Chapitre 1
"La méditation, telle une pluie bienfaisante, irrigue l'âme, faisant pousser des pensées profondes qui fleurissent en pétales de clarté, éclairant ainsi le jardin de la conscience"
Rudy Merouchi
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La lumière orange émanait de toute la boîte comme un coucher de soleil. Les ronds de reflets des néons se tapissaient sur les murs, comme des étoiles. Les pas de danse de la foule secouaient le sol dans un rythme irrégulier. Ces enfants, vivants, faisaient même trembler les Enfers. Les cris de ces êtres sauvages se trémoussant les uns contre les autres, étalant la sueur de leur front, se recoiffant désespérément à la recherche de proies pour une nuit passionnelle, ravivaient en moi une flamme, éteinte depuis bien trop longtemps.
On peut considérer cela comme la raison pour laquelle je viens dans ce lieu miteux, humide et transpirant la déchéance. Je n'y chante pas, je n'y danse pas, en bref je ne rencontre personne. Non, je suis là uniquement pour ressentir un frisson, m'enivrer tout en descendant mes verres. Alors que je bois tranquillement au bar, j'aperçois un homme de profil à l'autre bout de la pièce, la capuche au-dessus de sa tête, accoudé au comptoir et le visage baissé, un verre de whisky dans la paume de sa main, à moitié vide. Je ne t'ai jamais vu, toi avec tes cheveux noirs ébène te tombant sur le côté, ils étaient légèrement mouillés et n'avaient certainement pas vu de ciseaux depuis plusieurs mois. Tu venais sûrement juste de rentrer dans l'établissement "Yaé" pour la première fois, car oui, un homme comme toi, je l'aurais remarqué bien plus tôt.
Dehors, la pluie était plus froide qu'un café frappé, le vent semblait ne pas se calmer, les nuages gris avaient recouvert le ciel de leurs draps sales. Le monde grondait et ma tête commençait à tambouriner en rythme avec cette décadence avoisinante et enfin une bonne chose arriva... Cette putain de boîte s'éteignit lorsque la foudre s'abattit et les gens s'arrêtèrent alors de danser, pour laisser place à la panique... Ce paysage qui se peignait devant moi, était plus beau que n'importe quelles cascades se trouvant au plus profond d'une forêt verdoyante. Les rires s'arrêtèrent alors, les sourires s'effondrèrent pour ne laisser que de l'incompréhension sur les visages.
Apeurés, les gens se mirent à se bousculer afin de trouver un chemin vers les bras de leurs « soit disant » amis. Regardez-les... Perdus lorsqu'ils se retrouvent seuls, dans un environnement inconnu et hostile. L'être humain est fascinant, si fort et si fragile à la fois. Putain, qu'est-ce que c'était excitant de les voir ainsi. Je me lève et contemple un moment ce spectacle, debout afin d'avoir une meilleure vue, adossée au mur tandis que les employés s'affairaient à résoudre le problème du compteur électrique. Aucune lumière ne se détachait de l'immense pièce, le noir était complet, pourtant une chose se démarquait au fond de ce bar. Je ne pouvais pas m'y résoudre, mon regard fut attiré vers cette source. Ma vision s'habituait petit à petit à l'ambiance nocturne et je rencontrai le regard de cet homme, croisé auparavant.
Ce regard... Ton regard. Ce n'était pas la lumière des téléphones, ni le reflet réfléchissant de ses yeux qui me le fit remarquer. Non, bien au contraire, ses iris étaient plus noirs que le noir de cette pièce assombrie et de ces cœurs noircis. Tout son être dégageait une aura obscure, limite funeste. Mes yeux se détachèrent de lui lorsqu'une petite âme tremblante me bouscula et s'excusa, cherchant son chemin vers les toilettes. Je scannais la pièce du regard, mémorisant chaque débordement et chaque champ de bataille. Une bagarre se faisait entendre à ma gauche, un couple se tripotait en face au milieu de la foule, d'autres encore profitaient du moment pour voler des bouteilles sur d'autres tablées et les cris remplirent l'espace, implorant le retour de la fête.
