6.5 - La révolution Bçomienne.

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Persuadés que les deux barbouzes tenteraient de rejoindre leur base, nous foncions vers la frontière. Aliss ayant absolument tenu à nous accompagner, ce que nous ne pouvions lui refuser après ce qu’elle avait vécu, nous nous serrâmes à six dans le véhicule.

Espérant les rattraper tant qu’ils étaient sous sa juridiction, Azart poussa la vitesse à son maximum.

Je profitai de ce trajet pour interroger Drageon.

  • Que sais-tu de ce qu’il se passe chez toi ?
  • Selon ce que l’on m’a rapporté, me répondit-il, la répression interne s’est fortement accélérée ces dernières semaines. Des dizaines de nos camarades ont été arrêtés, torturés et exécutés sauvagement. Mais le pouvoir a commis une grosse erreur. La répression menée par les forces spéciales n’allant pas assez vite, le tyran a voulu que la police y prenne sa part. Si certains fonctionnaires trop zélés ont accepté de collaborer sans état d’âme, la plupart n'ont pas accepté de devoir sévir contre la population, c’est à dire contre leurs familles et leurs amis. Dans la majorité des cas ils ont fait en sorte d’exécuter les ordres avec suffisamment de lenteur pour que leurs cibles désignées puissent se mettre à l’abri. Il y a cinq jours, un premier commissariat du sud, s’est rebellé et s’est retourné contre les miliciens qui voulaient les contraindre à agir.

Observant notre nouvel ami, je vis la fierté s'exprimer dans ses traits. Bien que n'ayant pas encore eu l'occasion de prendre part à la révolte, il était évident qu’il bouillait d'envie d'en découdre avec les oppresseurs.

  • Ce geste, continua-t-il, a été le déclencheur d’un mouvement qui s’est propagé comme une traînée de poudre. Les citoyens se sont joints aux rebelles et ont investi les locaux de la sécurité, mais aussi les lieux de culte. En effet, la nouvelle hiérarchie ecclésiastique, mise en place avec l’aval du pouvoir, a voulu intervenir pour inciter les fidèles à rentrer dans le rang en les menaçant des pires fléaux divins dans ce monde et dans l’autre. Elle s’est disqualifiée et a perdu toute crédibilité. Les chefs des églises locales ont donc été traités comme les miliciens et ont été séquestrés en lieu et place des partisans et de jeunes pasteurs moins corrompus ont pris leurs places.
  • Aujourd’hui où en est la révolution ?
  • D’après ce que je sais, une grande partie du sud est aux mains des insurgés ainsi que certaines grandes villes comme Birnewa, ma ville natale, mais Babans la capitale reste tenue par le tyran et sa clique. Si par endroit, les choses bougent de façon raisonnable, dans d’autres, à l'inverse, la lutte est violente et on parle de centaines de morts, en particulier vers Tanans qui est la première grande ville après la frontière. Les amis du guide suprême y ont beaucoup d’intérêts économiques, ils y ont donc beaucoup de forces. Mais c’est aussi une des plus grandes villes universitaires du pays. Les combats sont acharnés et une partie de la ville serait en flammes.

Je songeai alors que si l'on parlait d'incendie, il faudrait aussi probablement compter les morts, les estropiés et les blessés. Encore une fois, l'ambition ou la folie d'un homme avait amené un peuple au bord du gouffre.

