Trois soldats - 3

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Vlà MehdiEval qui se prend pour Ana F. et s'adresse à son lectorat avant le début du chapitre. Oui mais bon, je préfère prévenir. Ce chapitre est violent. J'ai beaucoup hésité avant de le publier. Les parties précédentes n'étaient déjà pas super jouasses, me direz-vous. Mais je pense nécessaire de mettre un petit trigger warning sur celle-ci. Bonne lecture tout de même si vous persévérez, sinon allez lire Ana F... ah non euh... allez lire J. Atarashi... hum... on a les lecteurs et lectrices qu'on mérite en fait ?? Allez lire Thomas Rollini voilà lui c'est un gentil :D

Armand ne se souciait que de semer ses poursuivants. Il avait dû se résoudre à dormir au milieu du bois avec la petite, les recouvrant tous deux de sa couverture qui ne les protégeait guère de l’humidité de la nuit. Il avait eu l’intention de veiller. Mais lorsqu’il rouvrit les yeux, les cils pleins de rosée, il s’aperçut que le ciel s’éclaircissait déjà derrière la dentelle des frondaisons. Il s’assit d’un bond, le regard encore flou, quêtant du bras la présence de l’enfant. Il ne trouva rien. Son cœur rata un battement. Il regarda frénétiquement autour de lui, mais la fillette n’était visible nulle part.

– Amelina !

Elle devait être partir faire ses besoins sans doute, se persuada-t-il, à quelques mètres de lui. Il n’osa pas répéter son appel, de peur d’alerter les mauvaises personnes. Il se leva d’un bond et se mit à fouiller les fourrés ; à mesure que ses recherches s’avérèrent vaines, il renonça à toute discrétion et réitéra son appel, de plus en plus fort.

– Amelina ! Je t’en prie ! Amelina !

Il courut en remontant le chemin, laissant tout derrière lui à l’exception de son épée. Il avait presque rejoint l’orée du bois lorsqu’il tomba nez à nez avec ses poursuivants. Ses cris les avaient bel et bien avertis. Le plus jeune des deux tenait une arbalète bandée qui n’attendait plus qu’un geste pour relâcher son projectile.

– Le voilà !

Le sang battait aux oreilles du jeune chevalier de façon presque assourdissante. Il se retourna dans un mouvement pour fuir, mais ne fut pas assez rapide. Il y eut une vibration sèche. Armand eut un hoquet, tituba, bascula vers l’avant. En attendant la fin de ce mouvement, les soldats regardaient autour d’eux. Quand le malheureux fut à terre, le sang jaillit de sa bouche. Le carreau l’avait touché de dos et lui avait transpercé la poitrine.

– Où est la gamine ?

Cherchant son souffle à travers le sang, le jeune homme ne répondait point. Celui qui avait parlé dit à son acolyte :

– Cherche-la.

Puis il se pencha vers l’agonisant et le saisissant par l’agrafe de son vêtement, le retourna vers lui :

– Où est la gamine ? Je t’arrache le carreau à mains nues si tu ne me réponds pas.

Armand secoua la tête avec désespoir. Il parvint à dire dans un souffle sans timbre :

– J… je ne sais pas.

– Il doit dire vrai, intervint le second soldat. Il gueulait son nom tout à l’heure, c’est qu’il l’a perdue.

– T’es pas parti, toi ? rugit le premier. Elle ne doit pas être loin ! Va la chercher !

L’arbalétrier partit précipitamment, tandis que son collègue continua de houspiller Armand.

– Allez, si tu réponds à mes questions, j’irai chercher un médecin pour toi. Tu l’as perdue ? Il y a combien de temps ?

Le jeune chevalier déglutit, inspira, murmura :

– Ma dame Jehanne… elle vous tuera.

– La peste soit du corniaud ! gronda l’homme en frappant son supplicié à toute volée sur l’oreille.

