6.4 - Le siège d’Énatua.

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Après sept à huit minutes, nous bifurquâmes vers l’est et empruntâmes un chemin large mais mal pavé. Face à nous, le village d’Énatua, perché sur une petite butte dominant la plaine d’une centaine de mètres, nous défiait. Il était évident que notre approche avait dû être remarquée par les occupants éventuels du bourg.

Nous nous engageâmes dans la montée, et nous arrêtâmes à mi-hauteur soit à environ huit cents mètres des premières maisons. L’ensemble de la brigade sortit des voitures et une partie des hommes se dispersa pour procéder à l’encerclement total du tertre. Le blocus fut ainsi bouclé en une dizaine de minutes.

Le village semblait inoccupé. Le plan que nous avions en notre possession indiquait une organisation circulaire de l’habitat autour d’une grande maison centrale ovale. Les maisons rectangulaires bâties de briques de terre et couvertes de chaume commençaient à se déliter sous l’action combinée du vent et du soleil. À travers certains murs éventrés nous pûmes voir qu’aucune vie n’animait les bâtiments périphériques.

Après un temps d’observation attentive, la cheffe de la sécurité donna l’ordre d’avancer vers le village et la cinquantaine de fonctionnaires présents entama la montée. La progression se fit par étapes d’une centaine de mètres. Enfin les premières troupes atteignirent le village. Nous même y pénétrâmes en suivant l’artère principale.

Chaque maison atteinte fut fouillée attentivement et leurs parois et sols sondés. C’est ainsi que nous atteignîmes le cœur du village et la maison commune où, à l’origine, le conseil de village se réunissait.

Au moment où nous allions l’investir une voix puissante se fit entendre.

  • Nous sommes là avec deux otages. N’approchez plus, sinon nous les exécutons.

Pour confirmer ce discours, un homme s’avança dans l’embrasure d’une porte en poussant devant lui une jeune femme terrorisée.

L’homme affichait une cinquantaine d’années. Ses cheveux très bruns mi-longs, son grand front ridé fendu d’une large cicatrice, ses sourcils épais et désordonnés couvrant un regard très noir, son nez busqué témoignant de plusieurs fractures, le rendaient franchement repoussant. Sa haute taille et ses épaules taillées à la serpe trahissait l’homme d’action. Il n’y avait aucun doute, cet individu était déterminé et extrêmement inquiétant.

  • Vous êtes cernés de toute part, lança la commissaire à travers un porte-voix. Vous n’avez aucune chance de pouvoir vous échapper. Laissez partir les otages et rendez-vous.
  • Il n’en est pas question, répondit le malfrat. Encore une fois, nous n’hésiterons pas à sacrifier les deux nanas, si vous tentez quoi que ce soit.

Ceci fut le début d’une longue joute verbale dans laquelle personne ne voulait céder. La situation n’évoluait pas et nous ne savions rien de la deuxième prisonnière.

Ne voyant pas d’issue à ce dialogue sans avancée, Sour s’entretint un moment avec la cheffe de la sécurité. Ils semblèrent s’être accordés et la commissaire fit une nouvelle offre.

  • Nous vous proposons de mettre un véhicule à votre disposition. Vous sortez avec les deux captives, nous nous écartons tous de deux cents mètres, vous laissez les filles partir et vous prenez la voiture et partez seuls. Qu’en pensez-vous ?
  • Si nous partons, c’est avec les garces. Elles seules peuvent garantir notre sécurité. C’est à prendre ou à laisser…

Et ainsi un nouveau dialogue de sourd s’engagea, sans plus de résultat.

Au bout de deux heures de palabres inutiles, la situation semblait complètement bloquée et la commissaire songeait à donner l’assaut, quand, de la plaine, nous entendîmes une voiture approcher à vive allure.

Sur le coup, je me demandai si ce n’était pas les deux gangsters qui se pointaient, mais compte tenu des barrages établis sur les routes, cela me parût peu probable.

Le véhicule franchit les derniers hectomètres qui le séparait du centre du village et s’arrêta dans un ample nuage de poussière. Une grande silhouette s’extirpa du siège passager. Bien que me tournant le dos, j’eu l’impression de connaitre cette personne. Celle-ci se retourna vers nous et, stupéfiés, nous reconnûmes Drageon !

