Chapitre 5

7 minutes de lecture

"L'alcool est toujours amer lorsqu'il délie plus que de raison une langue et lui débride les pensées"
Jacques Nteka Bokolo

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20h30 -

On mange lentement sans s'adresser un mot, je remarque que ses yeux se posent sur moi bien plus souvent que ce qu'il devrait. Je le dévisage, ses iris dévièrent vers ma bouche pendant trois longues secondes. J'aperçois sa pomme d'Adam se soulever alors qu'il avale sa salive, puis il me regarde de nouveau.

— Quoi ?

— Rien, je te regarde.

Effectivement, je l'avais remarqué. Est-ce que le fait d'avoir l'estomac plein le rendait comme ça ? Son regard s'assombrit et l'ambiance devient lourde, presque étouffante.

— J'aime un peu trop ce que je vois, et cette atmosphère cloîtrée ne m'aide pas. Me confie-t-il d'une voix plus grave et éraillée qui me parvient à l'oreille, me donnant des bouffées de chaleur et des frissons, descendant tout le long de ma colonne vertébrale.

Je sais bien que je n'ai jamais fait l'amour avec qui que ce soit, ni même que je n'ai jamais embrassé quelqu'un, oui, la maternelle ne compte pas. Comment pourrais-je me donner à quelqu'un, comment pourrais-je ressentir du plaisir ? J'ai essayé une fois, de me toucher en regardant une vidéo pornographique. J'en ai ressenti du dégoût, à l'idée de devoir me masturber. 

Cassie me tanne que je devrais au moins essayer une fois avec quelqu'un, que c'est très différent. Ne jamais dire jamais, j'imagine, mais pourquoi je pense à ça déjà ? Ah oui ! Revenons à notre mouton :

Ce type est malade, comment ose-t-il regarder mes lèvres et dire ça, il veut crever si jeune ? Mon souffle se coupe et je m'étouffe avec la croûte de ma pizza qui passe de travers. Il s'empresse de me taper et de me caresser le dos tandis que je tente de respirer. Des larmes s'écoulent de mes joues en un réflexe que je ne peux contrôler. Alors qu'il voit la larme tombée, il attrape de ses deux mains mon visage et le tourne vers lui. Ses paumes écrasent mes deux joues. Son toucher est plutôt agréable compte tenu du fait que ses doigts soient chauds et que ses mains soient imposantes. Mon regard s'agrandit, surprise par son geste. Ses yeux, verts, telles une prairie en plein été, me scannent.

— Tu...Tu es sûre que ça va ? Son ton est inquiet. Mon cœur lui, s'emballe, merde.

Son regard descend sur mes lèvres, une nouvelle fois, il approche son visage, un peu trop près du mien, et alors que je sens sa respiration s'écraser pas loin de ma bouche, je me retire brusquement en lui mettant une claque, tandis qu'un hoquet me prend au dépourvu. Il pose sa main sur sa pommette rosée, les yeux grands ouverts.

— Je m'excuse, je ne suis pas comme ça d'habitude, je ne sais pas ce qu'il m'a pris. Je n'aurai pas dû faire ça... Reprenons sur de bonnes bases. Il me tend sa main. Je m'appelle Ian.

Je le regarde longuement, me demandant si cela sert à quelque chose, mais je finis par accepter. De toute manière, je ne suis qu'une voisine, lui, sûrement un psychopathe, ce qui peut exalter mon quotidien, à petite dose, bien sûr.

— Xiona

— Xio-na ? C'est un prénom très original. Ça veut dire quelque chose en particulier ?

— L'aube - La couleur pourpre.

— C'est magnifique. Avoue-t-il tout en me regardant. J'imagine que tu aimes regarder le ciel dans ce cas ? C'est peut-être pour ça que tu étais sur ton balcon en plein milieu de la nuit, tu attendais l'aube ?

— J'essayais de décuver

— Tu buvais seule ? Ajoute-t-il

— Oui. Confessai-je

— Pourquoi ?

— Parce que ! M'exclamai-je. Pourquoi est-ce qu'il me pose toutes ces questions ?

— Tu ne devrais pas, c'est mieux de boire à deux, je t'assure. Me blâma-t-il

— Je suis du genre solitaire. Rétorquai-je en espérant qu'il arrête de me parler

— Et pourtant, tu es là avec moi, à discuter

— Je ne l'ai pas souhaité

— C'est si horrible que ça ? Me demande-t-il en faisant la moue.

À vrai dire, je suis surprise, c'est la première fois que j'ai une aussi longue conversation, avec une autre personne que Cassie. J'attrape deux grandes canettes du pack de bière et lui en tend une. Il me sourit, l'attrape, l'ouvre et tend sa main vers la mienne pour trinquer. On boit la première en silence et on continua de se lancer la balle, enfin, c'était plutôt lui qui la lançait, nos voix échouant sur les parois de fer, rebondissant à chaque tintement, buvant la deuxième bière, mais le temps me paraît passer vite, ce qui est anormal.

Il est bizarre certes, fou, sûrement, mais je le vois un peu différemment désormais. Il est même agréable de boire ensemble. Après ces deux grandes canettes écoulées, mes joues commencent à rougir, la bière à tendance à me rendre ainsi.

