs souquant ferme, enchainés sur un navire. Si le freluquet ne serait pas probablement d’une grande aide, les deux bedonnants participeraient plus efficacement à l’avancée, à condition, pour l’équilibre du bateau, qu’ils ne soient pas positionnées du même bord. En tout cas, une cure de désintoxication ne leur ferait sûrement aucun mal.

  • Je comprends donc que le nord est une zone peu fréquentable. Mais qu’en est-il de l’ouest et du sud ?
  • Ces terres sont bien plus fertiles. Posées sur de hauts plateaux, elles sont irriguées de nombreuses rivières, et comme le climat y est tempéré, elles sont très généreuses.
  • Vous les cultivez donc vous même ?
  • L’agriculture ne fait pas partie de notre ADN. Autant, lire à la surface de l’eau le temps qu’il va faire, la hauteur des fonds ou l’abondance des poissons, nous est naturel, autant soigner des plantes, prévoir leur récolte, amender les sols ou retourner la terre nous est étranger. Donc nous donnons ces terres en fermage à des familles venues du sud. Ainsi, avec le poisson que nous pêchons et les cultures issues de ces territoires, nous sommes totalement autosuffisants du point de vue alimentaire.
  • Vous ne mangez pas de viande ?
  • Jamais. Nous n’en avons pas besoin et nous estimons dégradant de manger des animaux dont le sang a coulé. Mais les fermiers étrangers peuvent élever des bestiaux, si cela leur chante, et les consommer. Si c’est leur culture, nous l’acceptons.
  • Mais vous mangez bien du poisson.
  • Oui, ainsi que des fruits de mer. Notre relation avec les produits de la mer est différente. Nous sommes en symbiose avec la mer et tout ce qu’elle contient. Dans les océans les poissons se mangent entre eux. Donc, faisant partie intégrante de l’univers marin, nous aussi pouvons manger les fruits de notre pêche ou les coquillages en bord de mer.

Et de fait, à cet instant, une serveuse nous apporta trois superbes assiettes garnies d’une préparation de poissons divers reposant sur un lit d’algues de couleurs verte, rouge et brune.

  • Je ne vous ai pas proposé de choisir votre menu, nous indiqua Noah. Je vous ai choisi l’une de nos meilleures spécialités. Vous avez donc devant les yeux un stobéy. Je ne vous en donnerai pas la recette, car vous pourriez la trouver peu engageante. Mais goûtez et vous m’en direz des nouvelles.

Mis en garde par Noah, je mis en bouche une première portion de ce met. Rapidement, des arômes riches et voluptueux se développèrent sur ma langue et mon palet et, effectivement, je me délectai de ce repas. .

  • Cela me rappelle certains plats que j’ai dégustés au Japon, lança Télémaque.
  • Japon ? Où se situe ce pays dont je n’ai jamais entendu parler, lui demanda notre nouvel ami.
  • Très loin d’ici et je ne saurai te dire comment t’y rendre, rétorqua mon compagnon. C’est un pays à la culture très ancienne et raffinée qui cuisine à merveille tout ce que la mer lui offre.
  • Cela donc être un très beau pays, conclut Noah, en plaisantant.

Concentrés sur notre dégustation, nous n’échangeâmes plus un mot pendant un moment.

Nous nous quittâmes peu après la fin du repas, car, encore sous le contre coup de mon agression, je sentais la fatigue m’envahir et je voulais être en forme pour les découvertes du lendemain .

Avant de nous séparer, le médecin nous montra le petit vaisseau à deux places avec lequel il était venu. Celui-ci apparaissait tout à fait adapté. Les deux selles étaient alignées et la direction était assurée par le passager arrière. Noah nous expliqua que la stabilité était assurée par trois dérives et que le risque de chavirage était quasi inexistant. Une toile amovible assurait la protection des navigateurs en cas d’intempéries.

  • Bel engin, affirma Télémaque, je l’essaierais volontiers…
  • Tu en auras l’occasion, lui répondit Noah en l’observant attentivement. Mais pour un premier test, ce serait mieux de jour.
  • Super. À demain donc.

Et nous rejoignîmes notre gîte, impatients de ce qui nous attendait le lendemain.

Je traversai le hall de l’hôtel lorsque je ressentis des picotements familiers dans mon crâne.

  • Bonjour Harold, je suis très heureux de te revoir.

Sour ! bien sûr, cela ne pouvait être lui qui m’interpellait ainsi. Mon pouls s’accélérât et je me retournai pour le repérer.

  • Fais comme si de rien n’était, me conseilla-t-il. Il vaut mieux que l’on nous ne voit pas ensemble.

J’allais donc m’asseoir dans un large fauteuil de l’entrée, lui tournant le dos et faisant semblant d’attendre quelqu’un.

  • Ok, mais tu peux m’expliquer ce que tu fais là et pourquoi cette discrétion ? Relançai-je.
  • Je fais mon boulot en poursuivant l’enquête sur le meurtre. Et j’ai besoin de toi.
  • Je serais très heureux de pouvoir t’être utile. Mais comment ?
  • Si mes informations sont exactes, tu t’es fait agresser par trois malfrats en sortant de l’auberge à la sortie du col ?
  • Oui, tes informations sont bonnes et figure toi que quand je les ai vus, j’ai tout de suite fait le rapprochement avec l’assassinat. J’ai même cru ma dernière heure venue. Heureusement que mon ange gardien n’était pas loin.

À peine avais-je dit cela que je me rendis compte que j’avais fait une erreur.

  • Ah, oui le fameux Télémaque, c’est lui que j’ai vu rentrer juste avant toi. Il faudra que tu me le présentes.

J’étais estomaqué qu’il connaisse l’existence de mon compagnon. Je me sentais d’ailleurs coupable de ne pas lui en avoir parlé avant.

  • J’aurais probablement dû t’en parler alors que j’étais chez toi, mais nous avions convenu de mener chacun notre vie durant ce séjour.
  • Il n’y a pas de problème, ne te soucie pas de cela. Mais as tu porté plainte auprès de la police locale ?
  • Non je n’y ai même pas pensé.
  • Alors tu vas le faire, j’en ai besoin pour faciliter la recherche des malfrats.
  • Ok, je ferai cela demain à la première heure.
  • Alors pour l’instant, restons-en-là. Je reprendrai contact demain.

Je le fis alors se lever et quitter l’établissement. J’étais vraiment heureux de le retrouver, mais aussi un peu inquiet des conséquences de la relance de l’enquête.

Remonté dans le chambre, j’eus du mal à m’abandonner au sommeil.

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