5.4 - Protection active.

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Afin de ne pas marquer de rupture avec notre comportement du matin, nous décidâmes de rejoindre Niesl et Drageon. C’est ainsi que nous entrâmes ensemble dans la zone agricole du projet.

Les premières parcelles sur notre droite étaient consacrées à des cultures maraîchères. Elles étaient irriguées par de petits canaux directement issus du lac. Je ne pus voir dans le détail le type de légumes ou de fruits produits ici mais s’y déployait une large palette de couleurs et de formes. De nombreux jardiniers intervenaient avec des gestes précis. Chacun donnait l’impression de savoir parfaitement ce qu’il avait à faire.

Sur notre gauche, de vastes champs de céréales ondulaient à perte de vue sous la légère brise d’ouest. Il semblait que personne ne s’y affairait, créant un contraste saisissant entre à notre droite une ruche polychrome et mouvementée et, à notre gauche, un horizon uni, mû par les seules ondulations du vent.

Après un bon quart d’heure de marche, alors que le chemin commençait à s’élever doucement, nous arrivâmes dans des vignes taillées au cordeau. Niesl se tourna alors vers nous :

  • Drageon, descend d’une famille de vignerons, il a une expertise viticole avérée. Je l’accompagne car je souhaitais essayer d’implanter des cépages dans la vallée des délices d’Eilifuis. Cela nous permettrait de produire notre propre vin.
  • N’exagère rien, lui répondit son acolyte, j’ai juste une petite expérience en œnologie, mais je suis loin d’être un cador dans ce domaine.
  • N’empêche que le nectar que tu m’as donné à goûter l’autre jour était absolument fabuleux !
  • C'est parce que tu n’as pas encore eu l’occasion d’apprécier de vrais grands crus !

À ce moment une femme d’une quarantaine d’année, à la peau hâlée par le soleil, les interpella :

  • Les gars, quand vous aurez fini vos palabres, vous penserez à venir travailler, leur lança-t-elle.
  • Oh, excusez-nous, leur répondirent-ils en cœur. Nous arrivons.

Avant de s’engager dans les vignes, Niesl nous la présenta comme la responsable des cultures vivrières.

Bien que tout au long de notre parcours, nous efforçant de ne rien laisser paraître, nous avions été très attentifs à détecter toute présence suspecte, nous n’avions décelé aucune menace imminente. Aussi, nous laissâmes le trio travailler et poursuivîmes notre découverte des lieux, tout en restant à proximité.

Rassurés par la présence discrète de membres de la sécurité, nous continuâmes notre déambulation jusqu’à atteindre un petit plateau qui dominait la plaine et d’où nous pouvions observer tous les mouvements à l’intérieur et autour des vignes.

La vision que nous avions de cet endroit était splendide. À nos pieds, les aires cultivées s’étalaient paisiblement. Malgré la distance, nous pouvions en apprécier les fragrances sucrées. Peu après notre arrivée, nous entendîmes une mélodie s’élever d’un espace où de nombreuses personnes travaillaient à l’unisson. Menée par un couple de chanteur, elle rythmait leur labeur de façon harmonieuse. Sur le lac, une dizaine d’embarcations manœuvraient autour de larges parcs d’élevage de poissons. Plus au nord, quelques lourdes gabares à voile s’éloignaient lentement. J’eus plaisir à m’imaginer qu’au-delà des collines, ce lac s’ouvrirait sur une mer et de nouveaux pays de cocagne.

Je fus interrompu par Sour qui m’indiqua que son neveu allait rejoindre le centre-ville.

Après avoir vérifié qu’aucun individu suspect ne rodait autour des deux jeunes, nous les suivîmes à distance raisonnable.

Plus nous nous rapprochions de l’agora, plus la foule se densifiait. Selon le scénario des crimes précédents, nous nous attendions à une tentative d’enlèvement sur Drageon. Il n’était cependant pas impossible que les assassins, désireux d’exécuter leur sinistre besogne de façon plus expéditive, se décident à changer de stratégie. Aussi redoublions nous de vigilance.

Nous prîmes le parti de nous séparer. Sour et Azart continueraient à les suivre de très près alors que Télémaque et moi passerions devant eux pour éventuellement repérer tout élément suspect. Nous savions par ailleurs, que les agents de la sécurité s’étaient répartis de façon à créer une nasse qui se refermerait sur toute personne qui tenterait de porter atteinte au jeune bçomien.