— Bah alors, tu es toute rouge ! Tu ne tiens pas l'alcool ? Il se fout de ma gueule, putain.

— Alors là mec, je te prends quand tu veux

— C'est une invitation ? Renchérit-il avec un sourire en coin.

— Pas du tout ! Cinglai-je

— La prochaine fois, appelle moi Ian.

On boit une troisième bière et termine le pack. Il n'a pas l'air d'être saoul. Il tient plutôt bien l'alcool et je me surprends à penser qu'il pourrait devenir un compagnon de beuverie. Je secoue la tête pour m'enlever cette idée de mon esprit. Il relève tout à coup les manches de sa chemise blanche et j'aperçois au niveau de son coude le début d'un tatouage. Curieuse, je lui pose la question.

— C'est quoi ton tatouage ?

— Tu veux voir ?

— Pourquoi pas. Déclarai-je en soulevant mes épaules.

Il se met debout, face à moi, afin de mieux l'observer. Il commence alors à déboutonner sa chemise, lentement, tout en me fixant. Je suis soudain prise d'excitation. C'était comme s'il... Comme s'il me faisait un strip-tease et j'appréciais ça.

Il laisse tomber sa chemise au sol. Attention, vue imprenable sur ses abdos dessinés. Il reste planté devant, me fixant, considérant sûrement le fait que j'en profitais bien, avant de se retourner et de me montrer son dos. 

Il y est encré une femme aux longs cheveux noirs, enfermée dans une cage d'oiseau rouillée, nue, portant sur elle de nombreuses cicatrices et plaies ouvertes. Elle regarde en contrebas alors qu'au-dessus d'elle, se trouve un joli lever de soleil. Des vautours sont posés dans les arbres avoisinant sa cage suspendue, en attente de dévorer ce qu'il restera d'elle d'ici peu. En dessous, se trouve une mer agitée, aux eaux sombres et dangereuses, dans laquelle est dessinée son reflet déformé. L'élément que j'avais aperçu sur son coude, n'était autre que la queue d'un dragon blanc, majestueux, se dirigeant vers elle.

J'étais hypnotisée par tant de beauté et de détails. Le choc de la rencontre, entre la lumière et les ombres. Une œuvre comme je les aimais, bourrée d'émotions négatives. Je voulais l'observer de plus près. J'approche mes mains de son dos avant de le toucher et de retracer certains traits d'encres avec mon index, ce qui le fit frissonner. Sa respiration devient de plus en plus bruyante. Mon doigt sentit du relief au niveau du soleil levant, je m'en approche un peu plus et comprends que ce sont des cicatrices épaisses. Les rayons du soleil traversant les nuages ne sont autres que les marques blanches indélébiles, marquées à jamais sur son corps d'Apollon. Il se retourne et me plaque avec force contre la paroi froide de l'ascenseur.

— Ça suffit, t'en as assez vu. Grogne-t-il d'une voix glaciale et dure. Il soutient mon regard quelques instants avant de s'adoucir.

— Il est magnifique. Lui avouai-je

— Qui ? le tatouage ou moi ?

— Le tatouage, bien sûr.

— C'est un... ancien ami qui l'a réalisé

— Ancien ? Il est mort ?

— Vivant, mais je le considère mort. Rectifie-t-il tout en se rhabillant.

— J'aimerais un de ses tatouages. Je veux son contact.

— Il n'en est pas question.

— Pourquoi ? Je rumine au fond de moi et plante mon regard menaçant dans le sien

— Tu n'as pas besoin de savoir pourquoi. Insiste-t-il en fronçant les sourcils. 

Okay, sujet sensible, de ce que je comprends, voilà qu'il a un point faible. Je note. Un silence s'installe entre nous.

— En fait... Je pourrais y réfléchir, alors passe-moi ton numéro. Dit-il.

Il me tend son téléphone et j'inscris mon numéro de téléphone sous le nom de "Voisine"

— Si tu me passes son contact, je pourrai faire quelque chose en retour, exceptionnellement.

J'insiste bien sur "l'exceptionnellement".

— Un de mes souhaits ? Tu irais jusque-là pour un simple tatouage ?

— Peut-être. Dis-je en baissant mes yeux

— Dans ce cas, ça devient alléchant. Laisse-moi y réfléchir. J'ai un milliard d'idées, je veux choisir la bonne. Fredonne-t-il heureux

La porte de l'ascenseur s'ouvre à ce moment, et des personnes nous accueillent en s'excusant pour la durée de l'intervention. Mr Apollon Psychopathe / Voisin m'aide pour sortir et me fait un signe de la main pour dire au revoir.

— Tu devrais rentrer, quelqu'un t'attend encore sûrement. Je m'occupe de nettoyer.

Je me retourne sans dire un mot et me dirige vers l'appartement. J'ouvre la porte, la referme et laisse tomber mon dos contre celle-ci, en même temps que je glisse vers le sol, enfouissant mon visage dans mes mains, le téléphone vibre sur le plan de travail de la cuisine. Je me relève pour le récupérer. Un message y est affiché :

Bonne nuit, voisine

J'enregistre son numéro de téléphone sous « Psychopathe »

Je dois l'avouer même si cela m'arrache la gorge, mais je venais de passer une soirée plus ou moins agréable ; malgré les circonstances.

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