La fin de la chasse - 2

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Cyrille avait scrupuleusement suivi les directives du chancelier et embauché, en sus de la vingtaine d’hommes qui composaient la troupe dont il était capitaine, onze volontaires, villageois ou laboureurs manifestement pleins d’envie d’en découdre et appâtés par la solde inespérée qu’on leur promettait. Il n’en avait pas recruté davantage, estimant dangereux de prendre un trop grand nombre d’hommes inexpérimentés à la discipline militaire, voire décidés à n’en faire qu’à leur tête. Mieux valait que ses propres hommes, sur qui il savait pouvoir compter, soient plus nombreux : les nouvelles recrues n’auraient qu’à les imiter. C’était donc à la tête d’une trentaine d’hommes bien armés qu’il s’était porté à la rencontre de leur indicateur : un adolescent qui affirmait pouvoir mener les justiciers jusqu’à la cache des gaudins – contre récompense, bien sûr.

— Bien sûr, grogna Cyrille en songeant que le garçon eut bien dû les aider gratuitement, puisqu’ils se proposaient de libérer sa contrée d’une menace. Tu auras huit sols dès que nous serons devant la cache.

— Peuh ! fit le garçon. Que voulez-vous que je fasse avec de l’argent ? Nous ne vivons que par troc par ici, vous savez ? Donnez-moi un objet qui vaille quelque chose.

Voilà qui était presque plus facile, songea le capitaine décidé à s’accomoder de la vénalité de son interlocuteur. Il lui importait de réussir cette mission. Si Edouard était content de lui, peut-être deviendrait-il chef de la garnison d’Autremont, une place sans risque et bien rémunérée – il n’aurait plus à s’en faire ni pour lui ni pour sa famille. Il détacha de son fatras guerrier une petite corne d’appel dans son étui et la tendit à son jeune informateur.

— Que penses-tu de ceci ? C’est de la bonne fabrique. L’étui est de bon cuir.

L’adolescent prit l’objet, le retourna, le dégaina, en admira longuement la brillance polie, si longuement que Cyrille s’impatienta.

— Vas-tu nous emmener ou non ?

— Bien sûr, messire, fit le garçon satisfait en faisant passer sa tête dans la cordelette de l’étui, de façon que la corne trônât fièrement sur sa poitrine.

Après quoi il bondit comme un renard sur le chemin. La troupe n’eut que le temps d’éperonner ses montures.

L’adolescent les emmena assez loin dans la campagne, dans un endroit peu dompté encore par la paysannerie – un paysage de friche et de bosquets.

— J’y emmène mes cochons parfois, expliqua le jeune guide sans que personne ne lui demande rien. C’est plein de glands, de champignons et de racines ! C’est comme ça que j’ai vu les brigands…

Il s’arrêta tout à coup, les soldats en firent autant. Il parut satisfait de les voir copier son attitude, comme s’il était leur chef.

— Vous devriez laisser vos chevaux maintenant et marcher très doucement, si vous voulez les surprendre. Essayez de ne pas faire claquer vos talons sur le sol.

— De ne pas…

— Ils sont sous terre.

Le garçon avait baissé la voix, les enjoignant d’un doigt sur ses lèvres à en faire autant. Les chevaux furent laissés à la garde d’une des nouvelles recrues, tâche facile et qui ne privait pas Cyrille d’un homme précieux. Puis ils se déplacèrent à la suite du garçon, presque en catimini, malgré la difficulté de se frayer chemin parmi la végétation. Cyrille se sentait un peu grotesque et bizarrement nerveux. Ils descendirent un talus et le capitaine commença à voir la trace de passages répétés. L’herbe couchée par endroits formait de petits sentiers. Enfin, leur guide interrompit sa marche et montra d’un doigt un espace sur le flanc du talus. Regardant plus attentivement, Cyrille s’aperçut que l’espace en question était une grille de bois bouchée de mottes de terre pour la rendre plus discrète. « Les habiles taupes ! »