C'est ça que j'aime, j'aime voir ces pantins se déchirer, je les trouve plus vivants de cette façon. Je me suis remis en marche vers le comptoir du bar, le sourire aux coins des lèvres, satisfaite de ce chaos environnant. Assise sur mon tabouret habituel, là où la musique n'est pas si forte, là où la climatisation ne souffle pas trop, là où j'ai une vue imprenable sur les toilettes, les gens y entrent pour vomir ou bien même pour baiser.
Alors que la lumière refait son entrée, le barman s'approche de moi. Je ne lui laisse pas le temps d'ouvrir sa jolie petite bouche rose, que je plante mon regard dans ses yeux noisette et lui demande de me servir une planche de shooter tequila. Un whisky en arrivant pour rentrer dans l'ambiance, un expresso martini pour le côté sucré et enfin, toujours avant de partir, une planche de cinq shooters de tequila pour bien se niquer la santé et ça, pour moi toute seule, OUI MONSIEUR ! Parfois, lors de mes bons jours, je lui laissais prendre un de mes shots. Alors qu'il me dépose les tequilas devant moi, j'en attrape un et le lui tends.
— Tiens, c'est chaotique aujourd'hui.
Il me remercie et le boit en même temps que moi. Je fais claquer le verre sur le bar, en faisant jaillir un son de bonheur. J'enchaîne tout de suite les trois autres d'un trait avant de me relever et de prendre la direction de la sortie, afin d'attraper un bol d'air frais. Ma gorge brûlait, j'adorais ça mais j'aimais encore plus l'entrechoquement de la chaleur contre le froid.
Je sortis dehors, me réjouissant de cette belle soirée, la pluie s'abattait contre le pavé, le rendant plus gris que ce qu'il était. Tout était sombre dehors. Un seul lampadaire était dans le coin gauche de la boîte, il clignotait, sûrement pour exprimer sa fatigue de devoir mettre en lumière cet endroit lamentable. Le village de Puento souhaitait devenir étoilé. N'est-ce pas magnifique, les étoiles, et en prime du noir le plus total... J'aimais être ici, dans un lieu fascinant, rempli de mini caïds à la noix.
J'avançais vers le parc se trouvant juste en face de la devanture de la boîte. Je m'allongeai sur le vieux banc en bois prêt à se désagréger, j'y avais gravé mon prénom au couteau, lors de mon premier passage au bar "Yaé". Ma cuite, cette nuit-là fut mémorable, j'avais dû y laisser pour moins de cent cinquante euros en alcool et quelques ridicules tapas. Après plusieurs folies dans cet endroit, le gérant que je n'ai jamais rencontré, laissa au comptoir une carte noire me permettant d'avoir une conso offerte chaque jour. Quelle chouette personne. Enfin quelqu'un reconnaissait mes talents de beuverie. Il souhaitait uniquement me fidéliser, et ça a fonctionné, il n'y a pas plus fidèle !
Toujours allongée sur ce vieux banc, les feuilles m'entouraient désormais et volaient au-dessus de moi, au gré du vent. Je restais là un moment à regarder vers le ciel, laissant s'écraser contre ma peau pâle, la pluie froide. La musique étouffée en fond sonore. Une feuille m'érafla la main, une douce douleur et chaleur imprégna la plaie, de laquelle de fines gouttes de sang chaud s'écoulaient, se mélangeant aux gouttes de pluies gelée. Un léger sourire se posa sur mon visage. Quel beau mélange. Je fermai les paupières afin d'apprécier ce moment hors du temps. Je me sentais déjà loin de ce monde, comme étrangère à ce corps, incapable de me rappeler la sensation que l'on ressent quand on est heureux, quand on l'est vraiment. Juste vivre l'instant présent, ne plus cogiter sur le passé.
Je tendais mes bras vers le ciel, la paume des mains tendues vers ce vaste espace gris, attendant que d'autres feuilles viennent m'écorcher. Pour qu'enfin je puisse ressentir quelque chose, pour que je puisse sentir, encore, la chaleur prendre possession de mon corps.
