3.6 - La lagune et ses peuples 1/2.

8 minutes de lecture

Après une nuit agitée de cauchemars mettant en scène mes agresseurs, je me réveillai un peu nauséeux. Une douche bien chaude me permit de retrouver une allure acceptable et un état d’esprit plus positif.

Je descendis donc avec la ferme intention d’achever mon rétablissement par un copieux petit déjeuner. Mais je n’en eu pas l’opportunité. À peine arrivé dans le hall, trois personnes en uniforme m’abordèrent :

  • Bonjour, vous êtes bien Harold ?
  • Oui, c’est bien moi. Que me voulez-vous ?
  • Nous souhaiterions que vous nous parliez de l’agression dont vous avez été victime sur la route du nord. Et, si vous le souhaitez, nous pouvons enregistrer votre plainte.
  • À dire vrai, vous tombez bien car je pensais effectivement faire un signalement aujourd’hui même, leur répondis-je en pensant à ma conversation avec Sour, hier soir.

Nous nous installâmes dans un salon privé et je leur retraçai en détail mon agression en commençant par la première rencontre avec les coupe-jarrets dans l’auberge. Je leur fis aussi une description, aussi précise que ma mémoire me l’autorisa, des trois hommes et nous établîmes des portraits robots. À l’issue de l’entretien, ils s’engagèrent à me tenir informé de l’évolution de l’enquête, mais me demandèrent de ne pas quitter l’hôtel. Je dus leur répondre que je n’étais là que pour quelques jours et que je ne pourrais peut-être pas attendre la fin des investigations. Ils l’admirent en me demandant de les prévenir de mon départ. Ce que j’acceptai volontiers.

À peine disparurent-ils dans le sas de l’établissement que, sans se montrer, Sour reprit contact avec moi.

  • Merci, mon ami pour cette déclaration. Ta plainte va m’aider à suivre la trace des trois malfaiteurs, me dit-il. Comme je collabore avec la police locale, je serai informé dès qu’ils retrouveront leurs traces.
  • C’est un plaisir de t’aider. De ton côté, l’enquête a-t-elle avancé ?
  • Nous avons une piste quant à l’identité de la victime. Un jeune étudiant étranger a disparu depuis trois jours et comme son profil ressemble à celui de la dépouille, il y a de fortes chances que ce soit lui. Par ailleurs, le légiste a trouvé dans son estomac une capsule que nous sommes en train d’examiner. Celle-ci nous donnera probablement des éléments de réponse.
  • Et d'où vient cet étudiant ?
  • De Bçome, une nation loin au sud-ouest d’ici qui est sous la férule d’un dictateur féroce. Or selon certaines sources ce jeune aurait des accointances avec l’opposition démocratique de ce pays.
  • Cela pourrait donc être la cause de son exécution ?
  • C’est probable, mais cela reste à confirmer. Pour tout de suite, je dois te laisser. Je repasserai te donner des nouvelles.
  • J’y compte bien ! Et cela me fait toujours plaisir de te savoir pas loin. Donc à bientôt.

Je rejoignis alors Télémaque au restaurant et pris une rapide collation avec lui en attendant Noah.

Celui-ci nous rejoignit un quart d’heure plus tard.

  • Bonjour, j’espère que vous êtes en forme ce matin, car je vous emmène faire une grande balade, nous dit-il.
  • Cela va, lui répondis-je. J’ai commencé la journée avec la police au sujet de mon agression, mais à part cela tout va bien.
  • Ah oui, c’est normal. Quand l’hôpital reçoit un patient à la suite d’un événement douteux, il a l’obligation de faire un signalement. C’est pour cela qu’ils sont venus prendre ton témoignage.
  • C’est très bien ainsi, conclus-je.
  • Mais dis-moi Noah, tu vas nous faire essayer ton fameux engin aujourd’hui, intervint Télémaque d’un air gourmand.
  • Non, aujourd’hui je suis venu avec un véhicule un peu plus grand et plus confortable car nous allons faire un long périple. Je pense que vous ne serez pas déçus, lui rétorqua Noah. Allons-y je suis garé sur le ponton et il est interdit de s’y amarrer longuement.

Nous le suivîmes et arrivâmes rapidement devant une embarcation à trois rangées de deux places, très élancée et au franc-bord assez élevé. Son poste de pilotage était situé à l’avant gauche.

  • Embarquez, mettez un gilet de sauvetage et installez-vous, nous invita Noah. Nous allons nous mettre en route tout de suite. J’ai pris ce navire aujourd’hui car le mien est trop petit avec ses deux sièges et il est beaucoup moins rapide et moins adapté à la pleine mer que celui-ci.

Dès que nous fûmes équipés et assis, le médecin mit le contact et dégagea le bateau du ponton. Il s’inséra dans le trafic qui était déjà dense à cette heure matinale. Nous pûmes immédiatement apprécier la finesse de son pilotage car, sans à-coups, il dépassa de nombreux bateaux. Bien que la circulation se fasse dans les deux sens, chaque bateau trouvait naturellement sa voie et à aucun moment nous n’eûmes un quelconque sentiment de danger.

Après quelques minutes, il s’engagea sur un canal qui menait vers l’est et ne le quitta plus jusqu’aux dernières plateformes construites.

Du fait de la présence des bâtiments, nous n’avions pas encore pu apprécier le paysage autour de la ville. La lagune était cernée de montagnes de taille moyenne, mais très accidentées. De ce fait, des plages de sable noir avoisinaient de puissantes falaises et des fjords profonds. Depuis la sortie de la ville, il était impossible de discerner la limite de la lagune.

  • Accrochez-vous, cela va secouer un peu, annonça notre pilote.

