Chapitre 2 : La rencontre
Je me réveille en sursaut, le souvenir de mon cauchemar encore frais dans la mémoire. Encore une fois, cet homme hante mes rêves, même si je ne le connais pas, même si je ne l'ai jamais vu. Depuis la mort de mon père lorsque j'avais quinze ans, ce cauchemar me poursuit sans relâche. Onze longues années à le supporter, et je ne peux pas dire que je m'y suis habitué. Chaque fois que je le vois dans mon rêve, cela me perturbe profondément. La perte de mon père a déjà été un choc immense, et ce rappel constant m'épuise.
Il est déjà six heures et demie, je dois me dépêcher si je ne veux pas être en retard au travail. J'essaie de sortir de cet état de somnolence qui me retient encore prisonnier.
Juste en face de moi, je peux voir le doux visage de Zélia, ma fiancée. Même endormie, elle est d'une beauté saisissante. Ses boucles noires encadrent son visage délicat et ses lèvres fines esquissent un sourire béat. Je ne sais pas ce dont elle rêve, mais une chose est certaine, ce sommeil est bien plus paisible que le mien.
- Zélia, il est l'heure ! Réveille-toi, mon amour de marmotte ! dis-je en essayant de la taquiner.
- Encore quelques minutes... marmonne-t-elle en grognant.
- Eh bien, prends ton temps, de toute façon je vais à la salle de bain, lui dis-je en souriant.
Nous sommes ensemble depuis cinq ans maintenant. Nous nous sommes rencontrés à l'université. J'étais en troisième année de médecine vétérinaire et elle en deuxième année de biologie. Nous avions quelques cours en commun et avons commencé à nous rapprocher pour des travaux pratiques. Très rapidement, une connexion s'est créée entre nous, et de cette relation sont nés des sentiments profonds. Je me sens vraiment chanceux de l'avoir à mes côtés, elle est une personne merveilleuse.
Récemment, j'ai fait ma demande en mariage. Nous étions en voyage en Islande et j'avais tout planifié pour lui demander sa main. La journée avait commencé par un brunch en amoureux, puis nous avons passé la journée dans une source thermale. Finalement, j'ai fait ma demande alors que nous contemplions les aurores boréales. Cela pourrait sembler cliché, digne d'un film romantique, mais je ne pouvais pas imaginer un moment plus parfait. Zélia a toujours été une grande fan de films d'amour, donc je devais être à la hauteur de ses attentes romantiques ! Bien sûr, elle a accepté rapidement, et je préfère garder les détails de la soirée qui a suivi pour nous, mais je peux vous assurer que c'était tout aussi romantique, voire même plus, passionné.
Après ma douche, je me rends à la cuisine où Zélia m'attend. Comme chaque matin, elle a préparé mes pancakes et mon chocolat chaud. Elle porte encore sa robe de nuit avec des motifs de chats, ajoutant une touche mignonne à son apparence. Elle est élancée et mesure un mètre soixante-dix, soit deux centimètres de moins que moi. Ses yeux bruns et son sourire espiègle reflètent toujours le bonheur. Je ne l'ai jamais vue de mauvaise humeur, même lorsqu'elle se réveille tôt le matin.
- Bon appétit, mon chéri ! Les pancakes sont tout chauds ! dit-elle en déposant une assiette devant moi.
- Merci, mon amour. Tu es la meilleure cuisinière du monde, lui dis-je en lui adressant un sourire reconnaissant.
- Tu as bien dormi ? Tu as l'air tout froissé me demande-t-elle.
Elle voit mon regard et comprend directement que ce matin, j’ai encore fait ce cauchemar. Je lui en parle souvent. Elle m’a déjà conseillé d’aller voir un psychologue pour en parler, pour comprendre ce qui se cache derrière ce rêve. Le problème est que j’ai déjà été en voir plusieurs une grande partie de mon adolescence et aucun n’a su m’aider. La seule personne qui a réussi à faire en sorte que les cauchemars soient moins fréquents, c’est elle. Je ne sais pas comment elle a cet effet sur moi, mais c’est très puissant. Peut-être que c’est juste le fait d’en parler à une personne qui ne me prend pas pour un fou.
- J'aurais pu mieux dormir et toi ma puce ?
- Très bien.
Nous nous asseyons à la table de la cuisine, partageant un petit-déjeuner tranquille. Pendant ce temps, nous discutons de nos plans pour la journée. Zélia travaille comme chercheuse en biologie marine et passe beaucoup de temps en laboratoire. Elle est passionnée par son travail et aime découvrir de nouvelles espèces marines et étudier leur comportement. Aujourd'hui, elle a prévu une sortie en mer avec son équipe pour collecter des échantillons.