Après quelques minutes, je me relevai légèrement me mettant en position assise et je te fis face, de loin. Tu étais là, contre le mur gris en pierre de mon établissement favori. Tu fumais ta clope, un pied levé en arrière contre le mur, telle une racaille et tu me regardais. Enfin, je me l'imaginais, tu étais bien trop éloigné pour que j'aperçoive la direction de tes yeux, mais je pouvais sentir que tu te nourrissais de mon âme. Ta capuche était maintenant abaissée, la pluie tombait sur toi comme des pleurs d'anges éclairés non pas par une lumière divine, mais par ce vieux lampadaire en ruine. J'étais hypnotisée par ta personne et ton être profond.
Tu avais sûrement une raison pour ne pas utiliser ta capuche sous la pluie battante, peut-être, oui, peut-être étais-tu comme moi à vouloir que l'eau expie tes péchés. Tu écrasais la braise de ta cigarette entre ton pouce et ton index sans sourciller, avant de t'éloigner, les mains dans les poches de ta veste noire. Tu ressemblais de plus en plus à un oiseau de malheur, avec tes cheveux trempés, qui te tombaient légèrement devant. Tu passais ta main dans quelques mèches afin de les relever et je vis tes traits, ton expression vide marquée par la douleur et l'insensibilité. Tu me plaisais à tel point que je me mis à avoir chaud. Très chaud.
— Putain, je suis bourrée. Lâchai-je en rigolant toute seule et en posant ma tête dans mes mains.
Penchée vers l'avant, un vertige m'empoigna. C'est un magnifique soir, pensais-je encore une fois, en relevant ma tête et en soulevant mes cheveux qui me tombaient devant, affichant sur mes lèvres un sourire en coin.
Je n'avais pas de parapluie, je n'en avais jamais sur moi, mais le fait de rentrer à pied sous la pluie, me réjouissait. J'aimais ce toucher humide sur ma peau, celui qui lave nos mauvaises pensées et péchés. C'est seulement lorsque l'on est trempé jusqu'au bout des orteils que notre esprit se connecte, nous rendant vivants en même temps que le froid nous assaille jusqu'au dernier millimètre d'épiderme. Je me levais difficilement, comme une mamie de quatre-vingt ans et pris le chemin afin de rentrer à mon appartement.
Les rues de Puento étaient silencieuses à cette heure de la nuit. Cela cachait forcément quelque chose, me diriez-vous. Évidemment, des échanges de drogues en tout genre et certains règlements de compte entre clans se faisaient parfois entendre dans l'écho des voitures de sport, des coups de feu, des cris et du sang, mais ce village avait au moins un charme : celui d'être vivant.
Je parcourais les ruelles remplies d'enseignes éteintes de restaurants et de magasins en tout genres. Je marchais lentement, prenant tout mon temps, pour apprécier le calme environnant et l'alcool continuant de couler dans mes veines. Je ne marchais pas très droit et ma vision floue n'aidait pas à ne pas trébucher dans ces ruelles sombres en pavé de plus en plus étroites. Arrivée à un embranchement, j'entendis des gémissements provenant d'une des rues plongées dans le noir. Curieuse, je m'en approchai, passais ma tête afin de tenter d'observer cette partie de jambes en l'air.
Voyez-vous ça ! Du peu que je réussissais à capter, l'homme prenait un plaisir fou à enfouir ses doigts en elle. C'était plutôt agréable à regarder, comme un film amateur mal tourné. Il rythmait ses mouvements en fonction des réactions de la jeune femme. Il avait l'air doué, elle ne semblait pas simuler. Je continuais de regarder quelques minutes de plus, appréciant les sons humides se répercutant jusqu'à moi. Il accéléra le tempo jusqu'à ce qu'elle jouisse, l'homme mit alors sa main au-dessus de la tête de celle-ci et la fit descendre vers son entrejambe. Elle ouvrit sa braguette et en sortit son pénis qu'elle engloutit sans aucune difficulté. C'est ce que l'on appelle avoir une grande bouche, pensai-je en écarquillant les yeux d'admiration.
Je sentais mon corps se réchauffer, entre l'adrénaline, l'alcool et l'excitation. Je devais rentrer chez moi ou je ne pourrais plus partir d'ici. Je décidais de me remettre en route et de laisser les deux tourtereaux continuer leurs moments coquins. Je devais sûrement être un peu voyeuse sur les bords. Non, je l'étais, c'est sûr. Je venais de prendre bien trop de plaisir à les regarder.
Encore un péché à ajouter à ma liste.
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