5.7 - Un départ matinal.
Lorsque je ressortis, quelques heures plus tard, l’air était encore doux sous les étoiles de cette fin de nuit. Alors que je me laissai bercer par la légère brise venue du lac, Azart interrompit ma rêverie de façon brutale :
- Voici Sour, me dit-il. Mais j’ai eu beau frapper à plusieurs reprises à la chambre de Télémaque, celui-ci n’a pas réagi. Toi qui le connais bien, cela te gênerait d’aller le secouer ?
- Non pas de problème, lui répondis-je. J’y vais de ce pas.
Je retournai donc vers l’appartement où il était censé avoir passé la nuit. En moi-même, j’étais persuadé de ne pas l’y trouver. Je donnais quelques coups modérés de façon à ne pas déranger les autres hôtes de la résidence. Constatant le peu de résultat, je me décidai à ouvrir. Comme je le pressentais la pièce était vide. Le lit n’avait pas été défait.
Incorrigible Télémaque, il n’avait pas pu résister à la tentation et c’est bien lui que j’avais entendu sortir en début de nuit. Je me souvins des derniers événements et de la rencontre avec Anaitu. J’en déduis qu’il fallait aller le chercher du côté de chez l’agronome.
Constatant que je revenais seul, Azart montra une impatience certaine.
- Nous ne pouvons-nous permettre de retarder le convoi de la Commissaire, affirma-t-il. Il faut absolument que nous retrouvions Télémaque rapidement.
- Ne t’inquiète pas, lui répondis-je. Je pense savoir où le trouver.
- J’espère que tu as raison. C’est quand même un drôle de coco, ce garçon ! Vous avez dix minutes pour nous rejoindre devant le Sénat. Après ce délai, je ne garantis plus rien , et surtout pas l’humeur de la commandante, insista-t-il d’un ton contrarié.
- J’accompagne Harold, compléta Sour. Et nous serons au rendez-vous !
Nous nous mîmes en route immédiatement en direction de la maison de Anaitu.
Bien que persuadé que nous allions le récupérer, une sourde angoisse me prit. Si ce n’était pas le cas, il ne serait pas question pour moi partir sans lui. Comment réagiraient nos hôtes et quel impact cela aurait sur l’enquête alors que nous savions que le trio infernal allait resurgir ? J’en voulais à mon ami pour ce comportement totalement irréfléchi.
Nous avions couvert près de huit cents mètres quand nous vîmes arriver notre compagnon claudiquant en tentant d’avancer tout en finissant d’ajuster ses habits.
- Oups, désolé, s’exclama-t-il. Je ne savais plus à quelle l’heure il fallait partir. Donc me voici.
- Tu es vraiment un cas, ne pus-je m’empêcher de lui gratifier. Encore un peu et tu retardais tout le convoi. Il y a des jours, je me demande quel âge tu as.
Cette réflexion le fit sourire. Probablement que la réponse à cette question aurait laissé songeur les plus cartésiens.
- N’empêche, ces toits ouverts sur le ciel, s’exclama-t-il d'un air rêveur. Quelle idée de génie ! Je ne savais pas qu’un agronome était capable de me faire découvrir autant d’étoiles !
Sour et moi, nous regardâmes et nous esclaffâmes de concert. Décidemment, il était vraiment unique notre ami !
Lorsque nous arrivâmes devant le Sénat, l’ambiance n’était pas vraiment à l’amusement. Quatre voitures nous attendaient. La Commissaire, probablement informée par Azart Esteldu nous accueillit.
- Bonjour messieurs. Je suis contente de vous voir tous les trois.
Puis se tournant vers Télémaque, elle le fixa d’un air franchement réprobateur :
- Quant à vous le fugueur, vous mériteriez que je vous mette aux arrêts. Il est inadmissible, dans la situation actuelle, que vous désertiez l’emplacement fixé pour y passer la nuit. De plus, il semblerait que ce soit pour aller batifoler et pervertir un habitant de cette ville. Ce comportement est extrêmement condamnable.