Suivant le flux de déplacement, nous arrivâmes devant le second immeuble conique qui jouxtait la bibliothèque. La foule commençait à se densifier et je remarquai qu’un individu, sans doute plus pressé que les autres, avait bousculé deux personnes et qu’une petite altercation s’en était suivie. Cela me fit sourire car les deux protagonistes étant habillés de même façon : un chandail bleu clair et un short beige, on avait l’impression de les voir s’exciter devant un miroir. Un détail me frappa cependant : l’homme à l’origine de l’incident semblait boudiné dans des vêtements trop étroits pour lui. Malheureusement un mouvement de foule vint distraire mon observation et je perdis l’homme de vue.

De nombreux citoyens entrèrent dans le bâtiment et, après avoir vérifié que Niesl et Drageon nous suivaient bien, nous pénétrâmes dans le hall. De multiples portes et escaliers s’ouvraient devant nous. Nous attendîmes donc que les autres choisissent leur accès pour les suivre et rester à proximité.

À cet instant Azart vint nous retrouver.

  • L’un des juges vient de nous faire savoir qu’il avait été saisi d’une plainte pour vol dans une des maisons les plus excentrées de la ville. Le plaignant indique que trois ensembles complets de vêtements lui ont été volés : deux polos bleu ciel et un couleur sable, un bermuda de la même couleur, un autre rouge et le dernier châtain. Un agent s’est aussitôt rendu sur place et a retrouvé à proximité un sac à dos avec des habits extérieurs à la cité.

Cette information venait confirmer nos pires craintes

  • Donc, ils sont là et Drageon est bien en danger, lui répondis-je. Je suis sûr d’avoir aperçu l’un d’entre eux il y a à peine cinq minutes. Il portait des vêtements de mêmes couleurs que ceux qui ont été dérobées et il paraissait étriqué dedans. Nous avons donc maintenant l’avantage de savoir quelles teintes nous devons rechercher.
  • C’est exact. Tous les agents ont été informés ainsi que la commissaire Esteldu qui est en route pour nous rejoindre et mener les recherches. Elle devrait être là en début de nuit.
  • En attendant, il nous faut redoubler de vigilance.
  • J’ai fait en sorte d’établir un cordon de sécurité autour des garçons dans l’amphithéâtre, repris Azart. Je ne pense pas que l’attaque aura lieu ici. Elle interviendra plus probablement à l’extérieur.
  • Tu as sans doute raison. Mais je vais quand même essayer de retrouver l’individu que j’ai aperçu tout à l’heure.

Après ce conciliabule, nous entrâmes dans l’enceinte même du Sénat. Nous découvrîmes une immense enceinte constituée en quatre cercles concentriques. Au centre, un premier disque accueillait une estrade sur laquelle trônait les trois juges ainsi que le soixante-cinquième membre du comité de pilotage qui avait été désigné par le tirage au sort intégral. Une dizaine de pupitres destinés aux fonctionnaires chargés de transcrire les débats entouraient cette chaire.

La seconde couronne avait été découpée en seize loges accueillant chacune deux fois quatre sièges confortables disposés par rangées de deux. Un de mes voisins m’indiqua que les deux premières rangées étaient destinées aux titulaires en place, qui avaient le droit de vote et les deux suivantes aux remplaçants qui n’étaient là qu’à titre consultatif. Je remarquai que chaque cellule était marquée par un symbole distinctif relatif à l’activité du collège qu’elle accueillait. Niesl et Drageon, en raison de leur spécialisation agricole allèrent se placer derrière celle marquée d’un épi de céréale. Je détaillai les autres symboles. Seuls certains me parurent intuitifs ; un tournevis pour les artisans, une équerre pour les bâtisseurs, une goutte de sang pour le corps médical, une balance pour les juristes.

La plupart des membres du comité de pilotage était déjà en place. Derrière chacun des octuors, deux huissiers attendaient que les débats commencent.

Le second anneau était le plus étroit de tous. Seuls une trentaine d’huissiers y étaient positionnés mais rien n’entravait leur circulation.

Enfin, au-delà de cette boucle, un public nombreux était venu assister aux délibérations. J’estimais à plus de douze mille les places disponibles dans cet amphithéâtre. Je fus impressionné par le calme bruissement qui régnait malgré la forte affluence.

Les deux jeunes gens étant arrivés depuis quelques minutes, les places situées immédiatement autour deux étant déjà prises, aussi nous nous installâmes cinq rangs derrière eux mais les avions parfaitement en ligne de mire. Aucune menace immédiate ne semblait les affecter.

L’un des juges leva le bras et aussitôt le silence se fit.

A cet instant, persuadé que nos deux amis étaient en sécurité, je relâchai mon attention sur le public pour le porter sur le centre de la salle.

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