- N'oublie pas que ce soir ta mère et Pierre viennent dîner. Essaye de ne pas finir trop tard.
- Oui, ne t'inquiète pas, je n’ai pas oublié, mens-je.
Pierre est mon beau-père. Je ne l'apprécie pas. Dès son arrivée dans ma vie, il a essayé de remplacer mon père décédé. Mais autant l'avouer, lorsque j’avais dix-huit ans, je ne voulais pas de ce vieil homme, qui commence à se dégarnir et qui considère toutes les choses que j'aimais pour des futilités, comme « père ». Ma mère essayait de faire tout son possible pour que ma relation avec lui s'améliore. Toutefois, les cours de tennis ensemble n’avaient rien arrangé. Dès notre premiere leçon, cela s’était soldé par un échec total. Il m’avait tellement énervé avec ses airs de coincé du cul que j’avais fini par lui envoyer la balle en pleine tête. Il a passé trois semaines avec un énorme bleu sur le nez. Dès que je le voyais, j'avais envie de rire. Avec le temps, rien ne s’était arrangé et je le détestais toujours autant. Même ma mère n’est pas heureuse avec lui. Je ne vois vraiment pas ce qu’elle lui trouve.
Après avoir terminé notre petit-déjeuner, nous nous apprêtons pour la journée à venir. Zélia rassemble son équipement de plongée tandis que je prépare ma blouse de vétérinaire et ma trousse médicale dans mon sac.
- Prends soin de toi en mer, mon amour. Fais attention aux requins ! lui dis-je en plaisantant.
- Ne t'inquiète pas, je serai prudente. Et toi, évite de revenir avec les bras tailladés de griffe d'un chat aujourd'hui ! répond-elle en riant.
Après un dernier baiser affectueux, nous nous séparons pour entamer notre journée de travail.
Je cours une fois de plus pour aller à l'arrêt de bus. Même si j'ai mon permis de conduire, j'opte pour les transports en commun pour me rendre à la clinique où je travaille depuis deux ans. De nos jours, nous cherchons à privilégier les déplacements collectifs dans un souci d'écologie. Je sais que ce n'est peut-être qu'une petite contribution, mais je souhaite apporter ma pierre à l'édifice.
À l'arrêt de bus, je croise Paul, un collègue de travail et le meilleur ami de Zélia. Nous nous entendons bien, mais notre relation se limite à celle de collègues. Nous n'avons pas particulièrement d'affinités.
- Encore en retard, rigole-t-il en me voyant courir comme un lapin.
- On ne change pas les bonnes habitudes, c'est à cause des pancakes, lui réponds-je avant de lui faire la bise.
- La même excuse depuis deux ans, tu devrais diversifier ton répertoire.
- Je ne suis pas en retard tous les jours, voyons ! Puis je n'ai jamais raté le bus !
- Eh bien, j'ai le regret de t'annoncer que si, malheureusement. Tu es juste chanceux qu'il est toujours en retard quand tu l'es aussi.
Le bus arrive à l'arrêt, ses portes s'ouvrent. Nous présentons nos abonnements au chauffeur puis nous nous installons à nos places habituelles.
- J'aimerais te parler d'un patient à la clinique, il est venu en urgence et j'ai le sentiment qu'il aura besoin de ton expertise de chirurgien, dis-je.
- Pas de souci, je le prendrai en charge si tu en as besoin. Toi et la chirurgie, ça n'a jamais été ta tasse de thé, me taquine-t'il.
- Chacun sa spécialité, lui réponds-je. Je ne suis pas sûr que tu gères aussi bien les urgences que moi.
- Tu mets mon égo de chirurgien à mal, s'amuse-t-il.
Il me sourit et je me retourne pour voir qui entre dans le bus. Un sentiment de terreur m'envahit lorsque je le vois juste devant moi. L'homme de mes cauchemars me fixe de son regard perçant et esquisse un sourire glaçant.
Une peur irrationnelle s'empare de moi et je baisse la tête, espérant que ce ne soit qu'une illusion. Pendant quelques secondes, je reste ainsi, convaincu que tout cela n'est qu'un mirage. Puis, je relève légèrement la tête et le découvre un peu plus près de moi. Mon cœur s'emballe et je sens un frisson d'effroi parcourir tout mon corps. J'ouvre la bouche pour crier à l'aide, mais aucun son ne sort. Tout autour de moi semble figé, comme si le temps s'était arrêté. Les gens sont immobiles, tels des mannequins de cire, leurs visages figés. La jeune fille devant moi est paralysée la bouche grande ouverte. Je peux voir le chewing-gum qu'elle mastiquait, il y a quelques secondes, telle un bovin.