La douleur vibra dans tout le corps d’Armand ; la lumière s’étrécit jusqu’à s’éteindre. Les yeux du malheureux roulèrent dans leurs orbites et son corps retomba comme une poupée de chiffon dans la poigne de son interrogateur. Celui-ci poussa un soupir exaspéré et le rejeta avec fureur dans la végétation. Avisant l’épée abandonnée de sa victime, il s’en saisit et s’éloigna à la recherche de son comparse. Lentement, le sang du jeune homme inerte vint ruisseler sur l’humus en longs sillons sombres et la terre humide l’absorba.

***

Guillard les firent cheminer sans relâche depuis le Mont et ils ne s’arrêtèrent qu’au crépuscule. Ils se trouvaient alors dans un paysage de talus où il ne semblait y avoir âme qui vive à des lieues à la ronde. Le sergent décréta qu’ils camperaient à la belle étoile, sans faire de feu, l’air étant doux. Ils engloutirent une miche de pain avec quelques tranches de jambon et quelques rasades de vin clair. Alain fut envoyé nourrir le captif, avec instruction de lui détacher qu’une main et de le garder sous haute vigilance ; Guillard comptait sur son ressentiment pour remplir sa tâche de surveillance avec le plus grand zèle. Tandis qu’il mastiquait avec lenteur, Daniel ne leva pas une seule fois le regard vers son jeune geôlier, peut-être parce qu’un de ses yeux disparaissait presque sous le sourcil en charpie. Le long de son cou, Alain voyait le sang de son oreille sécher en sillons noirâtres. Certes, il n’était guère impressionnant ainsi et Alain était proche de cesser d’avoir peur de lui. Le fait est qu’il devait remâcher la mort de son père pour retenir un mouvement de pitié.

Fablon fut le premier désigné au rôle de veilleur ; mais bien vite – plus rapidement, semblait-il, que la fin de son créneau, il alla secoua Alain pour qu’il le relaie. Sans attendre que celui-ci ait pris sa position, il s’enroula dans sa cape avec un bruyant bâillement et après quelques mouvements, adopta l’immobilité et la lente respiration du sommeil. Guillard était étendu de son côté et Alain resta seul éveillé, assis en tailleur face à son prisonnier.

Daniel était épuisé, lui aussi, mais le sang qui battait douloureusement dans ses blessures et l’inconfort de sa position l’empêchèrent de s’endormir tout à fait ; peu après Fablon, il sombra dans une somnolence inquiète. A peine quelques minutes plus tard, des protestations étouffées l’en tirèrent. Entrouvrant les yeux, il vit la silhouette massive de Guillard penchée sur celle du jeune garçon ; il le tirait par le bras et Alain se débattait, sans oser crier.

– Allons, ne fais pas ta garce, grogna le sergent. Ne t’inquiète pas pour le prisonnier, nous n’en avons que pour un moment.

Il l’entraîna en amont de la colline et ils disparurent derrière la rangée de buissons. Bientôt, Daniel perçut des sons qui le firent tout à fait émerger. Il écarquilla les yeux, cherchant à mieux percer les ténèbres, mais il ne distinguait que Fablon plongé encore dans un profond sommeil. Son cœur se mit à battre ; ce qui se passait au-delà des buissons n’était que trop clair et il était impuissant.

– Fablon ! cria-t-il. Fablon !

Il s’évertua de la sorte de longues secondes, jusqu’à ce que le dormeur remue enfin. Avec effort – beaucoup trop lentement au goût de Daniel –, il se hissa sur les coudes et posa un regard brumeux et contrarié sur le prisonnier.

– Quel est ce tapage ? grogna-t-il. On devrait te bâillonner !

– Alain ! Guillard, il… va l’arrêter !

– Quoi ?

Le soldat posa les yeux autour de lui, cherchant ses compagnons. Les sons étouffés parvinrent jusqu’à lui et son expression changea.

– Qu’attends-tu ? cria Daniel.

Fablon se leva, mais l’indécision le paralysa une fois debout. Il se rassit, détournant son visage avec vergogne. La fureur de Daniel ne connut plus de mesure lorsqu’il comprit qu’il ne ferait rien.

– Lâche ! Tu te rends complice de Guillard !

– Je n’ai pas de leçon à recevoir d’un assassin, répliqua sourdement le soldat.

– Eh bien, pourquoi tant de cris ? claironna la voix satisfaite de Guillard.