De fait, prenant un cap est-nord-est, il accéléra. le bateau se souleva et prit une vitesse impressionnante. Je vis alors qu’il naviguait sur foil. La surface de l’eau étant calme et la brise légère, nous fûmes peu secoués lors de cette traversée.

Le paysage défilait et j’aperçus au loin un côteau totalement blanc. La température d’une quinzaine de degrés m’empêchait de croire qu’il était couvert de neige. Percevant des ondulations dans la blancheur, j’en conclu qu’il ne s’agissait pas non plus d’une formation de roche opalescente. Je ne voyais donc pas d’où pouvait venir cette couleur. Je m’en enquis auprès de notre guide.

  • Noah, quelle est donc cette formation blanche que nous voyons au nord ?
  • Tu vas le voir par toi-même. Et tu vas même le sentir, me répondit-il avec un sourire radieux et en mettant le cap sur cette curiosité.

Nous approchant, je pus dans un premier temps humer une odeur très fine de jasmin titillant mes récepteurs olfactifs. Puis je découvris que nous approchions d’un rivage en pente douce totalement recouvert d’acacias en fleurs. Leur efflorescence était si dense que nulle trace de verdure ne perçait la façade blanche. Le soleil, illuminant à plein feu cette végétation, la rendait éblouissante.

À l’approche de notre bateau des mouvements firent vibrer les arbres ainsi que sur le rivage et les falaises avoisinantes. D’un coup, nous vîmes des centaines d’oiseaux prendre leur vol : mouettes, aigrettes, sternes, bécasseaux, pailles-en-queue virevoltaient en emplissant l’air de leurs cris assourdissants. La blancheur était partout, sur le rivage, dans les airs, mais aussi à la surface de l’eau avec le reflet des volatiles. Nous étions envoutés par la magie de cette nature sauvage que nous venions perturber.

Doucement Noah remit le cap à l’est et nous nous éloignèrent pour ne pas importuner davantage cette nature incroyable. À quelques miles, nous aperçûmes un rassemblement de navires et, en quelques minutes, atteignîmes un port posé sur une ile isolée reliée au rivage par une longue et puissante digue. A l’autre extrémité de cette digue, quelques maisons formaient un hameau isolé à flanc de colline .

  • Nous arrivons au port de Cathisc, nous informa notre skipper. C’est d’ici que partent les navires pour la pêche au long-court.

Une flotte d’une trentaine de bateaux de fort tonnage était amarrée bord à bord. De longs mâts métalliques jaillissaient des ponts des navires.

  • Ces palans sont destinés à accueillir les lignes de pêche. Arrivés sur les bancs de poissons, ils sont déployés de part et d’autre des bateaux. Ce sont ainsi une trentaine de lignes gréées de douze hameçons qui sont mises à la mer, précisa Noah.
  • C’est donc un ensemble de près de sept cents appâts par bateaux que déploie chaque navire ? interrogeai-je. Mais comment récupèrent-ils les prises ?
  • Il leur suffit de relever les mâts et de les faire pivoter vers le pont. Les marins peuvent ainsi les récupérer sans difficultés. Ensuite les poissons sont envoyés directement dans les cales où ils sont conservés au froid.

Depuis que nous nous étions rapprochés du port, nous entendions une musique entrainante venant du village. Noah accosta et nous proposa de rejoindre le hameau. Ce que, bien évidemment, nous acceptâmes avec entrain.

Nous traversâmes le quai pour découvrir la mer dans son entièreté. En contraste avec la surface de la lagune, la mer, aux teintes très grises, était agitée de fortes vagues brisantes. Les embruns formaient une brume épaisse qui réduisait fortement la visibilité. Nous comprîmes que les marins devaient avoir un moral de fer pour affronter de telles conditions de mer.

  • Des équipages s’apprêtent à embarquer pour une saison de pêche, je vous propose d’aller les voir au village. Dit Noah.
  • Volontiers, nous te suivons, répondis-je.

Nous longeâmes donc la digue jusqu’au rivage. L’ambiance sonore augmentait à l’approche du but. En accord avec la musique, se faisaient entendre des chants plus ou moins harmonieux dont les rythmes semblaient assez aléatoires. Arrivés dans le village nous rencontrâmes un cortège bariolé mené par un tambour major qui conduisait une douzaine de musiciens. A la suite, un cortège d’environ trois cents personnes costumées de façon hétéroclite ondulait en braillant à tue-tête des chansons paillardes. Des hommes aux carrures d’armoires à glace arboraient des tenues de femmes hyper maquillées, d’autres des tenues exotiques ou encore des costumes d’ecclésiastiques. Ils se distinguaient aussi par la recherche dans la garniture fleurie de leurs couvre-chefs. Les danseurs étaient tellement excités qu’un nuage de vapeur suivait leur cortège impudent. De temps en temps, un groupe se détachait de la bande pour rentrer boire une pinte dans un estaminet. Il était aussitôt remplacé par un autre passablement éméché.

  • Le jour du départ les membres d'équipage profitent de leurs dernières heures à terre pour se défouler et oublier un instant la dureté des épreuves qu’ils vont affronter. Ils chantent et boivent à ne plus pouvoir tenir debout. A la fin de la journée, on les ramasse ivres morts et lorsqu’ils se réveillent ils sont déjà au large. Du point de vue du médecin, ce n'est pas une bonne thérapie pour lutter contre le stress, mais en tout cas, ces marins partent avec un peu plus de mal à la tête et un peu moins de mal à l'âme.

Nous restâmes là un moment à contempler ce spectacle mouvant. Mais au bout d’un moment Noah nous indiqua que le temps passant, il était temps de rentrer. Nous reprîmes donc le chemin du port pour retrouver notre bateau.

Annotations

Vous aimez lire Paul Koipa ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0