6.6 - Au cœur de la fournaise.

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Après le passage de la frontière, le paysage autour de nous changea totalement. Le désert aride d’Expésiad laissa la place à de douces collines verdoyantes parcourues d’aimables cours d’eau. Le paysage aurait pu paraitre idyllique si, ici ou là, de sombres volutes ne se détachaient pas de bâtiments en feu.

La route était quasiment déserte, mais quelques véhicules calcinés témoignaient de la violence des événements qui avaient dû s'y dérouler. Dans certains d’entre eux des silhouettes charbonneuses indiquaient que leurs occupants n’avaient pas eu le temps de réagir en voyant arriver la mort.

Drageon et Alice observaient chacune des preuves de la lutte avec angoisse. Mais leur attention se portait surtout sur les nuées angoissantes qui montaient probablement de la cité de Tanans que nous ne voyons pas encore.

Ce n’est qu’après une bonne heure de trajet, et en haut d’une colline, que nous pûmes enfin apercevoir la ville.

Le spectacle qui se présenta à nous était tout à fait extraordinaire. Les brasiers qui couvraient la ville s’étendaient sur des espaces modérés, mais leurs flammes s’élevaient très haut dans le ciel. La cité était constituée de très imposants cylindres de couleurs pastel et de plusieurs dizaines d’étages. Les bâtiments séparés par de grands espaces étaient reliés les uns aux autres, sur plusieurs niveaux, par de larges passerelles. Les immeubles centraux étaient les plus hauts, l’élévation des autres diminuait progressivement alors qu’ils s’écartaient du cœur de la ville.

Malheureusement, et comme nous pouvions nous y attendre, cette admirable harmonie était brisée par les traces des émeutes. D'imposantes langues de feu léchaient les façades de nombreux édifices en bénéficiant de leur verticalité. Les passerelles intermédiaires avaient permis à l’incendie de sauter d’un bâtiment à l’autre sans difficultés et des moignons calcinés attestaient que certaines s’étaient déjà écroulées.

Nos deux amis étaient atterrés. Blancs comme neige, ils ne pouvaient prononcer le moindre mot, mais leurs attitudes trahissaient leurs angoisses profondes.

Nous étions sur le point d’entrer dans la commune lorsque Azart s’écria :

  • Les voici, nous les tenons !

Effectivement, une centaine de mètres devant nous, le fourgon des assassins avançait péniblement au milieu des premiers gravats dégringolés des constructions éventrées.

Bien que leur avance soit ralentie par les nombreux obstacles, je pensai que notre ami Azart avait été bien optimiste d’annoncer que nous les attraperions. L’expérience nous avait démontré qu’ils avaient plus d’un tour dans leur sac et de plus, je craignais qu’ils connaissent bien les lieux et y trouvent une planque sûre. Mais voyant que cette nouvelle avait redonné du baume au cœur de mes compagnons, je pris le parti d’y croire moi aussi.

Nous vîmes alors que la rue principale qui aurait dû nous permettre d’accéder au cœur de ville était verrouillée par une imposante barricade sur laquelle flottaient plusieurs drapeaux au Strelizia. Pour ce que nous pouvions en voir une vingtaine de jeunes tenaient ce barrage.

Nos fugitifs, ayant constaté qu’ils n’avaient aucune chance de passer, se jetèrent dans la première rue qu’ils rencontrèrent sur leur droite.

  • Ils filent vers l’université, nous dit Aliss. Ils n’ont aucun moyen pour s’en sortir. Elle est tenue par les étudiants !
  • Tu as raison, ils se sont jetés dans la gueule du loup, confirma Drageon.

Les décombres devenant de plus en plus denses, bientôt il ne fut plus possible aux voitures d’avancer. Les deux criminels abandonnèrent donc leur engin et se mirent à courir vers le bâtiment le plus proche.

À notre tour, nous mîmes pied à terre et nous lançâmes à leur poursuite. À quelques pas, une autre barricade était gardée par de jeunes révolutionnaires au brassard jaune, vert et rouge.

Drageon se précipita à leur rencontre. Rapidement il leur expliqua la situation et aussitôt une douzaine de jeunes se joignit à notre poursuite. Il en vint ensuite de toutes parts et, cette fois, il devint évident que les deux lascars n’avaient aucune chance de nous échapper.

À leur suite, nous entrâmes dans le bâtiment qui avait été épargné par les flammes.

