4.3 - La forêt profonde.

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En lisière de forêt, de multiples espèces de plantes et d’arbres, profitant de la lumière du jour rendaient la forêt luxuriante. Cette exubérance s’interrompit promptement car le rayonnement solaire, absorbé par l’orée, avait de plus en plus de mal à pénétrer la végétation et le clair-obscur s’installa peu à peu. Rapidement, la forêt présenta un aspect figé et d’immenses troncs bruns ou ocres, hauts de plus d’une trentaine de mètres, se partagèrent l’espace. Dans cette atmosphère engourdie, l’air sembla se raréfier.

J’eu l’impression de visiter un immense temple antique, à ceci près que de larges et hautes racines soutenaient les colonnes dans leur ascension vers le ciel. Se faufilant entre ces racines, la route changeait constamment de direction nous obligeant à avancer à allure modérée.

  • Dis donc Azart, il ne s’agit pas de relâcher ton attention quand tu conduis ici, dis-je à notre pilote.
  • Non, c’est sûr, me répondit-il. Comme tu peux le constater, il faut rester concentré pour éviter les souches et les rhizomes. Heureusement, il n’y a qu’une seule piste, je ne peux donc me tromper. S’il y en avait plusieurs, nous pourrions nous perdre car, comme tu le constates, on ne voit jamais le soleil et donc on ne sait pas dans quelle direction la voie nous mène.
  • Heureusement que la piste est plate.
  • Ne t’y fies pas, elle est pleine de pièges. La végétation pompe la terre et crée par endroit des cuvettes qui peuvent être profondes. De plus, des rejets peuvent surgir n’importe où et soulever la chaussée. Nous avons un service de gardes forestiers très efficace. Ils passent ici tous les trois à quatre jours, repèrent les pièges et les éliminent ou, au moins, les signalent.

Seules quelques fougères tapissaient le sol. Par endroit de frêles flèches s’élançaient vers le plafond de verdure. Elles semblaient vouloir se hâter de le rejoindre et le percer pour à leur tour profiter des rayons du soleil et de l’air qui leur manquaient.

  • Voyez-vous ces tiges qui montent tout droit vers la canopée ? nous demanda Azart.
  • Oui, je les ai remarquées, lui répondis-je.
  • Quel âge leur donnes-tu ?
  • Je ne sais pas, celui-ci fait une dizaine de mètres, je lui donnerais trois ou quatre ans.

Cette réponse fit éclater de rire notre guide :

  • En fait, celle-là est apparue il y a une dizaine de jours ! Ces jeunes pousses gagnent quotidiennement plus d’un mètre. Si on s’arrêtait, on pourrait presque les voir se développer. Elles croissent ainsi jusqu’à percer la voute pour bénéficier du soleil. Dès qu’elles y sont parvenues, leur croissance verticale cesse et elles se développent en largeur en repoussant les branches des arbres voisins. Certaines n’y parviennent pas et faute de nourriture, dépérissent, elles sont alors attaquées par les insectes et disparaissent moins d’un mois après être apparues. Vous pouvez d’ailleurs voir quelques-unes de ces tiges sur le sol.
  • La loi de la jungle s’applique donc même aux arbres ? dis-je.
  • Effectivement, cela semble être la règle pour toutes les formes de vie.

Mais ici le vivant semblait avoir abandonné le sol pour se réfugier, à plusieurs dizaines de mètres de hauteur, dans le plafond verdoyant qui couvrait cet impressionnant sanctuaire. De ce toit partaient des lianes qui, s’entrelaçant, formaient une gigantesque toile d’araignée. Les utilisant comme terrain de jeu, diverses familles de singes transitaient en criant d’un arbre à l’autre à la recherche de nourriture. Une multitude d’oiseaux aux plumages des plus colorés, perchés sur ce labyrinthe végétal le transformaient en guirlandes chamarrées. Leurs chants et leurs sifflements emplissaient l’air de façon beaucoup plus harmonieuse que les insectes ne l’avaient fait.