  • J’espère de tout cœur que votre lutte sera couronnée de succès, lui exprimai-je.
  • Elle le sera, intervint Aliss, qui jusqu’à présent été restée discrète. Nous avons suffisamment payé pour qu’elle le soit !
  • Drageon, d’où as-tu sorti ce brassard ? Et que représente-t-il ? Lui demandai-je.
  • C’est un insigne authentique du CDRB, le Comité Démocratique pour le Redressement de Bçome, dont j’étais l’un des dirigeants locaux avant mon exil. En partant je l’avais pris avec moi, espérant qu’un jour il me serait utile. Et ce jour est venu ! Les trois couleurs jaune, vert et rouge sont celles du drapeau de notre pays, nous y avons rajouté la fleur oiseau en signe de liberté.
  • Comment votre tyran a-t-il pris le pouvoir ?
  • Simplement par les urnes. Il y a une dizaine d’années, il a profité d’une crise à la fois démocratique et économique pour se présenter comme l’homme de la situation qui redresserait la nation et rendrait le pouvoir au peuple. Jouant de l'outrance, il a attisé la haine des étrangers avec des discours xénophobes ainsi que celle de certaines catégories de la population en les faisant apparaître comme des profiteurs participant à un grand complot mondial.
  • C’est un scénario malheureusement classique, intervins-je.

Me souvenant de notre propre histoire ainsi que de celles de bien des nations tombées sous le joug de la dictature, je pensais que c’était un éternel recommencement et que l’on ne serait jamais à l’abri de cet ignoble serpent endormi.

  • Et donc, une fois au pouvoir, il a fait en sorte de se l’accaparer totalement, continuai-je.
  • Et oui, d’abord tout doucement avec de vraies allures de petit père du peuple, puis de plus en plus ouvertement jusqu’à museler la liberté d’expression, la justice et l’éducation. En parallèle, il a contrôlé l’église en y plaçant des hommes liges qui relayaient ses volontés.
  • Et il s’est même mis en tête de contrôler le corps des femmes, rugit Aliss. Il ne voyait en nous que des génitrices potentielles dont le seul intérêt était de produire de la chair à canon ! Mais le Bçomiènnes sont fortes et malgré une répression féroce, nous n’avons pas cédé.
  • Après avoir proclamé un parti unique et obligé les enfants à s’enrôler dans des mouvements de jeunesse, reprit Drageon, il a lancé une véritable vendetta contre tous ceux qui lui résistaient. Mais maintenant il est allé trop loin et nous préférons mourir que de le laisser continuer de nous asservir.

Je fus alors conscient de participer à un événement historique et la conviction de ces deux jeunes me fit penser qu’ils pourraient bouleverser leur monde. Quelque part, je les enviai.

Soudain Azart nous avertit.

  • La frontière est devant nous, nous y serons dans cinq minutes. Malheureusement, nous n’avons pas rattrapé les deux fugitifs.
  • Les douaniers pourront nous renseigner, intervint Sour.
  • Sans aucun doute. Mais s’ils ont franchi la frontière je ne pourrais pas vous accompagner en Bçome, nous informa le sergent.
  • Nous le saurons sous peu, conclus-je.

Nous approchant de la douane, nous vîmes tout de suite que si de ce côté de la frontière les fonctionnaires étaient au travail, de l’autre, le poste de douane avait été désertés. Par ailleurs, à l’horizon, nous pûmes apercevoir de longues colonnes de fumée monter dans le ciel. Nous en déduisîmes que l’insurrection battait encore son plein.

Notre conducteur stoppa la voiture devant l’octroi. Nous remarquâmes immédiatement que le sol était jonché d’éclats de bois. Un fonctionnaire, visiblement perturbé, vint à notre rencontre. Après que Azart lui eut montré ses papiers et expliqué notre présence, il s’écria :

  • Ce sont donc, très sûrement, vos deux gaillards qui viennent de franchir la frontière à grande vitesse et en pulvérisant notre barrière. Ils sont passés, il n’y a pas cinq minutes. Heureusement que personne n’était sur la route car je suis sûr qu’ils l’auraient renversée. On aurait dit qu’ils avaient le diable aux trousses.
  • Ce n’était pas au diable, mais à nous-mêmes, et à la justice, auxquels ils cherchaient à échapper, lui répondit Drageon.
  • Puisqu’on parle de lui, reprit Azart, tout excité, et que visiblement c’est le bordel de l’autre côté, alors au diable les conventions internationales. En voiture tout le monde, on va se les faire ces monstres !

Aussitôt dit, aussitôt fait, nous laissâmes la frontière derrière nous, ainsi que des douaniers ébahis.

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