  • Nous sommes dans la bibliothèque, dit une étudiante qui nous avait rejoint. C’est un vrai labyrinthe construit sur quatre niveaux avec de très nombreux couloirs.
  • Alors, il nous faut nous organiser de façon méthodique, intervint Sour.
  • Oui, acquiesça Azart, nous allons la ratisser en avançant en parallèle chacun d’entre nous couvre une allée. En avant et au pas de course !

Les gars ne pouvaient être que devant nous, mais nous avions l’avantage d’avoir avec nous des universitaires qui connaissaient parfaitement les lieux.

Nous ne pouvions malheureusement pas nous guider aux sons qu’ils ne manquaient probablement pas de produire, car de part et d’autre des immeubles brulaient et de sinistres bruits d’effondrements occupaient l’espace sonore.

L'exploration du premier niveau ne donna rien. Ils devaient déjà être montés aux étages supérieurs.

Après un très rapide débrief, il fut convenu que deux équipes passeraient au peigne fin les niveaux deux et trois alors que notre équipe de six, complétée par quelques étudiants, monteraient immédiatement au quatrième étage où nous étions persuadés qu’ils s'étaient directemet rendus.

Nous gravîmes donc les trois niveaux d’un seul élan. Arrivé au sommet, j’aperçu le roux qui empruntait une passerelle pour rejoindre un autre bâtiment. Pour couvrir sa fuite, il avait renversé quelques étagères de livres et avait vainement essayé d’y mettre le feu. Notre course fut néanmoins ralentie par l’amas de bouquins dans lequel nous nous prenions les pieds.

J’arrivai le premier sur le franchissement, immédiatement suivi de Télémaque. Arrivés à l’autre extrémité, je trouvai la porte close. Sans hésiter un instant mon compagnon fonçât directement sur l’huis, épaule en avant. Et miracle ! Le battant s’ouvrit.

Nous pûmes reprendre la poursuite. Je remarquai néanmoins que Télémaque avait tendance à se frotter l’omoplate.

Contrairement à la bibliothèque, le bâtiment où nous nous trouvions était totalement enfumé. D’évidence il était déjà en bonne partie en proie aux flammes. Les escaliers, que nous avions devant nous, nous firent prendre conscience que nous étions dans un amphithéâtre assez vaste. L’atmosphère y était presque irrespirable et le crépitement du brasier quasiment insupportable. Néanmoins à travers la fumée je pus apercevoir nos deux lascars qui avaient atteint le bas de l’auditorium et enfilèrent une nouvelle porte.

À ce moment je reçus un message de Sour.

  • Le passage est coupé, m’avertit-il. Nous ne pouvons vous rejoindre. Les gradins sont en feu et peuvent s’écrouler à tout moment. Sortez immédiatement laissez tomber la poursuite, évacuez, vite !
  • Nous y sommes presque, lui répondis-je. Les deux ne vont pas tarder à sortir, cueillez-les, ne les laissez pas s’échapper de nouveau.

A l’instant où nous atteignons le cœur de l’aula, un énorme bruit se fit entendre et nous vîmes, tels des dominos, les gradins s’effondrer les uns après les autres tout autour de nous.

La sortie nous était coupée. Nous n’avions plus aucune chance de sortir vivant de ce brasier qui se rapprochait avidement de nous. J’eu à ce moment le sentiment que mon voyage s’arrêterait là et que jamais je n’aurais l’occasion de le raconter.

  • C’est bon, nous les tenons, m’informa Sour. Mais vous, où êtes-vous ?

Je ne répondis pas tout de suite car, renonçant à trouver une issue, mon cœur s’emballait. Mais au lieu de voir la faucheuse venir me cueillir, me retournant, je constatai que Télémaque gardait un calme parfait et que son visage était empreint d’une sérénité certaine.

  • Harold, Harold, où êtes-vous ? Réponds-moi, insista Sour.

Observant mon ami qui fouillait dans sa poche, je compris soudain et répondis au major :

  • Ne t’inquiète pas pour nous mon cher Sour, nous ne nous reverrons plus, mais rassure toi, il ne nous arrivera rien de fâcheux. Cela fut un très grand plaisir pour moi de te rencontrer et d’avoir connu ta magnifique famille. Tu les embrasseras tous les trois de ma part en rentrant à Eilifuis. J’ai aussi été très heureux d’avoir mené cette aventure en ta compagnie et en celle de notre ami Azart. Tu le salueras et le remercieras chaleureusement. Un grand bonjour aussi à ton neveu, Drageon, Aliss et la commissaire Esteldu. J’ai beaucoup appris avec vous tous. Je vous en remercie. Adieu mon ami.

Et aussitôt je sombrai dans un trou noir.

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