Derrière lui apparut la silhouette frêle de l’adolescent. Il avait le visage baissé, mais la lune illuminait des traînées de larmes sur ses joues. Comme sentant l’intensité du regard de Daniel sur lui, il releva brièvement la tête et tressaillit en croisant sa prunelle qui reflétait la lumière comme celle d’un loup.

– Ne me regarde pas comme ça, sorcier ! Je n’ai pas besoin de ta pitié !

***

La journée suivante avait été chaude et pénible. L’immobilité à laquelle le prisonnier était contraint commençait à lui faire souffrir le martyr : ses muscles s’ankylosaient et dès qu’il essayait de les détendre, un régiment de termites couraient dans ses membres avec le retour du sang. Le frottement continu des cordes avaient fini par taillader sa chair et leur irritation ne cessait jamais. Dès qu’on le déliait pour qu’il puisse satisfaire ses besoins, ses jambes le trahissaient dans sa marche comme celles d’un agneau à peine né. Pourtant, sa propre détresse lui paraissait dorénavant moins importante. Alain évitait son regard et Daniel avait honte. L’idée tournait dans sa tête que c’était sa faute si l’adolescent était sans défenseur et qu’il avait sans doute bien raison de le haïr.

Malgré la chaleur, Guillard contraignait le convoi à un rythme rapide et ils ne faisaient que de brèves haltes, principalement pour la mule qui tirait la charrette et commençait à pendre la langue. A la fin de la journée, Daniel reconnut brusquement l’étendue champêtre qui les entourait : ils étaient passés par cette route au retour de Mons-en-Pévèle avec Vivian. Autremont approchait – mais auparavant, ils allaient passer, sans doute sans que les soldats le réalisent, par son ancien fief : la terre de Mourjevoic.

Le soir, ils firent encore halte au milieu des champs : Guillard ne semblait pas soucieux de s’exposer dans les villages avec son prisonnier en quémandant asile.

Quand vint le tour de garde d’Alain, au lieu de s’asseoir en face de la charrette à quelque distance, il s’assit contre elle. Il tournait pratiquement le dos à Daniel de la sorte, mais celui-ci était surpris qu’il se fut approché si près. Espérait-il que la proximité du prisonnier allait dissuader son bourreau ? Il n’en fut rien. La silhouette massive du sergent se détacha sur la nuit et se rapprocha du garçon, la main tendue. Celui-ci se rencogna contre le bois mais n’échappa pas à son emprise. Cette fois Daniel fut plus rapide à réagir.

– Laisse-le !

– Sinon quoi ? fit Guillard d’un ton moqueur. Allons, viens, toi.

Daniel était pris dans ses liens, mais il se rappela soudain Sara, son aura, la façon dont elle pouvait inspirer la terreur sans toucher ses adversaires. Le mot de « sorcier » qu’Alain avait craché avait fait son chemin depuis la nuit dernière.

– Sorcier, je suis ! clama-t-il tout fort. Eh bien, par le sang de ma mère, je te maudis, Guillard, si tu touches encore à cet enfant ! Que la maladie te ronge le corps, que ta chair tombe en lambeaux !

Daniel irradiait de fureur ; sa voix avait porté loin. Sur sa couche, Fablon s’était redressé sur un coude. Un instant, le prisonnier crut qu’il avait gagné. Guillard hésitait. Il lâcha Alain et s’empara d’un morceau de tissu pour se rapprocher de Daniel. Avec brutalité, il l’appliqua sur son visage pour le bâillonner.

– Tu n’es pas plus sorcier que moi je suis juif, mais tu parles trop ! Voilà qui devrait te faire taire !

Puis il reporta de nouveau son attention sur Alain. Pour une raison incompréhensible à Daniel, il n’en avait pas profité pour s’enfuir.

Fablon émit une faible protestation :

– Peut-être que tu ne devrais pas, Guillard.

– Tu accordes trop de crédit à cet imposteur ! Retourne ronfler, c’est ce que tu fais de mieux !

Cette nuit-là, comme la précédente, Daniel but tout le calice amer de son impuissance.

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