4.1 - Livanttea
Livanttea nous apparut comme un port animé, étiré sur une longue frange du littoral sableux, il semblait languir sous le soleil qui dardait ses rayons très haut dans le ciel. Bien que nous ne soyons encore qu’en milieu de matinée, la chaleur était intense et il était périlleux de s’exposer à l’astre du jour. Un chemin couvert nous mena de la passerelle jusqu’au premier bâtiment.
Celui-ci avait visiblement été conçu pour résister à la canicule ambiante. Cachés derrières de larges arcades, ses murs blancs étaient percés de quelques rares fenêtres très étroites et d’une porte exiguë de bois sombre. Son toit plat et ses façades crénelées me firent penser à quelque forteresse médiévale. Un sentiment de malaise me pénétra, sans que j’en établisse la cause réelle.
Le lieutenant Fidagazena, qui nous avait accompagné, toqua à l’huis, l’ouvrit sans attendre la réponse et entra. Sour lui emboita le pas, Télémaque et moi en firent de même. Alors que le peu de temps passé dehors avait été suffisant pour que je me retrouve en nage, je fus saisi par la fraicheur et l’obscurité relative de ce local.
La salle dans laquelle nous entrâmes me fit penser à un vestiaire de stade. Des bancs le ceinturaient sur chaque côté et des patères garnissaient les murs. Le pan de mur face à nous était isolé de la salle par un petit muret d’environ un mètre. Différents instruments que je ne pus identifier y étaient rangés.
Sur notre droite deux portes vitrées donnaient chacune sur un bureau où œuvraient deux personnes en uniforme.
Un fonctionnaire nous accueillit et le second de notre navire s’entretint avec lui quelques minutes. À l’issue de cet échange il se tourna vers Sour :
- Major, veuillez entrer dans ce bureau, Maitre Galdubista va vous recevoir. Quant à vous, dit-il en se tournant vers Télémaque et moi, vous pouvez attendre ici. Cela ne devrait pas être très long.
Avant que nous soyons assis, le lieutenant vint vers nous.
- Messieurs, dit-il, j’ai été très heureux de faire votre connaissance. J’espère que la suite de votre voyage se passera dans les meilleures conditions.
Baissant le ton il continua :
- je vous souhaite aussi de réussir dans votre enquête et ainsi de mettre hors de nuire ces trois salopards. Quant à nous, nous allons reprendre la mer dans la journée vers le sud. Le commandant Brisatgine m’a chargé de vous transmettre ce document, dit-il en me tendant une enveloppe. C’est un extrait de notre livre de mer où figurent nos prochaines escales avec mention de nos dates de passage prévisionnelles. Si vous aviez besoin de notre aide, vous pourriez toujours nous retrouver dans ces ports.
- Merci lieutenant, votre aide nous a été très précieuse et nous vous en remercions. En cas de nécessité et si nos routes se croisent, nous n’hésiterons pas à faire appel à vous.
Nous échangeâmes des poignées de main et le second rejoignit son bord.
Le temps passait lentement dans l’espace sombre où nous étions confinés. Nous avions tenté une escapade vers l’extérieur, mais aussitôt le fonctionnaire nous avait rappelé en nous demandant d’attendre le retour de Sour. Assommé par la chaleur, Télémaque sombrât rapidement dans le sommeil. Le temps me parut dilaté et je commençai à m’inquiéter du retour de notre ami lorsque la porte du bureau où il s’était engouffré, s’ouvrit.
Le major en sortit affichant un air satisfait. Il était suivi par une femme à l’allure déterminée. Celle-ci se tourna vers nous.
- Bonjour messieurs, je suis l’administratrice de la douane en charge de toute la côte. Le major Sour m’a informée des raisons qui vous ont amenés ici et vous pouvez compter sur l’aide de notre administration. Nous travaillons en étroite collaboration avec les services de police, aussi vos trois lascars ne devraient pas passer à travers les mailles de nos filets.
- Espérons-le, en effet, répondis-je. Mais peut-être faut-il que nous nous mettions en route vers votre capitale car elle est probablement leur prochain objectif ?
- Tout à fait, mais comme vous avez pu le constater, la chaleur est intense en ce milieu de journée. Si vous partez maintenant, vous risquez de ne pas pouvoir aller très loin. D’ici deux à trois heures, le soleil aura un peu décliné et vous pourrez avancer dans de meilleures conditions. Je vais mettre à votre disposition un véhicule pour vous faciliter le voyage.
- Très bien, confirma Sour, nous suivrons vos conseils avisés et partirons vers seize heures trente. Pouvez-vous nous indiquer combien de temps il nous faudra pour atteindre Hiharkaitz ?
- Si vous partez dans l’après-midi, vous devrez passer une courte nuit en route. En partant dès les premières lueurs du soleil demain matin, vous devriez arriver en fin de matinée. Cependant, je ne peux pas vous le garantir car vous constaterez que la route n’est pas toujours en très bon état. Elle pourrait réserver des surprises. C’est pour cela aussi qu’un chauffeur vous accompagnera. De plus, faites attention à vous protéger, car la chaleur là-bas est encore plus torride qu’ici. Et surtout pensez à prendre de grandes quantités d’eau pour vous hydrater. Pour ce qui est de la nourriture, ne vous en préoccupez pas, vous partirez avec suffisamment de vivres pour deux jours.
