Le cadeau empoisonné
Lorsque ton cœur devient froid, totalement vide comme un vieux bâtiment désaffecté, que tu ne ressens plus ni émotions ni douleurs, que tu te renfermes sur toi-même pour que le monde cesse de te faire tant de mal, dis-toi, ma chérie que tu ne dois pas passer à l'acte.
Quand j'avais ton âge, il m'est un jour arrivé cette mésaventure. Et c'est fou à quel point je n'ai rien pu contrôler. Au début, un bonheur parfait. En réalité, un cadeau empoisonné. J'en étais tant éperdue que lorsque la glace s'est brisée entre nous, je ne me suis pas tout de suite aperçue que je venais de rompre les seules cordes qui me maintenaient en équilibre dans le vide de ma vie. Ce jour-là, je suis alors devenue une de ces équilibristes qui marchent sur un fil au-dessus d'un précipice sans harnais ni filet de sécurité.
La suite ? Un désastre. J'ai plongé à corps perdu dans une relation à sens unique, en quelque sorte, j'ai fait un grand saut à l'élastique qui a duré une éternité. Je savais pourtant que je prenais des risques, je savais que la note serait plus que salée. Mais j'ai espéré, espéré pendant des mois. Oui, je sais, j'étais encore naïve. Je lui ai donné tout mon amour, écouté toutes ses peines et tentais de lui redonner goût à la vie, quitte à en sacrifier un peu de la mienne. Ses sourires, son odeur, sa peau, ses yeux, sa douceur, sa tristesse. Tout de lui me rendait heureuse et tout autant me blessait. C'était comme si je lui avais donné un bidon d'essence et des allumettes et que chaque jour, à chaque fois que je le voyais, il m'immolait tout entière.
Et quand il a disparu, le feu de joie qu'il avait allumé en moi et qui me consumait de l'intérieur, s'est brusquement éteint. Mon cœur est alors devenu froid, vide. Une ruine de château hanté plus que sinistre. Mes sourires se sont évanouis, tout comme ma voix. Avec le temps dont je disposais à ne plus interagir avec ce qui m'entourait , je voulais le réanimer dans ma mémoire, je refusais de le perdre pour de bon. Des journées entières, je rejouais le film de nos interactions, chaque contact en catimini, chaque conversation, chaque musique qu'il me faisait découvrir le temps d'une récrée, chaque sourire, chaque message échangé.
Je crois, au fond, que j'étais en deuil de lui et des souvenirs que nous avions partagés. Mes silences étaient là comme pour lui rendre hommage, un hommage éternel. Je me réfugiais dans ma mémoire, car le monde était devenu trop insupportable. Trop de bruit. Trop de distractions et de rires. Ce fut une période où je me sentais apaisée en sachant que je n'étais pas obligée de répondre aux questions, que je pouvais refuser de manger si cela me chantait. Enfin avoir le contrôle de quelque chose après tout ces mois à s'abandonner tout entière. Mes amies n'ont pas compris, ils m'ont fait des reproches et se sont éloignées. La Solitude a pris le relai, m'a convaincue que je n'étais pas responsable, et qu'au final ce n'était pas une grande perte. Mais au fond, sa perte et le fait de voir celles à qui je me confiais autrefois me tourner le dos m'a anéantie. J'étais dans un cercle vicieux, prisonnière de mon propre corps et de ma propre mémoire. Alors un soir, dans ma petite chambre à peine éclairée, les souvenirs en tête, la mort dans l'âme et des ciseaux en main, j'ai craqué.
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