Chapitre 2
"Il est des rencontres in-ouïes qui échappent au contingences du bon sens. Rencontres qui sculptent en nous des empreintes mirifiques"
Mona Azzam - "Sur l'oreiller du sable"
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Arrivée devant l'immeuble, je sors les clefs de mon sac avec difficulté alors que mon corps tangue dans une danse endiablée pendant que je monte les escaliers. J'entends du vacarme alors que je passe le troisième étage. Le nouveau voisin a dû arriver. Il aurait pu déballer ses affaires à une autre heure. Sans déconner, il se prend pour qui ?
J'arrive enfin au 4ème étage, complètement essoufflée. La clef de la porte frappe contre le métal de la serrure de mon appartement. Après plusieurs tentatives ridicules, je réussis enfin à rentrer. Je referme la porte en la claquant avec force, enlève mes bottines à l'aide de mon autre pied et lance les chaussures à l'autre bout de la pièce.
Mon appartement est plutôt sympa. 70 mètres carrés, parquet en chêne verni, la cuisine ouverte est délimitée avec du carrelage au sol dépareillé dans les tons de blanc et de bleu. On peut y trouver tout plein de petites décorations telles que des tableaux, des posters encadrés, des étagères avec des bibelots, des plantes mourantes par-ci par-là, un tapis jaune sous le canapé blanc qui se marie parfaitement avec les coussins jaune poussin sur celui-ci. Au-dessus de la table basse en marbre blanc, des bougies blanches dans leurs petits pots en céramique en relief incrustés de formes aztèques et un livre documentant Chernobyl ouvert au trois-quarts à côté d'une bonbonnière remplie de bonbons et de sucettes.
Ça donnait une impression d'appart de jeune femme tout à fait normale. Cool, non ? Tout mon opposé ! Mais c'est sûrement ça qui me plaisait ici, c'était comme une impression d'être en vacances en Airbnb chaque soir quand je revenais chez moi.
Sans prendre la peine de ranger mes chaussures, je me rendis à la cuisine, pour en ouvrir un des tiroirs et en sortir un paquet de chips. Je me dirigeai vers la baie vitrée à côté du salon, l'ouvris afin de me retrouver dehors sur la terrasse, sous ce vent frais qui allait sûrement me permettre de dessaouler avant de trouver le sommeil. Je relevai la manche de ma veste en cuir marron :
3 h 33.
Je sors un paquet de cigarettes Camel à moitié écrasé et m'en allume une, tout en tirant d'énormes bouffées. À croire que ça me donnerait plus d'oxygène. Le comble.
J'étais donc tranquillement en train de fumer, vue sur le parc du quartier et sur la terrasse du voisin du dessous, quand sa vitre s'ouvrit. Mon regard ne put s'empêcher de le scanner. Grand, de larges épaules, une chemise noire entièrement ouverte et les manches retroussées laissant apparaître des veines bien épaisses ainsi que des abdominaux sur lesquels j'aimerais bien faire ma lessive. Bref, rien que ça et me voilà déjà enjouée.
On pouvait voir son caleçon Calvin Klein dépasser de son pantalon chino gris. Mon regard continue sa route, en relevant mes yeux vers son visage. Un teint hâlé presque métissé, une légère barbe de trois jours, une mâchoire bien marquée, des fossettes sur chaque joue, un nez fin légèrement en trompette, des lèvres charnues, des sourcils droits et fournis à l'exception d'une cicatrice traversant son sourcil droit et un crâne légèrement rasé rappelant la coiffure des militaires. Il attrapa une cigarette qu'il approcha de ses lèvres.
Je devais avoir été trop insistante, car il releva légèrement ses yeux qui se plantèrent dans les miens. Il posa alors son coude sur le bord de la terrasse et me lança un signe de la main. Je fis timidement de même. Merde, timide, moi ? J'avais décidément beaucoup trop bu.
— Hey ! Voisine. Me lance-t-il d'une voix rauque, sensuelle avec un accent du sud. Est-ce que tu peux me lancer ton feu, s'il te plaît ? Ajoute-t-il.
Je mets un certain temps pour décrocher mon esprit et fouiller dans ma poche pour en attraper un que je lui lance. Il le rattrape sans même détacher son regard de moi.
— Merci.
Fuck... Poli en plus de sa belle gueule. J'aurais parié l'inverse. Il allume sa clope et regarde le briquet.
— Intéressant. Lâche-t-il en rigolant
Il me balance le briquet et je me rends compte que c'était un de mes nombreux briquets où est noté : "Putain de vie !"
De quoi avais-je l'air ? D'une fille tarée, saoule, rebelle qui fume sur sa terrasse remplie de quelques plantes mortes et de vieux tableaux qui prennent l'humidité. Des tableaux que j'avais peints il y a longtemps.
J'eus un vertige d'un seul coup... Sûrement dû à l'alcool et à la fatigue, mais je ne réagissais pas de cette manière, habituellement. Mon corps se mit à tanguer et la dernière chose que je vis avant de sombrer fut ce joli voisin me regardant d'un air inquiet.
Je me réveille allongée sur le canapé, une serviette froide sur le front et un pansement au coude. J'essaie de me lever et ma tête m'assaille de coups violents. Je m'appuie contre le bord du canapé, le corps tout tremblotant.
— Doucement, tu es fiévreuse
Je sursaute, face au voisin ?!
— Mais putain, tu fous quoi chez moi ?! Dégage ! Lui criai-je en pleine face. Autour de moi, rien ne semble avoir bougé. Je recule alors qu'il fait un pas vers moi.
— Whoa whoa whoa je suis venu après que tu te sois évanouie. Je n'allais quand même pas rester planté là non ? Dit-il en levant les mains en l'air
Je ne réponds rien, ma mémoire essayant tant bien que mal de se souvenir de ce qu'il s'était passé.
— Tu n'avais pas fermé ta porte à clé, je me suis permis d'entrer. Il pointa la porte du doigt.
Touché. C'est le moment où je dois dire merci ? Hors de question.
— Comme tu vois, je vais mieux, donc tu peux rentrer chez toi.
Je le pousse vers la sortie. En me relevant, je prends le tapis du salon dans le pied et trébuche droit sur lui... Je finis la tête la première dans son cou, ma main sur son torse, maintenant recouvert de sa chemise noire boutonnée.
— Merde. Jurais-je alors que je me détache de lui tout en respirant l'odeur de son eau de Cologne très agréable. Son rire emplit mon appartement.
— Tu sais dire ni merci, ni pardon toi, hein ?
Il se relève, ajuste sa chemise et alors qu'il se retourne pour sortir, j'aperçois une traînée de sang couler de son poignet. La porte se referma sans aucun bruit, après lui.
Pourquoi me sentais-je mal à l'aise ? Ressentir. C'est une chose qui ne m'arrivait plus depuis longtemps déjà. Je m'approchai de la porte tout en vérifiant cette fois, qu'elle soit bien verrouillée. Je reviens sur le canapé, ferme les yeux et tombe dans les bras de Morphée. Mon sommeil fut lourd, malgré les rayons de soleil venant faire leurs entrées dans la pièce du salon, recouverte de petites points de lumière traversant l'espace creux des stores pas complètement fermés.
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