4.2 - L'enfer noir.

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En à peine quelques minutes, nous atteignîmes les faubourgs de la ville. Au-delà du centre de la cité, la plupart des constructions étaient de simples bâtisses de bois de plain-pied. Toutes recouvertes d’un enduit blanc, leurs toits en terrasse étaient garnis de plusieurs couches de canisses séparées les unes des autres de quelques centimètres.

  • Ces panneaux sur les toits, nous indiqua notre chauffeur, sont destinés à protéger les terrasses des rayons du soleil et, comme ils sont aérés, ils sont rafraîchis par le vent marin, ce qui permet de rendre supportables les températures à l’intérieur des habitations. Certaines sont même équipées d’un système d’arrosage par eau de mer qui aide à gagner encore quelques degrés.
  • Voilà un système bien ingénieux, lui répondis-je. Mais ne manquez-vous pas d’eau potable ?
  • Non, comme vous le verrez bientôt, la ville est implantée entre la mer et un large marais et ce dernier nous garantit l’accès à l’eau.

Effectivement, peu de temps après avoir dépassé les dernières maisons de l'agglomération, nous rentrâmes dans une zone ressemblant à une mangrove. Le sergent Tranpabe nous mis alors en garde :

  • Messieurs, veillez à bien fermer les fenêtres du véhicule, nous allons traverser un passage délicat.

À peine avions nous relevé les vitres et assuré l’étanchéité de la voiture que nous rentrâmes dans un véritable nuage d'insectes aux aspects plus rébarbatifs les uns que les autres. Nous sentîmes aussi l'humidité et la chaleur ambiantes se renforcer, et rapidement nous dégoulinâmes de la tête aux pieds. Alourdissant encore l’ambiance, Plus nous avançâmes, plus la nuée d’insectes sembla s’épaissir. Je un vrombissement de réacteur produit par les bestioles, emplit nos oreilles.

  • Rassurez-vous, cela ne va pas durer, nous traversons juste un marécage particulièrement chaud et vivant, mais nous en sortirons d'ici quelques petites minutes, compléta notre conducteur.
  • Dites-moi sergent, que se passerait-il si nous tombions en panne avant de sortir d'ici ? demandai-je.
  • Il y a deux options, répondit-il. Soit vous êtes équipés en tenues de survie vous couvrant de la tête jusqu'aux souliers, et vous auriez alors des chances de vous en sortir, soit vous ne l'êtes pas et, sans aide, en deux heures, il ne resterait plus rien de vous qu'un tas d'os bien nettoyés.
  • Hum, ceci n'est pas très rassurant, dis-je en frissonnant. Et les fameuses combinaisons, vous les avez ?
  • Oups, j'ai oublié de me renseigner, dit-il d'un air accablé en nous fixant.

Suite à cette réponse, Télémaque avait viré au vert, moi-même, sur le point de suffoquer, je devais être blanc comme un linge. Quant à Sour, il avait gardé un flegme que chez nous, nous aurions qualifié de britannique.

  • Rassurez-vous, dit notre chauffeur en éclatant d'un rire profond, j'ai vérifié par moi-même. Chacun d'entre nous a sous son siège une camisole intégrale qu'il pourrait utiliser en cas de pépin. En ce qui me concerne, et je dois avoir fait plus de cinq cents traversées, je n'ai jamais eu de problème. À vrai dire, je ne souhaite pas faire différemment aujourd'hui.
  • Eh bien, je pense que nous le souhaitons tous, reprit Télémaque, sorti de son mutisme.

Plus nous avançâmes, plus la nuée d’insectes sembla s’épaissir. Je me demandais comment dans un tel nuage, nous pouvions encore être capable de voir à travers les vitrages de la voiture. Et m’en enquis auprès du sergent.

  • Regardez bien l’avant du capot du véhicule, me répondit-il. Voyez, il y a deux tuyères qui envoient un flux d’air important sur le parebrise et sur les côtés. Ainsi, normalement, rien ne peut s’en approcher et s’y coller. C’est tout simple.
  • Simple et ingénieux lui dis-je, en découvrant la solution.

