5.2 - La cité de Piauto
Avant même de rejoindre ce comité d’accueil, un premier élément me sauta aux yeux. Même s’ils portaient des vêtements de couleurs très variées, ils étaient tous habillés de polos longs et bermudas identiques et portaient des chaussures légères en toile. Aucun insigne extérieur ne permettait de les distinguer les uns des autres.
Azart confirma cette observation :
- Comme vous le voyez, tous les vêtements sont semblables car ils sont fournis par le projet. D’ailleurs, vous avez probablement constaté que les trois jeunes qui nous accompagnent ne disposent chacun que d’un petit bagage. En fait, ils n’ont l’autorisation d’amener que quelques effets personnels ainsi que des livres. Tout le reste leur est fourni.
Le véhicule s’arrêta devant le groupe et nous le quittâmes. Un homme d’une cinquantaine d’années de taille moyenne et aux cheveux poivre et sel, s’avança :
- Bonjour à tous, visiteurs et nouveaux stagiaires, soyez les bienvenus à Piauto. Je suis le doyen de la cité et je vous accueille au nom de tous ses habitants. Je me nomme Antako Jaktu.
- Bonjour Doyen, lui répondit Sour qui lui-même était l’ainé de notre groupe. Mes amis et moi vous remercions pour cet accueil. Nous sommes impatients de découvrir Piauto, son organisation si particulière et ses citoyens. La notoriété de votre cité est déjà arrivée jusqu’à Eilífuis et je suis sûr que vous avez beaucoup à nous apprendre. Mais laissez-moi d’abord vous présenter mes compagnons et amis Harold et Télémaque qui viennent d’une contrée très lointaine.
- J’espère que nous ne vous décevrons pas, reprit l’ancien. Nous ferons donc le maximum pour vous faire apprécier notre petite société. Mais je vois aussi trois novices qui vont nous rejoindre.
Visiblement ceux-ci attendaient que la parole leur soit donnée pour intervenir. C’est Anaitu qui se présenta le premier, suivi des deux autres :
- Bonjour Doyen, je suis Anaitu, j’ai vingt-trois ans et je suis agronome. Je me suis engagé pour une période de trois ans, dit-il et je suis très heureux de vous rejoindre.
- Je m’apelle Askta, et suis pharmacienne, poursuivit la jeune femme. J’ai vingt-sept ans et avec mon mari Berdan, nous sommes ici pour quatre ans.
- Je suis donc Berdan, l’époux d’Askta, vingt-sept ans aussi et j’espère pouvoir vous faire bénéficier de mes compétences de médecin.
- Parfait, parfait, reprit le doyen. Alors bienvenue à vous trois et bons séjours parmi nous. Je ne vous ai pas encore présenté les personnes qui m’accompagnent. Ils ont tous été tirés au sort pour former ce comité, moi seul ayant été désigné par ma position de doyen. Etant arrivé ici il y a sept ans et trois mois, je suis en effet le plus ancien membre de la communauté. L’accueil des nouveaux arrivants et des visiteurs est le seul privilège de ma fonction. Sinon, je suis un habitant comme un autre. Mais je vais laisser à mes camarades le soin de dire qui ils sont.
Chacun s’avança alors à tour de rôle. Il apparut rapidement que leur ordre d’intervention dépendait de leur ancienneté dans le projet. Le dernier n’était arrivé qu’il y a un mois et demi. Ils se présentèrent en déclinant leurs nom, âge, profession. L’un d’entre eux venait de Opaterlupt.
À l’issue de ces préliminaires, le doyen nous proposa une visite de la cité que nous acceptâmes bien volontiers.
- Nous allons d’abord permettre à ces jeunes gens de prendre leurs quartiers, dit-il en s’engageant dans un des boulevards radiants.
- Comment se fait la répartition des logements ? lui demandai-je.
- Simplement en fonction de leur disponibilité. Les appartements du centre étant plus spacieux, ils sont généralement attribués à des couples. D’ailleurs, nous voici devant celui que vont occuper Askta et Berdan.
Cette maison de couleur ocre était en fait constituée de deux habitations parfaitement symétriques. La façade devant laquelle nous nous trouvions était percée de deux portes et deux fenêtres au rez-de-chaussée, et de deux larges baies vitrées dotées de volets au premier étage.
En entrant nous nous trouvâmes dans ce qui devait être le salon. Il était meublé d’un large canapé et de deux fauteuils disposés autour d’une table basse. Une bibliothèque occupait un pan entier de l’un des murs. Séparée par un bar haut qui devait aussi faire office de table à manger, une kitchenette présentait les équipements de base permettant de satisfaire un cuisinier. Au fond de la pièce un escalier permettait d’accéder au second niveau. Celui-ci s’ouvrait sur un large palier qui devait servir de bureau. Une salle de bain et une chambre spacieuse complétait confortablement le tout. Je notais que le plafond de la chambre, qui devait en être le toit était partiellement vitré ce qui donnait, au-dessus du lit, une vue superbe sur le ciel. Je remarquais aussi que deux ensembles complets de vêtements avaient été disposés sur le lit, laissant sans doute ainsi aux occupants le choix de l’organisation de leurs armoires.
- C’est magnifique ! s’exclama le couple. Nous ne nous attendions pas à trouver un tel niveau de confort.
- C’est que nous avons l’habitude de prendre soin de nos membres, leur répondit l’ancien.
Nous laissâmes les deux nouveaux arrivants prendre possession de leur domaine et reprîmes le chemin vers le logement de Anaitu. Celui-ci, en grande conversation avec Télémaque, semblait impatient de découvrir sa propre demeure.
