3.9 - Terre ou mer ?

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Le lendemain matin dès l’aube, Sour vint à notre rencontre avec l’un des policiers de la ville qui menait l'enquête. Il s’adressa à moi de vive voix, en langue locale.

  • Les trois assassins ont été aperçus sur la route d’Ezpéziad, au sud. Il est possible qu’ils n’aient pas agi seuls et qu’ils aient bénéficié de complicité dans la cité. Je vais donc devoir me remettre à leur poursuite.
  • Puis-je t’accompagner pour t’aider à les coincer ? lui demandai-je électrisé par la suite de cette enquête.
  • J’allais te le proposer, mais tu dois être conscient du danger. Ces gars-là sont capables de tout et tu as pu voir par toi-même, ils n’ont aucune limite.
  • Effectivement, j’ai pu l’expérimenter. Mais c’est aussi la raison pour laquelle cette enquête m’intéresse.
  • Alors, les malfrats n’ont plus qu’à bien se tenir. Ils vont avoir affaire à une équipe de choc, conclut Sour avec enthousiasme.
  • Voici donc l’état de nos investigations, intervint le policier. Les trois individus sont arrivés par le nord il y a trois jours. Nous avons établi qu'ils avaient été hébergés dans une cache préparée pour eux. À ce stade, nous ne savons pas encore s'ils l’avaient aménagée, eux-mêmes, en remontant vers Eilífuis, ou si quelqu’un, sur place, l’avait fait pour eux.
  • Ce qui impliquerait une complicité ici même, l’interrompis-je.
  • Exact. Mais attendez la suite. Donc le lendemain de leur arrivée, ils ont contacté leur nouvelle victime qui travaillait dans une ferme dans l’ouest. Ils ont attiré le garçon en ville et ont dû le kidnapper car nous avons retrouvé des traces de son sang dans la cache. D’après les indices relevés, ils ont dû le torturer avant de le noyer et de lui briser la face. Ils ont alors jeté le cadavre dans la lagune en le lestant. Mais les poids n’étaient pas bien fixés et ils se sont désolidarisés du corps, ce qui fait que celui-ci est remonté à la surface. Un passant l’a aperçu et nous a prévenus.
  • Décidément ces lascars ne sont pas très doués, remarquai-je.
  • Effectivement. Ils sont probablement trop sûrs d’eux et c’est notre chance.
  • Un des points communs entre les deux meurtres est que les assassins ont fait en sorte que leurs victimes ne puissent être reconnues, intervint Sour. Donc soit, nous avons affaire à des meurtres rituels, soit ils voulaient que les victimes ne soient pas identifiables et donc que l'on trouve un point commun entre elles.
  • En sait-on plus sur la victime ?
  • Il s’agit d’un jeune homme de 26 ans, originaire de Bçome. Il travaillait sur une exploitation agricole depuis un peu plus de six mois. Il n’a jamais posé de problème, même s’il revendiquait haut et fort son opposition au régime de son pays. Il venait d’ailleurs régulièrement dans la cité pour participer à des rencontres avec d’autres membres de l’opposition en exil.
  • Peut-on en déduire que si nous ne les avions pas identifiés, ils auraient pu commettre d’autres assassinats ?
  • Probablement. Nous avons interrogé plusieurs membres du collectif auquel la victime participait, et au moins deux d’entre eux avaient aperçu le trio infernal. Votre intervention a modifié leurs plans et a probablement sauvé des vies.
  • Il est bien dommage que je ne les aie pas croisés plus tôt, dis-je affligé.
  • Vous ne pouviez pas savoir qu’ils allaient sévir ici. En tout cas, pour l’instant ils ont été obligés de réagir rapidement puisqu’ils ont été repérés vers le sud, sur la route qui mène à Hiharkaitz, la capitale d'Ezpéziad. Mais se sachant traqués, ils vont probablement être prudents et il ne sera pas évident de les retrouver.

Un silence songeur suivit ces révélations.