  • Bonjour major, bonjour Harold et Télémaque, je suis content de vous revoir, nous dit-il avec un air combinant gravité et sérénité.
  • Mais que fais-tu ici ? l’interrogeai-je.
  • Dès que j’ai appris que mon peuple se révoltait et que la révolution était en marche, me répondit-il, j’ai su que ma place n’était plus à Piauto. Il me fallait participer à cet évènement historique et y apporter ma contribution, aussi suis-je parti immédiatement en laissant Niesl et tous mes amis. Ceux-ci ont compris ma démarche et m’ont encouragé à m’engager.
  • Mais comment es-tu arrivé ici ?
  • J’ai été informé, en route, que vous étiez sur les traces des jeunes femmes kidnappées et de leurs ravisseurs. Je me suis dit que ma présence auprès de vous pourrait être utile. Ensuite, vu la présence policière sur la zone il ne m’a pas été difficile de vous retrouver et me voilà !

Nous lui dressâmes un tableau rapide de la situation. À l’issue de cet exposé il se tourna vers la cheffe de la sécurité.

  • Commissaire, m’autorisez-vous à tenter quelque chose ? Je vous promets de ne pas mettre la vie des deux otages en danger.
  • Que proposez-vous, lui répondit-elle ?
  • Laissez-moi le jouer au bluff. Je suis persuadé que je peux les convaincre.
  • Au point où nous en sommes, pourquoi pas ? convint-elle.

Drageon sortit alors un brassard aux couleurs de son pays : jaune vert et rouge frappé d’un cercle blanc au centre duquel trônait un Strelizia. Je fis immédiatement le rapport avec les éléments tirés au sort dans l’ancienne boutique. Il ne pouvait y avoir de hasard.

Le jeune homme mit le brassard sur son biceps droit et prit le porte-voix :

  • Je suis Drageon Sianbali et je suis mandaté par le Comité Démocratique pour le Redressement de Bçome. Après deux jours de lutte intense, nous avons mis à bas la dictature qui oppressait notre pays et que vous avez servie. L’ex-chef suprême de la nation n’est plus qu’un pantin ridicule qui croupit en prison et vous n’avez plus rien à attendre de lui. C’est fini pour lui, et c’est fini pour vous. Relâchez les filles et rendez-vous si vous voulez survivre.

Ayant compris le stratagème, la commissaire poursuivit :

  • Selon nos investigations, personnellement vous n’avez pas de sang sur les mains. Nous vous promettons un jugement équitable pour les faits commis sur notre territoire.

Un silence anxieux suivi ces déclarations. Quelques instants plus tard, les deux filles sortirent du bâtiment, suivies de peu par les deux gangsters désarmés.

Drageon se précipita vers les jeunes femmes et les réconforta. Télémaque vint à son tour les soutenir. Quant aux deux bandits, ils furent arrêtés sans violence et immédiatement mis dans une voiture en direction de la capitale.

Je rejoignis Drageon pour le féliciter de son initiative décisive:

  • On peut dire que tu es arrivé fort à propos, lui dis-je.
  • Merci, oui c’est bien cela. Mais je n’ai fait que suivre mon intuition, me répondit-il.
  • As-tu des nouvelles de chez toi ?
  • Oui, la révolution est en marche. La plupart des grandes villes se sont soulevées et seul le cœur de la capitale reste aux mains du tyran. Je pars aussitôt participer à cette insurrection.

Nous fûmes interrompus par la commissaire.

  • Il semblerait que vos deux assassins aient contourné le village. Ils auraient été repérés sur une route très à l’est d’ici. Sans doute qu’en constatant la disparition d’Aliss, ils ont décidé d’éviter la zone. Bref, à l’heure qu’il est, ils filent vers la frontière.
  • Il ne faut pas qu’ils nous échappent, m’exclamai-je. Peut-on bénéficier d’une de vos voitures ?
  • Sans problème. Je vous laisse la voiture mais aussi Azart. Ne tardez pas.
  • Je viens avec vous, s’écria Drageon. Il n’y a pas de doute qu’une fois à Bçome je pourrais vous être utile. Et comme vous, je veux que ces salopards finissent derrière les barreaux.

Aussitôt dit, aussitôt fait. C’est donc à cinq que nous reprîmes la direction de la frontière. La traque continuait

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