Le chancelier - 2

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La servante brune entendit un bruissement des vêtements et un tintement de coupes qu’on repose. Elle comprit que la conversation touchait à sa fin et s’écarta vivement de l’huis derrière lequel elle se dissimulait. Elle se rendit rapidement par le passage des domestiques aux appartements de la jeune duchesse.

– Ô Dieu, fit Elaine toute pâle quand la servante lui eut tout raconté. Il me faut fuir, Manon !

La jeune femme était encore devant sa tablette et son écritoire. A qui diable pouvait-elle envoyer tant de lettres, se demandait la servante ? Elle lui paraissait fragile comme une poupée, dans sa robe d’un gris presque argenté, avec son visage constellé de taches de rousseur que l’enfance semblait n’avoir jamais vraiment déserté.

– Fuir, ma dame ? Il me semble que la situation n’est pas si désespérée.

– Tu ne le connais pas ! S’il ne pouvait obtenir son annulation, il serait capable de me tuer !

– Je ne le connais pas, croyez-vous ?

Dans l’esprit de Manon flottait encore ce visage rieur encadré d’un feu follet de cheveux blonds, rayonnant d’une fausse innocence, qui disait : « Fougueuse Manon ! »

– Il a tué mon seigneur, avez-vous oublié ? Je sais bien de quoi il est capable. Mais vous avez mieux à faire que fuir. Vous pouvez retourner cette situation à votre avantage…

Elle s’interrompit, son regard se fit rêveur. Elle songea qu’il y avait là une bonne opportunité de se venger de Victor. Mais Elaine serait-elle suffisamment forte ?

– Comment ? demanda anxieusement Elaine comme le silence de Manon se prolongeait.

– Laissez les loups se manger entre eux. Dame Jehanne peut vous débarrasser de votre mari. Surtout si elle a votre aide au sein du château…

Le regard d’Elaine était plein de détresse et d’incompréhension. Pauvre innocente, qui ne sait rien de la conspiration, songea Manon ! Comme elle était différente de son ancienne maîtresse !

– Laissez-moi vous guider, ma dame. Laissez-moi vous servir comme j’ai servi autrefois dame Isabeau…

***

Stéphane s’absorbait pour la centième fois dans la contemplation d’une fissure dans les poutres du plafond. Il y voyait de temps en temps des insectes s’y engouffrer et songeait que la poutre finirait par être tout à fait rongée de l’intérieur. Mais cela prendrait du temps. Comme il prenait un temps infini à ses blessures à le ronger lui. Comme il est long de mourir. Aubin aussi était resté ainsi, au lendemain de son amputation, hésitant entre la vie et la mort, laissé seul ainsi que l’avait ordonné Stéphane. Qui pouvait savoir ce qui avait alors traversé l’esprit de cet être bizarre ? Stéphane et lui étaient si différents. Mais de tous les supplices qu’il avait infligés à son frère, cette solitude extrême dans l’agonie était peut-être la pire.

Au moment où il songeait cela, la porte s’ouvrit et Hersande apparut. Stéphane connut un bref instant de lumière. Puis l’air glacé de son épouse le fit déchanter presque aussitôt.

– Le père Simon m’a affirmé que vous étiez sauvé.

Il ne semblait pas à son ton de voix que cela fût une bonne nouvelle.

– Comment vous sentez-vous ?

Stéphane hocha la tête en réponse, la gorge provisoirement nouée.

– C’est bien. J’ai prié pour votre rétablissement, et le Ciel m’a entendue. J’aurais été navrée de perdre mon époux… de si vile manière.

Ses mots étaient perçants comme des pointes. Avec effort, Stéphane fit une tentative.

– Oui, elle… elle ne s’est pas battue loyalement.

– Pas loyalement…

Les beaux yeux de Hersande s’étrécirent.

– Est-ce ainsi que vous vous excusez de votre défaite ?

Le cœur de Stéphane se tordit.

– Ma mie, avez-vous perdu toute considération pour moi ?

– Comment n’avez-vous pas su vaincre votre sœur, affaiblie et mutilée ? Je vous ai cru homme. Me suis-je donc tout à fait trompée ?

« Hersande n’aime pas les faibles, et je m’en souviens trop tard » pensa Stéphane avec accablement. « Pourtant, elle est mon épouse. » Ils avaient partagé bien des vicissitudes et de tendres nuits. Elle pouvait alors se montrer si passionnée. Était-ce vraiment la même femme qui se dressait à présent devant lui, trop loin pour qu’il puisse même la toucher, irradiant de mépris ? Il avait dû rêver ce sanglot qu’il avait entendu au moment de s’effondrer.

– Savez-vous, poursuivit Hersande impitoyablement, qu’on m’a refusé au début le droit de vous voir ?

« C’était peut-être bien pour m’épargner », songea Stéphane.

– Il semble à présent que tout le château obéisse à votre sœur. Ce n’est qu’à l’intervention d’Aubin… d’Aubin, vous rendez-vous compte ?… que j’ai pu obtenir ce droit de visite. Votre porte est gardée par Gontran. Il semble à présent ne répondre plus qu’aux ordres de votre frère.

Pourtant, se rappelait Stéphane, Gontran était celui à qui on avait ordonné d’exécuter le châtiment d’Aubin. Se pouvait-il que ce fut de là même que sa loyauté s’était retournée ?

Hersande s’approcha, finit enfin par s’agenouiller au chevet de Stéphane. Pourtant son attitude restait rigide et il s’aperçut en écarquillant les yeux qu’elle fouillait sous sa robe. Tout en parlant, elle tira de sous ses jupons quelque objet qu’elle dissimula aussitôt sous sa couche. Le cœur de Stéphane s’accéléra. « Peut-être ne m’a-t-elle pas tout à fait abandonné. »

– Sachez me prouver que vous êtes encore un homme, souffla-t-elle avant de se lever et de quitter la pièce sans un regard en arrière.

Stéphane attendit plusieurs minutes après son départ avant de plonger la main sous sa paillasse. Il trouva un petit paquet contenant une corde, un couteau et un message.

« Prenez garde à la timbale qu’on vous servira : entre le pied et le réceptacle vous trouverez messages. Tâchez de desceller vos vitraux. Sous votre fenêtre est celle d’une salle de garde où vous trouverez des amis. »

Stéphane grimaça un sourire. L’évasion. Dans son état ? Sa jambe ne lui permettait même pas encore de se lever. Mais peut-être avait-il le temps. Jehanne ne comptait pas le faire mourir, sans quoi il y a longtemps qu’il aurait cessé de respirer. Toutes ses forces étaient concentrées à chercher sa fille, elle ne se préoccupait guère de son sort pour le moment. Il regarda autour de lui, observant la chambre où il était emprisonné. Un décor simple, un petit âtre, une paillasse contre un mur, une escabelle. Aucun objet coupant ou lourd, et le vigilant Gontran à sa porte. Il tourna son regard vers la fenêtre. Elle est fermée par des vitraux incolores fixés entre des tiges de fer. L’ouverture était assez grande pour que, une fois ces vitraux ôtés, il puisse s’y glisser. Saurait-il ensuite descendre la muraille jusqu’à la salle de garde ? Mais où accrocher la corde ? Où pourrait-il ensuite trouver refuge ? Il se mit à rêver à sa fuite. En lui l’espoir renaissait. Peut-être vivrait-il finalement ?

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