  • Le chemin vers Hiharkaitz est long et pénible, intervint Sour, il faut traverser un désert aride en évitant les heures où le soleil tape trop fort. Et comme les nuits y sont glaciales, on ne peut voyager que quelques heures au lever et au coucher de l’astre du jour. Et encore faut-il qu'ils ne soient pas immobilisés par les tempêtes de sable. Ces gens n’ont jusqu’à ce jour pas fait preuve d’une grande adaptation aux conditions locales. Je pense donc qu’ils ne seront pas à Expéziad avant quatre à cinq jours.
  • Mais nous-mêmes, pourrons nous aller plus vite ?
  • Oui, répondit le policier. En passant par la mer. Si les conditions sont favorables, en deux jours vous pouvez être sur place. Et justement, en ce moment, les vents du nord sont portants. Un navire marchand doit lever l’ancre d’ici deux heures, il pourra vous amener jusqu’à Livanttea le port d’Expéziad. De là, vous pourrez prendre la route pour la capitale.
  • Parfait, repris mon ami d’Eilífuis. Nous allons donc prendre la voie maritime.
  • Sachez quand même, reprit l’officier, que même si les vents sont cléments, les conditions de mer peuvent être difficiles et le voyage pénible.
  • Cela ne me pose pas de problème, répondit Sour.
  • Quant à moi, je pense que cela devrait aller, précisai-je. J’ai un peu navigué, par chez moi, et je suis peu sujet au mal de mer.
  • Alors, dans ce cas-là, ne tardez pas car la marée ne va pas attendre, enchaina le policier. Une vedette rapide vous attend, elle vous mènera au port en une demi-heure.
  • Ok, donnez-nous un quart d’heure et nous serons prêts.

C’est à cet instant que je vis Télémaque descendre de sa chambre pour rejoindre la salle à manger. Simultanément, Noah, franchit le tourniquet d’entrée de l’hôtel. Je trouvai le synchronisme des deux apparitions un peu louche. Mais je n’en tirai aucune conclusion.

Je fis un débrief rapide à mes deux amis et donnai le tempo à Télémaque en nous dirigeant vers le petit déjeuner. Celui-ci ne sembla pas ravi de ce départ précipité.

  • Je trouve ce pays très agréable, me dit-il d’un air évasif. Ne serait-il pas possible de prolonger notre séjour, ne serait-ce que de quelques heures ?
  • Es-tu sûr que ce soit ce patelin que tu trouves agréable ? lui demandai-je en riant. Ne serait pas plutôt le corps médical ? Mais de toute façon, nous ne pouvons retarder notre ami Sour et donc tu as dix minutes pour être prêt à partir.
  • Bon cela va, j’ai compris, me répondit-il d’un air boudeur.

Quelques minutes plus tard, nous nous retrouvâmes, parés pour le départ, dans l’entrée de l’hôtel.

M’adressant à Noah, je le remerciai de nous avoir si bien reçu.

  • Ce fut vraiment un plaisir de passer la journée avec toi hier, lui dis-je. Tu nous as fait découvrir beaucoup de spécificités de ton pays et nous en garderons longtemps d’excellents souvenirs. Merci aussi, et surtout, de m’avoir remis d’aplomb aussi bien et aussi rapidement après mon agression.
  • C’est bien normal. La médecine est quand même mon premier métier, bien avant celui de guide touristique, répondit-il avec un grand sourire. J’ai vraiment eu de la chance que tu te sois fait agresser. Je devrais remercier les malfrats, car sans eux je n’aurais pas fait ta connaissance. Ni d’ailleurs celle de Télémaque, compléta-t-il en lui adressant un clin d’œil coquin.
  • Et c’eut été vraiment dommage, confirma celui-ci, en lui rendant son œillade.

Nous échangeâmes une dernière poignée de main et, avec un pincement au cœur, embarquâmes dans la vedette de la police aux côtés de Noah.

Le navire prit son erre et fila plein est, vers la digue et le port. Nous retournant, nous vîmes la ville s’effacer doucement, nous laissant le sentiment amer de ne pas avoir pu bénéficier plus longtemps de la générosité de sa population.

La marée montant, la surface de la lagune devint de plus en plus hachée et il nous fallut nous attacher pour assurer notre sécurité. Je sentis mon estomac se retourner, mais je réussis néanmoins à garder ma dignité jusqu’à la fin de cette première navigation.

Voilà qui nous donna un avant-goût de ce qui allait nous attendre en mer pendant une trentaine d’heure…

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