Chapitre 4

7 minutes de lecture

"Je pense que dans les quinze secondes où l'on partage un ascenseur avec une jolie femme, il est presque impossible de lui faire la démonstration de son intelligence, de son charme et de son humour"

Hervé Le Tellier — Anthologie de l'OuLiPo

_______________________________________________________________________________

18 h 30 –

Après une longue journée à prendre la pose pour Cassie, je me mets en route vers la porte, hâte de rentrer chez moi. Malheureusement, elle en décide autrement et me suit.

— Allez ! Je viens chez toi ! Je te rappelle que tu ne m'as jamais invité. Dit-elle en me tirant la langue.

Elle m'épuise vraiment, elle est trop pleine d'énergie, parle fort et rayonne de vie.

— D'accord... Tu peux venir, mais tu ne dors pas chez moi, c'est clair ?

— Pas de problème !

Elle attrape son sac à dos en forme de cœur rose métallique de la marque Doc Martens et verrouille les trois verrous de la porte en béton. Elle parle tout le long du chemin, encore et encore. Je n'écoute pas vraiment ce qu'elle me raconte, c'est devenu une habitude. J'ai juste à hocher la tête, à sourire de temps à autre. J'imagine qu'elle doit parler encore de ses ébats amoureux. À l'ouverture de ma porte d'entrée, elle se jette à l'intérieur et commence à tout regarder en détail.

— Bon.... J'adore ton appart, mais il manque ton essence sombre, beauté. Tu es sûre que c'est chez toi ? Genre des plantes, des tableaux aux murs, je rêve, pincez-moi ! Okay, bon fais voir ta chambre !

Je lui montre la porte du doigt alors que je m'affale sur le canapé et elle s'empresse de tourner la poignée.

— Ah... L'entendis-je depuis le canapé

— Ah, quoi ?

— Comment tu peux dormir dans une chambre aussi grande et si peu aménagée ! Tu as juste un matelas au sol au milieu de... RIEN. Tes draps ne sont même pas faits oh my god !! Comment tu vas faire quand tu ramèneras quelqu'un pour faire BOUNGA BOUNGA ?

— J'aurai qu'à le déshabiller contre le mur direct après avoir passé la porte d'entrée et le pousser sur le canapé, ça apportera de la fougue, comme tu me l'as appris.

— Raaah, tu m'énerves quand t'as réponse à tout !

— C'est un plaisir. Répondis-je en lui lançant un clin d'œil

— Sinon, on mange quoi ce soir ?

— Pizzas ?

— Ok, mais je veux une peppéroni avec supplément fromage et olives !

— T'es relou tu sais ?

— Non, je suis miiiiignoooonne. Dit-elle en faisant les yeux de chien battu. Elle saute sur le canapé à mes côtés, pose ses jambes par-dessus les miennes et allume la télé. Une information apparaît.

« ALERTE INFO : Nous tenons à vous demander de rester en alerte lorsque vous sortez la nuit. Deux corps inanimés ont été retrouvés dans des ruelles sombres de la ville de Puento. La cause du décès semble être une arme blanche, ayant tranché la jugulaire des victimes. Ils ont tous deux des casiers judiciaires et le coupable n'a pas encore été identifié. La police penche pour un règlement de compte, mais nous vous demandons de rester vigilant, de ne pas sortir seul la nuit. Une enquête est en cours et l'autopsie devrait avoir lieu d'ici quelques jours ».

Je sens Cassie se raidir à la fin de l'info. Elle tourne la tête vers moi, me regardant d'un air ahuri.

— Mais le monde est devenu fou ! Je t'en prie, laisse-moi dormir chez toi, je partirai demain matin, je te le promets, mais tu ne peux pas me laisser partir seule, de nuit, avec un malade qui rôde dehors ! T'imagines, je pourrais me faire zigouiller ! C'est mort, je dors ici, tu n'as pas ton mot à dire ! Bougonne Cassie en croisant ses petits bras sur sa poitrine.

— Tu dormiras dans ma chambre, je dormirais sur le canapé. Proposai-je en soupirant, mettant mes bras derrière ma nuque en m'étirant tel un chat.

— Xio, je préfère le canapé, ta chambre, c'est... comment dire, je vais faire des cauchemars si je dors là-dedans, on dirait une salle de torture. Punaise, j'ai trop peur... On ne commande pas de pizzas ! Imagine que le livreur soit le meurtrier. AAAARRGGHH. Renchérit-elle en levant la voix.

— Chut ! Je l'implore en mettant la main sur sa bouche. Tu veux que les voisins pensent que je suis en train de torturer quelqu'un ou quoi ?

— De-jo-lai. Elle baragouine encore avec ma main sur sa bouche.

— Je commande des pizzas et des bières. J'irai les récupérer en bas de l'immeuble, problème réglé. Concluais-je en claquant des doigts.

