Les rescapées - 3

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Quelques instants plus tard, dans la grande salle, Victor faisait face à son hôte. Celui-ci, accompagné de son écuyer, était entouré de deux hommes d’armes auxquels il jetait de fréquents coups d’œil comme s’il se demandait s’il était prisonnier. Il était pâle et un peu haletant ; la sueur faisait briller son front malgré le froid hivernal. Le voyage l’avait éreinté alors qu’il n’était pas encore complètement remis de sa blessure.

– Stéphane de Beljour. Je ne m’attendais pas à recevoir l’honneur de votre visite.

– Sire de Galefeuille. Puis-je vous parler en privé ? lui répondit-on d’un air crispé.

– Vous pouvez certainement parler ici. Nous sommes entre gens de confiance.

Il ne proposa pas à son hôte de se restaurer ni même de s’asseoir, quoiqu’il fût évident qu’il en avait grand besoin. Stéphane balaya du regard les personnes en présence comme une biche aux abois. En sus des hommes d’armes qui l’entouraient et de Victor, étaient présents Eric d’Orge et Edouard de Pondor, le chancelier. Victor l’encouragea :

– Je doute que vous me soyez envoyé par votre sœur, sire Stéphane. Dois-je en conclure que vous lui avez faussé compagnie ?

– Jehanne me retenait prisonnier… mais je me suis évadé.

Eric ricana, mais se tut rapidement devant le regard d’autorité de son maître. S’évader pour se jeter entre les bras de Victor ! L’homme était-il plus stupide qu’on l’affirmait ? Comme piqué par l’attitude de l’écuyer, Stéphane se redressa.

– Je me suis enfui de Beljour comme un voleur, mais cette demeure est mienne. Je suis venu vous proposer un marché, sire Victor.

– Je vous écoute, répondit placidement le duc.

– Je connais Beljour, la moindre de ses défenses et de ses faiblesses. Je connais aussi ma sœur. Je puis vous livrer l’un et l’autre.

– Et en échange ?

– Rendez-moi la couronne comtale à laquelle j’ai droit. Je vous jurerai allégeance. Je serai votre vassal.

Victor laissa passer une seconde, pour le suspense. Puis il lâcha :

– Je vois.

Il coula un regard significatif aux hommes qui entouraient Stéphane. Ceux-ci se rapprochèrent du jeune homme.

– Je ne sais si vous êtes vraiment stupide ou si vous espériez me tendre un piège, Stéphane de Beljour. Je penche pour le premier, vous connaissant. Dame Jehanne doit s’inquiéter de votre disparition, elle sera heureuse de vous savoir en sécurité dans ces murs. Gardes, serrez-le en geôle et enchaînez-le bien, qu’il ne s’évade pas une fois encore. Mettez l’écuyer dans une cellule séparée.

Victor ne se soucia guère des imprécations, supplications et promesses que tâchait encore de clamer Stéphane tandis qu’on l’emmenait. Il exultait. La Providence lui envoyait enfin un signe, et il avait un nouvel atout face à Jehanne.

***

– C’est vraiment important, Jehanne.

– Aubin, tu n’aurais même pas dû aller voir Camille. Je n’ai pas pensé à te l’interdire, mais tu aurais dû t’en douter.

– Tu ne peux pas la garder enfermée pour toujours. Elle a scrupuleusement respecté tes consignes jusqu’à présent, et est restée cloîtrée, quoique sa porte ne soit pas verrouillée.

– Et tu viens me convaincre de la libérer.

– Non pas. Seulement de l’écouter.

Jehanne soupira. Dans le fond, elle ne pensait pas Camille capable d’une traîtrise quelconque.

– Allons, finissons-en, dit-elle en se levant.

Ils trouvèrent Camille fortement émue, mais digne. Elle fit un profond salut à Jehanne. Ses lèvres tremblaient légèrement mais son regard ne vacilla pas quand il croisa celui de la comtesse.

– Ma dame, je viens vous implorer miséricorde. Non pour moi, mais pour dame Hersande.

Jehanne eut un mouvement de colère. Camille ajouta avec précipitation :

– Dame Hersande vous a fait du tort, je le sais ; mais l’enfant qu’elle porte est innocent.

L’ire de Jehanne retomba pour laisser place à la surprise.

– Il périra à coup sûr, dame, si vous laissez ainsi dame Hersande exposée à ce froid mortel. Je vous en prie… soyez bonne chrétienne…

Jehanne eut un rictus.

– Mon cher frère sait-il ?

– Je ne le pense pas, dame. La grossesse est récente et dame Hersande a souventes fois perdu son fruit. Aussi attendait-elle d’être grosse d’au moins trois mois avant de l’annoncer… c’est bientôt le cas.

Ainsi donc Stéphane allait être père ! Cette naïve Camille avait-elle seulement songé que cela n’arrangeait guère les affaires de Jehanne et qu’elle eut tout intérêt à ce que Hersande perde l’enfant ? Au moment où cette pensée faisait surface, Jehanne fut prise d’une sorte de vertige. Était-ce bien elle qui réfléchissait de la sorte ? Elle songea à sa précieuse Amelina, battant le pays pour fuir l’ambition d’un homme. Était-elle donc devenue pareille à ses ennemis ? Elle croisa le regard de son jeune frère. Camille avait dû tout lui dire sans doute avant d’avertir Jehanne. Aubin n’avait rien d’un ingénu, et il connaissait le cœur de sa sœur, aussi dur tentait-elle de le rendre. Sans doute, si Hersande avait fait une fausse couche, Jehanne aurait pu affirmer avec vérité tout ignorer ; mais maintenant qu’elle savait, pouvait-elle laisser la femme et l’enfant périr ? Pouvait-elle étouffer si aisément la voix de sa conscience ?

La réponse était évidente. Jehanne capitula.

– Soit, Camille. Hersande sera soignée. Mais elle restera étroitement cloîtrée néanmoins.

Le visage de la jeune fille s’éclaira, et ses prunelles vertes jetèrent une sorte de rayon.

– Ma dame, soyez louée ! Vous êtes bonne.

– Tu peux sortir désormais. Mais les contacts avec Hersande te sont interdits, comme à tous. Si tu m’es fidèle, tu en seras récompensée.

Camille se répandit en remerciements, et Jehanne quitta rapidement les lieux pour couper court aux effusions.

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