Télémaque prit de plein fouet cette admonestation. La joie qui illuminait son visage quand nous l’avions récupéré laissa place à une inquiétude visible et à la fatigue d’une nuit probablement animée.
Constatant l’effet de son discours sur sa victime, la cheffe de la police éclata d’un grand rire :
- Mais non, cher dilettante, votre vie vous regarde et je n’ai pas l’intention de m’en mêler. Sauf, bien sûr si vos actes devaient entraver nos investigations. Mais comme vous nous avez rejoints à l’heure. Je n’ai rien à redire.
Notre éphèbe préféré se détendit. Mais son visage garda les traces de fatigue. Je pensai qu’il ne verrait pas grand-chose du voyage retour.
Après cet épisode, je remarquai que les trois malfrats étaient entravés dans le second véhicule. Leur nuit avait dû être passablement moins agréable que celle de mon compagnon. Ils avaient l’air très déprimés et les deux gaillards que nous avions arrêtés hier semblaient beaucoup moins sûrs d’eux et de leur libération prochaine. Ils ne portaient aucune trace de violence mais leurs tenues étaient largement marquées de tâches de transpiration.
- Ces messieurs ont bien voulu nous faire quelques confidences, nous dévoila la Commissaire. Nous en parlerons en route. Sachez quand même qu’ils n’ont pas agi seuls. Une des résidentes de la cité leur avait préparé le coup. Elle est dans le fourgon suivant. Nous l’avons cueillie cette nuit.
Effectivement une femme était elle aussi attachée solidement dans la voiture suivante.
- Bon, ne tardons pas. Il faut que nous rejoignions au plus tôt la capitale pour retrouver les deux filles qui ont été enlevées et accueillir les trois autres malfaiteurs.
À cet instant nos deux héros de la veille firent leur apparition. Niesl et Drageon avaient encore l’air éprouvés, mais leur courte nuit leur avait quand même permis de reprendre des couleurs. C’est le Bçomien qui s’exprima le premier :
- Sour, Télémaque et Azart, je tenais à vous remercier pour m’avoir tiré des griffes de ces individus. Je savais notre dictateur capable de beaucoup de mauvais coups, mais jamais je ne me serais cru en danger ici. Sans votre intervention, je ne serai plus là pour lutter contre ce monstre. Je vais finir mon stage ici et ensuite, je me remettrai à la disposition de mon peuple et de sa lutte pour la liberté.
- Tu as été très courageux d’accepter de servir de lièvre, lui répondit Sour. Et j’avoue avoir craint d’avoir fait une erreur en te proposant ce rôle. Mais je suis très fier que la présence de Niesl à tes côtés ait permis de conclure favorablement cette affaire. Bravo à tous les deux, vous nous avez épatés !
- Merci mon oncle, reprit Niesl. Si vous n’étiez pas intervenu tous les quatre, Drageon aurait subi un sort terrifiant et il est possible que moi-même aie eu à endurer de lourdes épreuves. Donc ne regrettez rien. L’essentiel est bien que nous soyons en vie. Nous vous devons beaucoup.
Ces paroles ainsi que l’approche du départ rendaient l’émotion palpable. Je sentis ma gorge se nouer et vit que les yeux de Sour étaient humides. Même Télémaque était au bord des larmes.
- Drageon, Niesl, dis-je. Ce fut un grand plaisir de vous rencontrer malgré les circonstances. Vous resterez pour moi des modèles de courage. Bravo. Je vous souhaite donc une excellente fin de séjour dans cette cité admirable et, par la suite, de pouvoir faire bénéficier vos peuples de votre expérience. Je sais que pour Niesl, ce ne sera pas difficile. En revanche, je crains que pour Drageon, ce soit plus ardu, mais je suis sûr qu’il va beaucoup apporter aux siens.
Le moment de nous quitter étant arrivé, nous prîmes place aux côtés de la cheffe de la police et le convoi s’ébranla.
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