6.3 - Le récit d'Aliss.

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La route était maintenant bien tracée, de longues lignes droites permettaient de voir loin devant nous et du fait de la puissance de notre véhicule, nous n’eûmes aucune difficulté à retrouver les fugitifs.

Dans un premier temps, nous restâmes bien éloignés de façon à analyser leur comportement. Leur conduite était assez irrégulière alternant pointes de vitesse et périodes plus lentes. Notre propre allure, régulière, nous amenait ainsi à voir évoluer constamment la distance qui nous séparait d’eux. Quelques écarts de conduite nous firent penser que le conducteur devait être sujet à la fatigue. Ils ne risquaient donc pas d’arriver à Punteak très rapidement. Nous prîmes donc la décision de les doubler afin de rejoindre la commissaire et son équipe dans les meilleurs délais.

Azart accéléra et les doubla en trombe de façon qu’ils n’aient pas le temps de détailler notre voiture. Seul à l’avant et concentré sur sa conduite, il nous laissa le soin d’observer les deux hommes.

Ceux-ci donnaient l’impression de s’engueuler assez vertement. Nous ne pûmes établir s’ils s’étaient déjà rendu compte de la disparition de leur otage.

Ayant convenu, avec la cheffe de la sécurité, que nous ne tenterions rien, nous ne nous préoccupâmes plus d’eux et fonçâmes jusqu’à notre point de ralliement.

Entre temps la jeune femme reprit peu à peu ses esprits. Dans un premier temps, et de façon bien compréhensible, elle se montra très effrayée de se réveiller dans un véhicule, entourée de quatre inconnus. Nous la rassurâmes, bien aidés par Télémaque qui nous montra qu’il savait aussi parler aux dames.

Rassérénée de savoir qu’elle était entre bonnes mains et que son supplice était fini, elle se livra peu à peu. Elle s’appelait Aliss Tirlontas, originaire elle aussi de Bçome, elle travaillait comme ingénieure à Katanslnet depuis presque deux ans. Le garçon qui avait été retrouvé noyé était un de ses cousins. Il logeait chez elle à chaque fois qu’il venait en ville. Elle nous indiqua qu'une nuit trois individus masqués s'étaient introduits chez elle et les avaient enlevés brutalement. Frappés sauvagement, ils ont perdu conscience et se sont réveillés ligotés et bâillonnés dans une pièce très humide et sans fenêtre, juste éclairée par une lampe diffusant une lumière terne.

Au bout d’un moment, les trois ravisseurs étaient rentrés dans la pièce et avaient commencé une diatribe dans laquelle se mêlaient insultes à leur égard et louange du guide suprême de la nation. Ensuite le plus gros des trois, dont la description nous fit penser que c’était celui sur lequel nous avions mis la main, était sorti en emmenant son cousin.

S’exprimant lentement, les paroles submergées par le chagrin et les yeux rougis, Aliss prolongeât son récit.

Les deux autres poursuivaient leurs récriminations en lui décrivant sa future condition d’esclave domestique et lui promettant le pire. Rapidement, à la grande satisfaction des deux ignobles restés dans la pièce, des cris insupportables parvinrent de la pièce voisine. Puis le silence se fit pour laisser la place à de sinistres échos de chocs et d’éclatements suivis d’un éclat de rire obscène. Les tueurs se saisirent alors d’elle pour l’amener dans la pièce voisine. Elle crut sa dernière heure arrivée, mais le pire l’attendait.

Jetée sans ménagement dans la salle, elle vit le corps de son parent désarticulé au milieu d’une mare de sang. La vue de son visage totalement broyé lui fut insoutenable et elle s’évanouit.

Elle se réveilla, probablement bien plus tard, pour se retrouver à l’arrière d’un fourgon en compagnie de l’assassin de son cousin. Sa vue et surtout son regard concupiscent lui répugnaient, aussi essayait-elle de garder les yeux fermés. Mais aussitôt le visage pulvérisé du jeune martyr lui revenait. La crapule lui fit comprendre qu’il regrettait qu’elle doive être « livrée » en bon état.