Cependant comme je le voyais concentré sur la route que la nuée sombre laissait à peine entrevoir, je ne l’accaparai plus avec mes questions. Et, de fait, quelques minutes plus tard l’essaim disparut comme il était arrivé, la visibilité redevint bonne et le vacarme cessa. Par contraste le silence de ce lieu nous sembla étrange et porteur de mystère.

Notre pilote avança encore un peu, puis stoppa sur une aire dégagée. Un peu assommés par le passage dans cet enfer noir, nous descendîmes tous les quatre en silence, et, regardant derrière nous, pûmes voir, au loin, le mur d’insectes qui s’était reformé.C'est alors que je me rendis compte que nous n'entendions plus aucun bruit autre que ceux que nous produisions. Par contraste ce silence nous sembla étrange et porteur de mystère.

  • Je dois vérifier qu’aucune bestiole n’a pénétré à l’intérieur de l’habitacle, ni des systèmes de ventilation ou de commande, nous dit le sergent. Cela peut arriver. Je vous demande donc un instant, Profitez de cette pause pour vous dégourdir les jambes.

Bien que subjugués par le spectacle, nous ne laissâmes pas passer cette occasion de nous détendre, d’autant que nous savions que la route du jour allait encore être longue. Me retournant vers l’avant du véhicule, je me rendis compte que nous étions dans une sorte de glacis entre le marais et une forêt profonde aux multiples nuances de vert. Une arche naturelle marquait l’entrée de la route dans cette jungle d’allure inextricable.

Émergeant de la canopée, plusieurs étranges cheminées noires striées de coulées grises semblaient posées là comme sur un plateau de jeu pour géants. Si deux cyclopes avaient surgi pour les déplacer, cela ne m’aurait pas étonné outre mesure.

C’est à ce moment que le chauffeur, ayant fini son inspection, revint vers nous.

  • Messieurs, tout va bien, deux coléoptères auraient souhaité continuer le voyage dans nos systèmes de ventilation, mais à part cela, rien à déplorer. Voici d’ailleurs l’un de nos candidats passagers clandestins, dit-il en exhibant un animal ressemblant à un scarabée Hercule. Je l'ai recueilli sur une grille de protection de la ventilation.

Celui-ci devait mesurer en tout près de vingt centimètres. Il exhibait ses cornes rouges exubérantes, plus longues que son corps, émergeant de son thorax et de sa tête, tous deux noirs. J’imaginais facilement qu’un tel monstre pouvait perturber le bon fonctionnement de n’importe quelle mécanique.

  • Nous allons pouvoir repartir, comme vous le voyez, nous allons pénétrer dans cette forêt, la chaleur y sera moindre, même si l’humidité restera forte. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, il n’y a pas tellement d’insectes et vous pourrez garder les fenêtres ouvertes. Restez cependant vigilants et toujours prêt à les refermer si je vous le demande.
  • Parfait Sergent, reprit Télémaque. Mais puisque nous sommes appelés à rester ensemble un moment, ne pourrait-on pas alléger le protocole. Au lieu de nous appeler messieurs, vous pourriez simplement nous nommer par nos noms : Harold, Sour et Télémaque. Et nous pourrions même nous tutoyer ce serait plus simple, acheva-t-il avec un grand sourire.
  • Pas de problème lui répondit notre guide. Je m’appelle Asart Tranpabe, mais Asart suffira. J’allais effectivement vous le proposer. Merci donc à toi, Télémaque, d’avoir devancé mon initiative.
  • Super, j’aime les contacts simples, attesta notre ami avec une lueur de malice dans les yeux.
  • Dis-moi, Azart, quelles sont ces flèches majestueuses que nous voyons saillir de la forêt ? demandai-je.
  • Je vous le dirai lorsque nous nous approcherons de l’une d’elles, me répondit-il. J’aime que mes passagers fassent jouer leur imagination avant que je ne leur dévoile ce secret. Etes-vous d’accord pour tenter cette expérience ?
  • Bien sûr, j’aime cela aussi, répondis-je.
  • Oui, carrément. Cela me va tout à fait de laisser mon imagination vagabonder, ajouta Télémaque.
  • Quant à moi, connaissant déjà la réponse, je resterai muet comme une carpe, conclut Sour.

Et sur ce sympathique échange, nous remontâmes dans le véhicule pour poursuivre notre route et nos découvertes.

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