Nous fûmes conduits dans un hangar attenant dans lequel était garé un véhicule doté de roues à l’avant et de chenilles à l’arrière. De couleur sable, il rappelait les engins de la croisière jaune*, mais en beaucoup plus aérodynamique. Cette configuration me fit penser que notre périple jusqu’à la capitale n’allait pas forcément être une promenade de santé.
- Je vous présente le sergent Tranpabe, dit l’administratrice. C’est l’un de nos plus habiles pilotes ainsi qu’un excellent mécanicien. Je n’ai aucun doute, il vous mènera jusqu’à la capitale dans les meilleures conditions.
Notre nouveau compagnon devait avoir une petite trentaine d’années. Assez trapu, il était doté d’une forte carrure et de bras d’athlète. Portant une coiffe évoquant un bonnet phrygien, il était doté d’une abondante chevelure châtain clair qui lui tombait juste au-dessus des yeux. Ses sourcils fournis et sa barbe bien garnie entourant un nez fort sur un visage tanné par le soleil renforçaient l’impression de puissance qu’il dégageait. Ses yeux légèrement enfoncés, d’un vert profond, adoucissaient son abord et le rendait sympathique.
- Bonjour Messieurs, nous lança-t-il. Je suis très heureux de pouvoir vous conduire jusqu’à Hiharkaitz. Nous nous mettrons en route d’ici deux heures environ.
Nous le remerciâmes et, pressentant que nous ne reviendrions pas par ici, partîmes, en dépit de la chaleur, découvrir la ville.
Sortant du bâtiment, nous fûmes assaillis par une vague de chaleur intense qui rendait la respiration difficile et embrasait nos poumons. Ce choc thermique m’obligea à m’adosser au mur, mais l’air étant peu humide, je m’en accommodai rapidement. Je compris que d’ici notre départ il me faudrait rester à l’ombre.
L’ensemble des bâtiments construits en arcade permettait de se déplacer sans affronter le soleil. Des draperies tendues, à intervalles réguliers, entre les immeubles permettaient de traverser les rues sans s’exposer.
Nous débouchâmes sur une place en demi-cercle donnant directement sur le front de mer.
Cette esplanade me séduisit tout de suite car elle formait un ensemble homogène d’édifices à deux étages et double rangée de portiques. Les bâtiments d’une blancheur éclatante, étaient ornés de faïences bleues qui couraient le long de leurs murs en une banderole extraordinaire sur une hauteur d’environ un mètre au niveau des yeux.
Me rapprochant, je pus apprécier la finesse de ces dessins représentant de superbes paysages de forêts, fleuves, rivages, dunes et autres paysages fantastiques. Je remarquai particulièrement quelques ensembles représentant les étranges cheminées que nous avions aperçues au loin alors que nous empruntions le chenal d’accès au port. Ces représentations renforcèrent mon impatience de découvrir ces énigmatiques saillies.
Nous ne croisâmes que très peu d’habitants, ceux-ci devant probablement se préserver de la canicule. Ceux que nous rencontrâmes se montrèrent plus surpris de notre présence qu'hostiles. Nous ne fûmes donc pas en mesure de déterminer leurs qualités d’accueil.
Un détail, dans la rade attira mon attention. En effet, trois anciennes épaves finissaient d’agoniser, servant de perchoir à des dizaines d’oiseaux marins. Cela ne semblait gêner personne. Sour qui en avait aperçu une à la fin de notre navigation nous précisa qu’il s’agissait de navires étrangers qui avaient vainement essayé de franchir les passes sans pilote.
Une fois encore je me félicitais de la qualité de l’équipage du Jernkud.
Malgré la chaleur, de petits groupes de jeunes s'amusaient en bord de plage à réaliser des cabrioles à la limite des flots. Leur vivacité époustouflante leur permettait de réaliser des accrobaties de haute voltige qui nous subjuguèrent.
Après cette rapide découverte de la ville, nous rejoignîmes notre véhicule auprès duquel nous attendait le sergent Tranpabe.
- Messieurs, nous dit-il, Je pense que nous pouvons nous mettre en route sans plus attendre. Je vous propose de vous installer le plus confortablement possible. Vous disposez d’une place à l’avant à mes côtés et de deux places à l’arrière.
- Parfait, allons-y lui répondîmes nous dans un chœur presque parfait.
Télémaque se précipita pour s’installer à l’avant tandis que Sour et moi nous partageâmes les sièges de la seconde ligne. Ce qui nous alla bien.
Et c’est ainsi que nous commençâmes notre périple en Expéziad qui s’annonçait chaud sous de multiples aspects.
________________________________________________________________________________________________________
*La croisière jaune est l'un des raids automobiles organisés par André Citroën. Du 4 avril 1931 au 12 février 1932, constituée de 43 hommes et 14 autochenilles, elle a permis de relier Beyrouth à Pékin en 315 jours.
Annotations