Ils roulèrent ainsi plusieurs jours sous des températures insupportables en s’arrêtant pour manger et satisfaire à leurs besoins naturels dans des endroits déserts et à l’écart de la route. Dans ses moments, ils la sortaient de la voiture et la libérait de ses entraves. La nuit, ils la droguaient et la laissait dans le van sous une bâche alors qu’eux prenaient des chambres dans les auberges.

Ce fut bien sûr avec une grande souffrance qu’elle nous décrit tout cela, mais Télémaque était parvenu à la réconforter autant que possible et nous sentions que d’externaliser ces horreurs la soulageait.

Aliss reprit lentement un peu de couleur. Pensant avoir largement distancé le duo infernal, nous fîmes un court arrêt pour lui permettre de se dégourdir les membres et acheter de quoi calmer un peu sa soif et sa faim.

De retour dans le véhicule, elle nous communiqua une information capitale.

  • Durant les pauses, je les ai plusieurs fois entendu parler d’un village où ils devaient rejoindre d’autres miliciens. Il me semble qu’ils l’ont nommé Anatua, mais je déforme peut-être.
  • Il y a effectivement à une dizaine de kilomètres au sud de Punteak un bourg du nom de Énatua, lui répondit Azart. C’est probablement leur point de ralliement.

Durant le reste du trajet, nous continuâmes à échanger avec notre passagère. En lui faisant part de notre enquête mais en la laissant aussi exprimer son angoisse et ses traumatismes. Je me répète, mais, durant cette période, Télémaque fit preuve d’une extraordinaire empathie qui contribua grandement à rassurer la malheureuse jeune femme.

Nous arrivâmes ainsi à Punteak où nous retrouvâmes la cheffe de la sécurité pilotant les opérations au sein d’une salle de commandement animée comme une ruche un beau jour d’été. Nous lui présentâmes Aliss et pour éviter à celle-ci la pénible tâche de revivre son enlèvement et l’exécution de son cousin, lui fîmes un résumé rapide de ce que la jeune femme nous avait appris. Et en particulier sur la possibilité que les malfrats utilisent le village d’Énatua comme base arrière.

  • Ce village fait partie de ceux qui ont été évacués du fait du manque d’eau, nous dit-elle. Son choix comme point de ralliement est judicieux puisqu’il est situé sur une petite butte, un peu à l’écart de la route. Il domine la plaine et permet ainsi d’éviter toute approche surprise.
  • C’est donc probablement bien là que nous retrouverons les malfrats, en déduit Sour. Mais nous ne savons pas combien ils seront car il est possible que d’autres groupes y rejoignent nos fugitifs.
  • C’est une hypothèse, lui répondit la commissaire. Mais aucun autre crime de scénario similaire à ceux commis par les deux équipes ne nous a été signalé. Donc je n’y crois pas de trop.

J’espérai que son raisonnement était le bon, en pensant que plus nos adversaires seraient nombreux, plus notre rencontre risquait de se transformer en bataille rangée, au péril de la vie des otages. Il sembla que Sour ait eu la même pensée que moi :

  • Vous avez raison, reprit-il. Dans tous les cas l’objectif principal doit être de libérer les deux jeunes femmes. Le récit d’Aliss fait froid dans le dos.
  • Compte tenu de ce que nous savons du bourg d’Énatua, il parait difficile de nous y introduire de façon discrète. La seule option me parait d’encercler totalement le village et de faire savoir à ces gangsters qu’ils n’ont aucune chance de sortir avec les otages.
  • Je ne vois, effectivement, pas d’autre option, conclut Sour.
  • J’ai une cinquantaine d’hommes à ma disposition, nous informa la policière. Cela devrait suffire pour investir le hameau qui compte une vingtaine de maisons. Par ailleurs, je vais faire établir des barrages en amont et en aval du village. Nous pourrons y intercepter les deux salopards qui ont kidnappé Aliss. Attendez-moi ici, j’ai quelques détails à régler.

La commissaire s’absenta et revint trois minutes plus tard :

  • Allons-y. Ne trainons pas, le temps joue pour eux…

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