Nous aurions bien aimé nous arrêter pour admirer ce spectacle, mais notre volonté d’atteindre Hiharkaitz avant les trois malfrats nous retint.

Quelques instants plus tard, nous débouchâmes dans une vaste clairière au milieu de laquelle trônait l’une de ces cheminées qui m’avaient tant intrigué en arrivant au port. Sa base quasi circulaire devait faire une trentaine de mètres de diamètre et son faîte arrondi mais légèrement boursoufflé, devait nous dominer de plus de trois cents mètres.

  • Alors, avez-vous une idée de ce que nous avons devant nous ? demanda Azart.
  • Sans vouloir paraître lourd, répondit en premier Télémaque, cela me fait penser à des pénis de géants monstrueux. Mais je ne pense pas avoir donné la bonne réponse, ajouta-t-il d’un air pétillant.
  • Je ne pense effectivement pas que tu nous aies fourni la bonne explication, lui répondis-je. Il me semble que cette tour est constituée d’un seul bloc. Elle n’est donc pas d’origine humaine. Ce n’est pas non plus une pièce d’un jeu d’échec laissé là par un colosse extraterrestre.
  • Non Télémaque, comme tu t’en doutes, ceci n’a rien de sexuel, reprit Azart, hilare. Heureusement d’ailleurs ! En revanche, Harold, tu sembles partir sur la bonne voie, répliqua notre accompagnateur. Continue …
  • Alors, je ne vois qu’une solution. Il s’agit de l'ancienne cheminée de lave extrêmement dure d’un volcan dont le cône se serait érodé et aurait disparu depuis de nombreuses années, m’exclamai-je.
  • Bravo ! Tu as gagné. J’ai bien fait de vous laisser faire travailler votre imagination, vous m’avez bien fait rire.
  • Exploitez-vous cette roche ? demandai-je.
  • Non, elle est trop difficile à valoriser. Donc nous ne l’utilisons pas directement. La terre aux alentours est extrêmement fertile. Elle est souvent exploitée pour y cultiver une grande variété de produits. Celle-ci, trop éloignée du village le plus proche, ne l’est donc point. Par ailleurs, certaines de ces monolithes sont utilisés à des fins ludiques, vous verrez cela un peu plus loin.

Effectivement la végétation autour de ce monument naturel, sans s’élever trop haut, était beaucoup plus généreuse que dans la forêt. La route fendait de façon très nette cette exubérance végétale et il était facile de comprendre que sans un entretien régulier, elle disparaitrait rapidement dans la luxuriance de feuilles et de fleurs.

Nous ne nous attardâmes pas davantage car le soleil commençait à décliner sérieusement. Nous reprîmes donc la route, avançant aussi vite que que possible, dans ce temple au parterre austère mais au plafonnier luxuriant, que formait la forêt.

Une bonne heure plus tard, nous rejoignîmes une rivière que nous longeâmes jusqu'à atteindre une nouvelle clairière. En bordure du cours d'eau, la forêt primaire perdait sa rigueur pour gagner en fantaisie. Le torrent, en fendant la futaie permettait à toute une flore bariolée de recevoir les rayons de l'astre du jour. Ainsi, une grande variété d'arbres, d'arbustes et de plantes pouvait déployer des fleurs et des fruits aux senteurs gourmandes et aux couleurs éclatantes.

L'arrivée dans une nouvelle trouée végétale nous laissa sans souffle. Sous nos yeux, une large plaine s’étendait autour de deux cheminées distantes d’environ cinq kilomètres. Le cours d'eau qui nous avait mené jusqu'ici, allait lécher la colonne la plus au nord, redescendait longer le village et disparaissait dans la jungle vers l’ouest. La campagne était couverte d'un macramé de cultures et un village d’une bonne trentaine de huttes était niché en son centre.

  • Nous voici arrivés au village de Bizitzoa, nous annonça notre chauffeur. Il fait maintenant trop sombre pour pouvoir avancer en sécurité, nous allons donc passer la nuit ici.

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