L'homme s'approche lentement, se frayant un chemin entre les personnes immobiles. Chaque pas qu'il fait résonne dans le silence oppressant du bus. La terreur m'étreint, mon souffle se fait court. Est-ce lui qui a arrêté le temps ? Comment est-ce possible ? Je sais qu'il en est capable, qu'il se joue de moi dans mes rêves les plus sombres. Pourquoi pas ici, dans la réalité ? Il se trouve maintenant à seulement trois mètres de moi, son sourire sinistre s'élargissant.
- Je t'ai enfin retrouvé, Silu Mosden, articule-t-il d'une voix rauque qui fait vibrer l'air autour de nous.
Je veux lui demander qui il est, mais ma voix se coince dans ma gorge. Je suis pétrifié, incapable de bouger ou de réagir. La peur me consume, et je sens mon esprit vaciller dans l'abîme de l'horreur.
- Qui es-tu ? Réponds-moi pour une fois, parvins-je enfin à crier avec véhémence.
- Un nouveau collègue de travail rien de plus Dr Mosden, me répond-il alors que le temps reprend son cours normal.
Paul crie lorsqu'il voit que le jeune homme s'est avancé vers nous.
- Idiot, je ne t'avais pas vu, s'écrie-t-il d'une voix enjouée.
- Tu le connais ? lui demandé-je livide.
- Mais bien sûr, c'est le cousin de Zélia, Nate, il vient de déménager. Il vivait à New-York, mais il vient d'être muté ici. Zélia t'en parle depuis des semaines !
- Et donc, c'est aussi ce cousin qui est notre nouvel assistant vétérinaire ?
- Voilà, tu as tout compris, dit-il en souriant.
Je tourne la tête vers lui, les yeux écarquillés cherchant désespérément un peu de réconfort. Mais ses paroles ne font qu'accroître ma terreur. Nate, c'est le nom qu'il vient de prononcer, Nate le cousin de Zélia. La réalité se tord devant moi, se mêlant à mes cauchemars les plus sombres. C'est impossible, cela ne peut pas être réel. Mon esprit lutte pour accepter cette vérité effrayante. Je ne peux tout simplement pas y croire. Nate, le garçon qui hante mes cauchemars depuis onze ans, est là, juste en face de moi, dans ce bus. C'est impossible, je me dis que c'est un affreux rêve qui me tourmente encore une fois. Je suis certain qu'il me suffit de fermer les yeux et, quand je les rouvrirai, je me réveillerai brusquement dans mon lit, échappant ainsi à cette réalité terrifiante.
Plein d'espoir, je ferme mes paupières lentement, priant pour que tout cela ne soit qu'une illusion. Mais lorsque je les rouvre, je suis confronté à la même scène effrayante. Je suis toujours dans le bus, en face de Nate, avec Paul à mes côtés. Je reste là, figé, incapable de détourner mon regard de Nate, tandis qu'ils parlent entre eux comme s'ils ne s'étaient pas vus depuis des années.
La peur me paralyse complètement et Nate le sait. Il sait combien il me terrifie et semble se délecter de mon tourment. Je sens son regard perçant sur moi, m'observant avec un sourire malveillant. Une pensée obsédante me traverse l'esprit : suis-je en train de devenir fou ? Comment puis-je expliquer cette réalité cauchemardesque à Zélia ou à qui que ce soit d'autre ? Personne ne me croira, je suis convaincu de cela. Comment pourraient-ils comprendre ce que je traverse, cette peur qui m'envahit jusqu'au plus profond de mon être ?
Je sais que je dois absolument parler de tout cela à Zélia ce soir. Elle est la seule personne à qui je peux me confier, celle qui me connaît le mieux. Mais même elle ne pourra peut-être pas comprendre l'ampleur de ma terreur. Après tout, qui pourrait le faire ?
Paul, voyant mon état d'effroi, finit par me tirer de ma torpeur en me rappelant que notre arrêt approche. J'acquiesce d'un signe de tête, mais je reste muet, incapable de prononcer le moindre mot. Je me suis comporté comme une marionnette, un automate, jusqu'au début des consultations. Paul a bien remarqué mon comportement anormal, mais il n'a pas osé formuler le moindre commentaire. Son expression inquiète en disait long sur ce qu'il pensait de mon état, mais je lui ai simplement fait savoir que je ne voulais pas en parler. Comment pourrais-je expliquer l'inexplicable ?
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