Après près de trente minutes, le livreur sonne en bas de l'immeuble. Je décroche l'interphone pour lui annoncer que je descends chercher les pizzas. Je sors de l'appartement et dévale les escaliers en sautant quelques marches pour arriver plus vite. J'ai les crocs. Je récupère la commande et remonte par l'ascenseur. Descendre les escaliers, ce n'est pas un souci, mais monter quatre étages, sobre, c'est ennuyeux. L'ascenseur s'arrête au 3ème étage, les portes s'entrouvrent et laissent apparaître le voisin. Oh non, pas encore. Il me sourit et rentre dans cet espace clos, nos épaules se frôlant presque.

— Salut

— Hmmm. Murmurai-je sans prendre la peine de le regarder.

— Pizzas ce soir ?

— Ça se voit, non ? Dis-je avec dédain

Il appuie sur le bouton du rez-de-chaussée.

— C'était con de ma part, effectivement. Me lança-t-il avec un sourire en coin

— Ah ça pour être con ! Me moquai-je à voix haute

Il se retourna vers moi avec un regard sombre, ce qui fit légèrement tambouriner mon cœur. La seconde qui suivit, le sol se mit à trembler et des bruits métalliques résonnèrent de plus en plus fort, avant que l'ascenseur ne s'arrête brusquement, juste avant le 4ème étage. Mon corps perd l'équilibre à cause des boites de pizzas et de la poche contenant les bières que je tiens dans mes mains. Il me retient juste avant que je ne m'écroule la face contre la paroi de cet ascenseur.

— Qu'est-ce qu'il se passe encore, putain ?

— Ça se voit, non ? Reprend-il avec le ton dédaigneux que j'ai employé précédemment.

Je lève les yeux au ciel face à sa remarque et appuie sur le bouton d'urgence. Un homme à la voix éraillée répond et nous laisse comprendre qu'une intervention aura lieu, mais pas avant 2 heures d'attente. Putain, ce sont des fonctionnaires ou quoi ?

— T'as ton téléphone avec toi ? Le questionnai-je

— Oui. Il fouille dans sa poche et le sort, le sourcil levé, se demandant pourquoi je le lui demande. Je lui arrache de sa main et pianote le numéro de Cassie, tandis que je l'entends souffler à côté.

— Allô ?

— C'est moi, j'ai récupéré les pizzas, mais je suis bloquée dans l'ascenseur et ...

— Tu es quoi ? C'est une blague ? Tu n'as rien ? Ne panique pas surtout, ok ? Appelle sur le bouton d'urgence !

— C'est toi qui panique là je te signale. J'ai déjà appelé, ils devraient arriver d'ici 2 heures donc ouvre le placard de la cuisine et fais-toi des ramens, ça ira plus vite. L'informai-je en passant une main dans mes cheveux et en me retournant vers le voisin.

— Et ma pizza alors ?! Tu ne vas quand même pas manger les deux ?

— Non, quelqu'un d'autre est avec moi, ne m'attend pas ou rentre chez toi. Répondis-je, les yeux fixés sur lui. Lui offrir une pizza permettrait de me faire pardonner de la blessure infligée la veille non ?

— Oh... un homme charmant j'espère ? C'est comme dans les films Xio ! Elle m'a l'air bien trop enjouée par la situation dans laquelle je me trouve.

— Je raccroche, fais comme chez toi. Je souffle de nerf.

BIP BIP BIP. Je lui tends son portable et il le reprend en me regardant intensément.

— C'était... ton copain ? Se renseigne-t-il

Je m'étouffe avec ma salive à l'écoute de ses mots. Un copain ? Moi ? Je ris intérieurement. Il ne me connaît pas, ça c'est clair. Les Hommes sur cette Terre, sont bien plus en sécurité loin de moi. Mais il n'est pas obligé de le savoir. Je lui réponds alors :

— Juste un pot de colle

Je me baisse et m'assois au sol. Il s'assoit à son tour et nos épaules se touchent, tout mon corps est alors parcouru de frissons. J'ouvre les boîtes de pizzas et les pose devant nous. Je lui recommande de manger en montrant du doigt la nourriture devant lui, tandis que l'odeur remplit l'ascenseur.

— T'es sûre ? Quel changement d'attitude ! Je ne m'y attendais pas.

— Accepte tant que je suis sympa, ou décline l'offre et crève la dalle. M'exclamai-je sèchement

— A vos ordres, Madame. Continue-t-il en levant sa main vers son crâne en signe de salut militaire.

Je le regarde furtivement en me demandant qui est vraiment cet homme.

— Merci, bon appétit !

Il ouvre la boîte et se frotte les mains en tirant la langue, heureux à l'idée de croquer dans cette magnifique pizza supplément fromages et olives qui embaume ce petit espace. Il a l'air d'un gamin dans cet état, ce qui me tire un sourire. Je m'en rends presque compte instantanément, secoue la tête et reviens rapidement à mon expression froide, mais malgré ma rapidité, il me semble l'avoir vu me regarder du coin de l'œil...

Annotations

Vous aimez lire Sarah PEGURIE ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0