Il fit d’un geste se positionner ses hommes autour de la trappe végétale ; les arbalétriers bandèrent leur arme et la pointa vers l’entrée d’où pouvaient surgir leurs proies. Quand tous furent prêts, Cyrille plongea les mains et les referma sur les barreaux de bois ; avec beaucoup moins d’effort qu’il ne s’y attendait, il souleva le panneau du sol. Il s’empressa de déposer son fardeau sur le côté ; ses arbalétriers aussitôt lancèrent une première salve par l’ouverture. Nul cri cependant ne s’ensuivit. Cyrille lança :

— Au nom du duc, qui que vous soyez là-dedans, montrez-vous et constituez-vous prisonniers !

Un silence de mort accueillit l’interjection. Jetant un regard par l’ouverture, Cyrille vit que l’excavation était peu profonde, mais semblait se prolonger au-delà de la zone qu’ils pouvaient embrasser du regard. Cyrille n’était pas couard et ne risquait pas la vie de ses hommes plutôt que la sienne. Avisant une chalatte qui s’enfonçait dans la cavité, il descendit lui-même pour se faire une idée.

Il ne vit cependant pas de couloir prolonger le trou comme il l’avait cru et ne rencontra qu’une paroi. La pièce souterraine n’était pas bien grande et ne contenait que quelques coffres et des sortes d’étagères ou étaient disposés des rouleaux. Elle était tout à fait vide de vie humaine. Ce n’était qu’une cache, pas un repaire. Il hésita à fouiller davantage, mais sa mission consistait à arrêter les hommes – l’examen des documents et objets entreposés pouvait attendre. Il remonta la chalatte et l’un de ses hommes l’aida à s’extraire du trou. Mis d’aplomb, Cyrille chercha des yeux leur jeune guide pour l’interroger davantage, mais ne le trouva point.

— Où se trouve ce drôle ?

Les hommes s’entre-regardèrent, quêtant celui qui aurait la réponse, mais la perplexité s’affichait sur tous les visages. « Le drôle » avait disparu. La même intuition, la même alarme se propagea de regard en regard ; mais avant que ce mouvement se muât en action, tout se déclencha. Une grêle de flèches jaillit de l’autre côté de la butte et larda le renfoncement où se tenaient les soldats. Les projectiles aveugles se fichèrent en grande partie dans le sol, mais quelques hommes furent touchés. Cyrille connaissait ses hommes, qui d’ordinaire ne manquaient pas de discipline ; mais s’il n’intervenait pas dans l’instant, ils allaient se débander dans toutes les directions.

— Par ici ! mugit-il de toute la puissance de sa voix.

Il se garda d’indication plus précise, au cas où les archers – qui, hors de vue, tiraient nécessairement à l’aveuglette – seraient à portée de voix, mais fit signe à ses hommes de le suivre ; reprenant courage, ils coururent le rejoindre. Ils s’élancèrent à travers les taillis déjà affaissés par leur passage ; Cyrille avait l’intention de regagner les chevaux pour faire la chasse aux archers. Les projectiles retombèrent derrière eux et bientôt le danger s’éloigna ; ils n’étaient plus loin de l’endroit où ils avaient laissé leurs montures. Mais lorsqu’ils y parvinrent enfin, ils ne trouvèrent point la nouvelle recrue supposée les garder ; en lieu et place, des lanciers à l’arme dressée vers eux, des cavaliers à leurs arrières. Ils étaient beaucoup plus nombreux que la troupe de Cyrille, et brillamment armés. Tout fut clair lorsqu’apparut une silhouette en cotte de maille, aux longs cheveux noués en une longue natte et surplombés d’une fine couronne comtale. Ce n’était point les brigands soutenus par Beljour auxquels Cyrille avait affaire, mais à l’armée de Beljour elle-même. Il avait été abusé de bout en bout.

— Rendez vos armes, brave capitaine. Je ne désire pas la mort de vos hommes, qui pourraient être les miens. Je suis dame Jehanne, votre duchesse légitime ; rendez-vous sous ma bannière et nul mal ne vous sera plus fait.

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