Nous entrâmes alors dans la seconde couronne d’habitat où nous eûmes plusieurs fois l’occasion de nous extasier devant l’originalité dont avaient fait preuve les dessinateurs de ces maisons. Certaines évoquaient des animaux, d’autres des plantes ou des arbres, d’autres encore des formes géométriques incertaines. Le pavillon destiné à recevoir notre jeune ami avait lui-même la forme d’une pêche. Globalement ronde, elle était divisée en deux parties correspondant chacune à un logis, séparées l'une de l'autre par un léger renfoncement central. Son crépi, de tons variés jaunes et rouges, accentuait la ressemblance avec le fruit.
L’intérieur était agencé comme celui que nous avions déjà visité mais en dimensions plus réduites. Télémaque insista pour voir l’étage et le découvrit donc avec son futur locataire. Il redescendit l’air réjouit.
- C’est génial cette ouverture sur le ciel à la verticale du plumard ! lança-t-il. En rentrant, j’installerai cela chez moi !
Les nouveaux arrivants étant installés, nous repartîmes en direction du centre et plus particulièrement vers l’un des deux cônes majestueux devant lesquels nous avions été accueillis.
Nous rentrâmes dans le premier qui était le plus à l’est et pénétrâmes dans une petite salle de conférence dotée de sièges confortables où nous fûmes invités à prendre place.
- Notre expérience repose sur trois piliers : la conscience collective, le partage du travail et de ses produits, et la connaissance comme bien commun, précisa le doyen. Nous sommes ici dans le temple de la connaissance. Chacun est amené à partager son savoir, et donc, au moins une fois par trimestre, à proposer une conférence, d’environ deux heures, sur le sujet qu’il maîtrise le mieux. L’accès à ces conférences est libre, mais il faut quand même s’y inscrire. Nos membres ont pour obligation d’assister à au moins deux conférences par semaine. Nous allons entrer dans l’auditorium pour que vous puissiez apprécier par vous-même la qualité des exposés. L’enseignement en cours porte sur l’augmentation d’efficacité de notre système de traitement de l’eau courante. Je vous prie de bien vouloir rester discret durant notre passage.
- Naturellement, lui répondis-je. C’est le moins que nous puissions faire.
Me tournant vers Télémaque, je lui fis un clin d’œil pour lui rappeler que lui aussi était concerné par cette consigne. Ce qui le fit pouffer de rire.
Nous entrâmes alors dans le plus gigantesque amphithéâtre qu’il m’ait jamais été donné de voir. Il devait bien pouvoir contenir près de dix mille participants. Pour cette conférence il était rempli à peu près au tiers. Au centre l’intervenant menait sa présentation de la façon la plus naturelle. Je ne comprenais pas dans le détail le sens de sa présentation, mais ce qui me frappa fut le silence respectueux dans lequel elle fut accueillie. Son exposé terminé, l’orateur donna la parole au public. Plusieurs bras se levèrent et les questions furent traitées une à une dans une harmonie parfaite. Le respect réciproque du conférencier et de ses auditeurs s’avérait impressionnant. Repensant à mes années d’études supérieures, je me fis la réflexion qu’ici encore j’assistais à quelque chose d’exceptionnel.
Nous n’attendîmes pas la fin des échanges, mais ressortîmes pour nous retrouver dans la bibliothèque. Elle était comparable aux plus prestigieuses que j’avais pu connaître. Plusieurs centaines d’étudiants y planchaient dans une ambiance studieuse. Afin de ne pas les déranger, nous ne nous attardâmes pas.
Nous sortîmes très impressionnés de ce temple du savoir.
- Ce que nous venons de voir est absolument saisissant, dis-je au doyen. Mais combien de personnes vivent ici ?
- Actuellement, le projet Utopia rassemble dix-huit mille personnes, dont environ mille quatre cents nous viennent de l’étranger. Nous grandissons progressivement, mais toujours de façon raisonnée afin de nous adapter en permanence à cette évolution. Au départ, il y a douze années, le projet regroupait huit-cents volontaires. Vous voyez donc que notre croissance est rapide. Il est probable que nous ne dépassions pas les vingt mille avant longtemps. Son extension passera probablement par la création de nouveaux sites indépendants mais en relation les uns avec les autres.
- C’est vraiment très impressionnant, surtout par la volonté de chacun de prendre pleinement sa part, dis-je profondément bouleversé.
- Je vous en remercie, me répondit-il, mais je vois que l’heure avance. Il nous faut rejoindre le restaurant où nous partagerons un repas léger.
- Bien volontiers, répondit le premier Télémaque, sans nous donner le temps de confirmer.
Nous allions nous diriger vers l’hôtellerie quand Sour intervint.
- Voici mon neveu Niesl, dit-il ravi en indiquant un jeune homme aux teint et cheveux très clairs.
- Bonjour mon oncle. Quelle surprise de vous rencontrer ici. Cela me fait plaisir de vous voir, lui répondit-il.
- Merci garçon, je suis heureux aussi de te voir en pleine forme.
- Qu’est-ce qui vous amène sur ce magnifique site ?
- Je suis en mission, nous menons une enquête avec mes amis Télémaque et Harold.
- De mon côté, je vous présente Drageon, il est arrivé en même temps que moi. Il est originaire de Bçome qu’il a dû quitter car il était repéré comme opposant politique.
Cette annonce, nous fit l’effet d’un coup de canon.
- Tu penses comme moi ? adressai-je à Sour.
- Malheureusement, je le crains, me répondit-il
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